En couverture

Au gré du vent

30 mars 2019

| COURT MÉTRAGE |

Lucidité passagère

Élie Castiel

Sa page Facebook indique qu’il a étudié à l’UdeM et qu’il travaille chez EJTstudio, sa propre boîte de production. Montréalais d’origine libanaise où il a également étudié le cinéma, il signe, avec Au gré du vent (By the Wind), un court métrage qui confirme un talent de faiseur d’images. Peu de dialogues, dire seulement ce qui est nécessaire, des mots par qui les psychologies se dévoilent « au gré du temps ». Pour qu’on ne retienne que l’essentiel. Un beau travail sur la temporalité.

Le Nord québécois, la neige, le vent, l’air pur hors des grandes villes. Et une maison aux couleurs brunes au bord d’un lac gelé, évidemment de ton blanc-neige. Une femme qui vit là en s’occupant de son fils Marc-André, autiste, déjà jeune adulte. Il ne dit pas un mot, sauf pour dire vers la fin « Maman, es-tu korek? ». Quelques paroles bouleversantes, parce que dites avec toute la sincérité et la tendresse du monde, inconditionnellement. Quelques moments de lucidité, de calme, de symbiose entre la mère et le fils. Avant cela, et dans ses moments de crise, il dérape, sa vision du monde est effacée, l’environnement est néfaste à ses yeux. Plus tard, à l’extérieur, il sourit, déambulant en plein paysage enneigé, en entendant les bruits de la nature sauvage et de l’eau. Deux réalités de sa condition.

Marc-André Casavant > © La Distributrice de Films

Brillant exercice de la part de Tahchi, qui permet à Marc-André Casavant, comédien de théâtre, de se prononcer sur le jeu d’acteur par le biais du mouvement et de l’expression faciale. Il est cinémagénique, pour dire autrement photogénique. La direction photo de Simran Dewan le capte amoureusement, ainsi que Margot Bussières, la mère, prise entre son devoir maternel et une solitude inexplicable, victime du temps qui passe. Cette comédienne est intègre et se donne à ces moments difficiles à contenir. Dans le cas de Casavant, il mériterait une plus grande place dans le milieu, autant au cinéma qu’au théâtre. Dans Fontaine (voir ici), pièce de théâtre plutôt fringe (hors-normes), sa performance dépassait les limites du jeu et nous étions très favorable quant au côté ludique de l’entreprise. D’autant plus qu’elle était présentée dans un bar du centre-ville de Montréal, qui la rendait encore plus expérimentale.

Dans une séquence dans Au gré du vent , Marc-André prend dans sa main un VHS et non pas un DVD ou autre support, sans doute discours du cinéaste sur les images en mouvement et référence à l’âge de la mère dans le film, la soixantaine. Pour le spectateur d’aujourd’hui, un chaleureux regard sur un passé pas si lointain où le nombre des années ne semblait pas se compter et les changements technologiques se voyaient de très loin.

Et une finale prévisible, certes, mais au même temps annonçant un espoir perceptible. Comme si autant Eli Jean Tahchi, Margot Bussières et Marc-André Casavant défiaient le temps pour simplement le retenir, ne serait-ce que pour qu’ils puissent repartir à zéro.

Des moments subtilement douloureux dans ce court métrage, mais atténués par la musique de Martin Ferguson. Le spectateur est là, totalement intégré au récit, comme dans un rêve éveillé, un nuage qui disparaîtra sans qu’il s’en aperçoive. Et une finale prévisible, certes, mais au même temps annonçant un espoir perceptible. Comme si autant Eli Jean Tahchi, Margot Bussières et Marc-André Casavant défiaient le temps pour simplement le retenir, ne serait-ce que pour qu’ils puissent repartir à zéro.

Oui, recommencer par ses propres moyens. En faisant des recherches sur Tahchi, sa maison de production lui permet, en tant qu’artiste né « ailleurs » de s’assurer un avenir dans le milieu. Belle entreprise de sa part qui, par les temps qui courent, devrait inciter les créateurs des diverses diasporas. C’est autant une question d’équité que de survie intellectuelle et, pourquoi pas, personnelle.

FICHE TECHNIQUE

Origine
Québec [ Canada ]

Langue(s)
V.o. : français / s.-t.a.
By the Wind

Année : 2016 – Durée : 15 min.

