En couverture

The Shoplifters

23 mars 2019

CRITIQUE
| SCÈNE |
Élie Castiel

★★ ½

EFFRACTIONS SANS CONSÉQUENCES

Le théâtre populaire peut avoir des moments de pure extase drolatique selon la qualité des dialogues servis, le plus souvent défiant le réalisme, mais c’est là un exercice de style que seuls des géants comme Ionesco ou des québécois comme Ducharme peuvent se permettre de créer, car marchant en terrains glissants.

L’ensemble des comédiens (Crédit photo : © Andrée Lanthier)

C’est le cas de The Shoplifters, trop populaire pour qu’on y croit. Mais ce qui importe le plus, c’est de conster qu’aujourd’hui, il existe un réseau d’auteurs dramatiques canadiens (et un peu moins québécois) pour grand public qui se sont donné pour mission (ou mandat peut-être) de faire plaisir à la grande partie des spectateurs en leur servant des mots qu’ils veulent entendre et des situations auxquelles ils peuvent s’identifier.

Transcender la norme, c’est bien, mais aussi faut-il savoir la dépasser, lui vouer des espaces dramatiques aptes à toutes éventualités. Toujours est-il que le décor trop ambitieux (des boîtes de carton pleine de marchandises qui s’empilent les unes après les autres pour former un mur de séparation entre ce qui semble un supermarché et la petite salle où, au milieu de ces cartons de toutes tailles, une table et quelques chaises servent aux gardes de sécurité souvent zélés à interroger les voleurs à l’étalage.

C’est bien entendu le cas dans The Shoplifters, titre on ne peut plus indiscret de la pièce de Morris Panych. Comme il le dit lui-même dans le programme de la soirée : « I am always interested in little human stories, details that come and go… »; autrement dit « je me suis toujours intéressé aux histoires des petites gens, à tous ces details de la vie qui ne font que passer… ».

Soit, mais le théâtre doit dépasser la vie, transcender les apparences, maintenir une certaine crédibilité, éviter les gags faciles où, en ce soir de première, ont fait éclater la salle de rire.

Depuis le théâtre antique, les pièces étaient dirigées vers le grand public, sauf dans des cas extrêmes, et elles servaient d’outils pédagogiques pour apprendre aux gens à mieux vivre, ou du moins les conseiller. Nous sommes arrivés à un moment où on donne aux gens ce qu’ils veulent entendre et voir. Le cas des humoristes est un exemple édifiants.

Mais, pour le moment, passons! Tout compte fait, on assiste à une soirée sous le signe de la bonne humeur, mais qu’on oubliera vite puisqu’elle ne dépasse pas les lois de la gravité en termes de dramaturgie.

Mais avouons tout de même que dans The Shoplifters, nous avons devant nos yeux une Ellen David totalement transformée, habitée comme jamais auparavant par son personnage, véritable clou de la soirée, oscillant d’un registre à l’autre avec un naturel déconcertant. Belle, entière, rebelle, féministe, amoureuse et pourquoi pas, provocatrice. Face à elle, Michel Perron, comédien parfaitement bilingue qui, dans le cas qui nous presse, préfère l’humain aux codes rigides de la loi. Et il le fait avec un savoir-faire et un savoir-vivre hallucinants même si des sacres (en québécois) se glissent discrètement dans les parages. Entre Perron et David, une symbiose de tous les instants. Un partage affectif qui nous émeut.

Le bilingue Laurent Pitre imite le Jim Carrey des premiers temps jusqu’à se substituer à lui; et Marie-Ève Perron, avec tous les efforts voulus, se rend compte qu’elle n’est pas du tout dans son élément.

Une constatation : à Montréal, le théâtre anglophone utilise souvent des comédiens francophones bilingues et ceux-ci font en grande partie un travail excellent. Le contraire ne se produit pas du côté francophone. Bon, ça c’est une autre histoire qui rejoint l’état des lieux de la culture et des médias au Québec. Quelque chose de fragile et de pernicieux est en train d’avoir lieu, mais personne n’ose dire un traître mot.

Mais, pour le moment, passons! Tout compte fait, on assiste à une soirée sous le signe de la bonne humeur, mais qu’on oubliera vite puisqu’elle ne dépasse pas les lois de la gravité en termes de dramaturgie.

FICHE ARTISTIQUE

Texte
Morris Panych

Mise en scène
Morris Panych

Décors
Ken MacDonald

Costumes
Ken MacDonald

Éclairages
Alan Brodie
assisté de Eryn Griffith

Distribution
Ellen David (Alma), Laurent Pitre (Dom)\
Marie-Ève Perron (Phyllis), Michel Perron (Otto)

Durée
1 h 45
(Incl. 1 entracte)

Représentations\
Jusqu’au 7 avril 2019

Centaur.

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

2024 © SÉQUENCES - La revue de cinéma - Tous droits réservés.