Réal.
Eli Jean Tahchi

Scén.
Eli Jean Tahchi

Int.
Margot Bussière

Marc-André Casavant

Images
Simran Dewan

Son
Julia Innes

Montage
Eli Jean Tahchi

Dir. art.
Christine Rezk

Cost.
Christine Rezk

Musique
Martin Ferguson

Prod.
Marina Khoury

Dist. @
La Distributrice de Films

Britannicus

CRITIQUE
| SCÈNE |

★★★★

L’ÉTRANGE FACULTÉ DE LA DYSTOPIE

Élie Castiel

Oser prendre des risques quitte à désorienter certains spectateurs peu habitués aux classiques, même si la mise en scène s’applique à moderniser le propos jusqu’à le rendre apparent. Autre défi de taille, aujourd’hui impensable : conserver la langue en vers, comme l’avais écrite Racine. Et comme dans toute tragédie qui se respecte, des amours impossibles, assassines, meurtrières. Regard sur notre présent? Peu importe puisque la mise en scène magistrale de Florent Siaud assure une (in)temporalité soumise aux caprices des Dieux et des Humains.

Evelyne Rompré (Junie) et Éric Robidoux (Britannicus) > Crédit photo : © Yves Renaud

Passé, présent et futurs obscurs se juxtaposent dans un jeu scénique hallucinant, un décor où le mur/rideau sur fond de scène en couleur or se transforme en une sorte de teinte neutre entre le gris et le blanc pâle. Non pas par hasard, mais grâce à un jeu d’éclairages qui explique les états d’âme d’un groupe d’individus pris entre la force du vrai amour et l’envie de posséder. Suite

[ Nouveaux films dans les cinémas ] Semaine du 29 mars au 4 avril 2019

28 mars 2019

AVIS AUX CINÉPHILES
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| EN SALLE À MONTRÉAL – 13 |

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| COUP DE COEUR |
SAUVER OU PÉRIR
Frédéric Tellier Suite

Twenty-Seven

25 mars 2019

CRITIQUE
| ART LYRIQUE |

Élie Castiel

★★★★

EN TOUTE INTIMITÉ

Cette troublante et intègre nouvelle production de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal suscite l’intérêt et encore plus la curiosité par sa proposition inusitée. La relation entre Gertrude Stein et Alice B. Toklas a été peu relatée dans les arts de la représentation, et encore moins dans l’art lyrique. L’entreprise procure chez les spectateurs à la fois controverse, enchantement, surprise bien entendu et attention, toutes orientations sexuelles confondues.

Et le fait que le récit se passe vers le milieu du siècle dernier rend l’ensemble encore plus exaltant, voire même tonique et séduisant. Le livret de Royce Vavrek accumule jeux de mots et conversations banales, racontant des instants de vie de quelques artistes de l’époque. Stein, celle par qui le succès arrive aux autres (ou le contraire peut-être). Son physique (qu’on imagine), son visage, sa gouaille à décortiquer certaines vérités, son goût du bel art et de la musique sérieuse. Et puis sa conjointe (comme on dirait maintenant), Alice B. Toklas, elle aussi juive-américaine établie à Paris, capitale, à l’époque, des libertés individuelles, de la débauche mesurée considérée comme un des beaux-arts, mais second violon dans le couple. Elle s’occupe de tout tandis que Gertrude pense, réfléchit et se questionne sur le monde. Même lorsqu’elles échappent toutes deux aux nazis dans des conditions troubles.

Des amis comme Picasso, Scott Fitzgerald, Leo Stein, Matisse, Man Ray et Ernest Hemingway, sur qui elles ne partagent pas nécessairement la même sympathie pour l’un ou pour l’autre sont des habitués du salon. Absence de femmes, du moins dans cet opéra de chambre brillamment accompli au niveau de la voix. C’est une constatation dans les deux cas. Toutes moins poussées que dans les grandes salles, dans des opéras traditionnelles. Sur la petite scène du Centaur, tout cela est exquis.

Magnifique décors de Simon Guilbault où le minimalisme du salon des Stein-Toklas épouse les tableaux vierges de diverses dimensions où on devine le contenu, sauf vers la fin alors que le très beau Gertrude picassien les anime tous.

Rose Naggar-Tremblay (Gertude) et Andrea Núñez (Alice) – Crédit photo : © Yves Renaud

Côté-Toklas, rien à reprocher. Andrea Núñez demeure constamment touchante, parfois ludiquement et doucereusement perverse dans ses rapports à certains visiteurs et promet des mouvements sur scène tout à fait dignes. Et puis Rose Naggar-Tremblay, trop élégante, corps de mannequin, éloignée de la véritable Gertrude Stein; à tel point qu’il nous est impossible d’y croire. Mais elle conserve un jeu qu’elle maîtrise avec soin et assure avec doigté les diverses variations vocales. On s’y habitue à ces imperfections et on s’attache à son personnage, et aux autres il va s’en dire.

Un bémol. Le panneau des surtitres en français et en anglais, comme à l’Opéra, aurait dû être placé au fond de la scène, quitte à réduire la verticalité du décor mural. À la première rangée, on a simplement arrêté de lire, de peur d’engendrer des torticolis. C’est aussi vrai à la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.

Petite salle du Centaur pleine à craquer ce dimanche après-midi et on comprend l’enthousiasme pour un tel sujet. Ce que de nos jours on s’évertue encore à appeler « normalité » n’attire plus autant les spectateurs. Le compositeur Ricky Ian Gordon, dont les airs de chambre amusent, sidèrent, enchantent et animent nos sens, et le librettiste Royce Vavrek ont conçu un couple lyrique intime, de salon (pour certains, de chambre), art de la représentation qu’ils ont agrémenté, en filigrane, au goût du jour.

Mais une chose est claire : il est important que le sens du vrai art revienne dans notre conscient collectif à une époque où le populisme mondial ambiant continue de plus belle à pulvériser sur son passage tout ce qui a fait les heures de gloire du bon goût, de la pureté et de la subtilité. Et surtout se dire que ce sont les spectateurs qui doivent s’intégrer aux bons artistes et à leurs créations et non pas le contraire. À tout entendeur, salut!

Magnifique décors de Simon Guilbault où le minimalisme du salon des Stein-Toklas épouse les tableaux vierges de diverses dimensions où on devine le contenu, sauf vers la fin alors que le très beau Gertrude picassien les anime tous.

OPÉRA EN UN PROLOGUE ET CINQ ACTES

ÉQUIPE DE CRÉATION

Musique
Ricky Ian Gordon

Livret
Royce Vavrek

Mise en scène
Oriol Thomas
assisté de Mélissa Campeau

Directrice musicale et pianiste
Marie-Ève Scarfone

Violoncelle
Stéphane Tétreault

Décors
Simon Guilbault

Éclairages
Martin Sirois

Vidéo
Félix Fradet-Faguy

Costumes
Oleksandra Lykova

Distribution 
[ représentations du 24 et 31 mars ]
Rose Naggar-Tremblay (Gertrude Stein)
Andrea Núñez (Alice B. Toklas)
Sebastian Haboczki (F. Scott Fitzgerald)
Nathan Keoughan (Leo Stein)
Pierre Rancourt (Matisse)
Scott Brooks (Man Ray)

Production
Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal

Durée
2 h
(incluant 1 entracte)

Représentations
Mardi 26, jeudi 28 et samedi 30 – 19 h 30
Dimanche 31 mars – 14 h

Centaur
(Petite salle)

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [Entre-deux-cotes]

The Shoplifters

23 mars 2019

CRITIQUE
| SCÈNE |
Élie Castiel

★★ ½

EFFRACTIONS SANS CONSÉQUENCES

Le théâtre populaire peut avoir des moments de pure extase drolatique selon la qualité des dialogues servis, le plus souvent défiant le réalisme, mais c’est là un exercice de style que seuls des géants comme Ionesco ou des québécois comme Ducharme peuvent se permettre de créer, car marchant en terrains glissants.

L’ensemble des comédiens (Crédit photo : © Andrée Lanthier)

Suite

Les larmes amères de Petra von Kant

22 mars 2019

CRITIQUE
SCÈNE
| Élie Castiel |

★★★★ ½

CRIS DE FEMME

© Maxim Paré-Fortin

Quelque chose de magique se produit sur le coup lorsque Anne-Marie Cadieux apparaît sur scène. Muse, sirène, femme fatale, manipulatrice, souveraine et fragile comme la vie, comme l’existence, comme l’art dramaturgique. Quelque chose qui a à voir avec l’expérience sur scène qui, d’emblée, doit être multipliée maintes fois pour, finalement, sortir indemne.

Un auteur immense de la deuxième moitié du 20e siècle. Une écriture intransigeante. Des mots qui blessent, des paroles qui aiment et plus que tout, des relations humaines dont les comportements puisent aux sources de l’Histoire. L’Allemagne et ses démons. Quels que soient ses films ou ses écrits dramatiques, Fassbinder a toujours placé ses protagonistes dans des situations, produits directs ou indirects de la période sombre de son pays.

Et puis une pièce (et un film) intime, Les larmes amères de Petra von Kant, lieu privilégié où la solitude est faussement atténuée par un appartement luxueux, art déco des années 20, ayant survécu à l’après-Seconde Guerre mondiale dans certains cercles. C’est le cas de Petra von Kant. Chez elle, une nostalgie qui ne s’explique pas; une mélancolie qui refuse de partir dû à la solitude. L’existentialisme romantique est un humanisme semble dire un Fassbinder entre la tourmente et le désir d’être.

Et quelques agissements pour signifier l’attirance vers l’autre, coup de foudre instantané, engouement (pour ne pas dire le si beau terme anglais infatuation), pour se perdre, contre l’ennui, contre le néant routinier.

Et une traduction épatante qui défie les lois de la réalité (et de la normalité) pour en extraire les déterminants les plus monstrueux et obsessifs, mais tout autant amoureux et bouleversants.

Anne-Marie Cadieux n’a jamais été aussi puissante, radieuse, s’emparant du rôle pour mieux le forger… à sa propre image. Intransigeante, lumineuse. Vigoureusement.

Ce n’est pas exactement à une mise en scène que se livre Félix-Antoine Boutin. Plutôt à une possession obsédante des personnages en question, comme s’il les incarnait tous (toutes). Une sorte de mise en abyme foudroyante qui opère magnifiquement bien sur la scène du Prospero. On se croirait parfois dans un endroit particulier à l’intérieur d’un ces immenses paquebots transatlantiques où des histoires se racontent au gré des humeurs et de la vie qui bat.

Correspondance remarquable entre le metteur en scène et Léonie Blanchet, totalement investie dans cette expérience hallucinante, rêvée, d’un érotisme rare. Mais plus que tout, unité de lieu, d’espace et de temps, tour de magie qui rejoint en quelque sorte l’œuvre fassbinderienne, là où cinéma et théâtre semblent ne former qu’un.

Mais Les larmes amères de Petra von Kant est aussi une œuvre majeure du théâtre universel. Et entre les bras (en les corps) de ces magnifiques comédiennes, dans le cas du Prospero, la démonstration n’est que plus obsédante. Mais ne la cachons pas : Anne-Marie Cadieux n’a jamais été aussi puissante, radieuse, s’emparant du rôle pour mieux le forger… à sa propre image. Intransigeante, lumineuse. Vigoureusement.

Crédit photo : © Guillaume Langlois

ÉQUIPE DE CRÉATION

Texte
Rainer Werner Fassbinder

Traduction
Frank Weigand
Gabriel Plante
à partir de l’original Die bitteren Tränen der Petra von Kant

Mise en scène
Félix-Antoine Boutin
assisté de Émily Vallée-Knight

Scénographie
Odile Gamache
assistée de Léonie Blanchet

Éclairages
Julie Basse

Musique
Christophe Lamarche L.

Distribution
Anne-Marie Cadieux, Sophie Cadieux

Lise Castonguay, Marianne Dansereau
Florence Blain Mbaye, Patricia Nolin

Costumes
Elen Ewing

Production
Dans la Chambre et Théâtre du Trillium

Durée
1 h 30
(Sans entracte)

Représentations
Jusqu’au 6 avril 2019
Prospero
[ Salle principale ]

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [Entre-deux-cotes]

[ Nouveaux films dans les cinémas ] Semaine du 22 au 28 mars 2019

21 mars 2019

AVIS AUX CINÉPHILES
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| EN SALLE À MONTRÉAL12 |

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