5 mai 2025
POUR AVOIR EU LA CHANCE de rencontrer Francine Laurendeau dans le cadre de soupers réunissant l’équipe de Séquences sous la houlette de Léo Bonneville — il y a de cela fort longtemps—, le choix du titre de ce livre m’apparaît idoine. Car, en lisant les nombreux témoignages qu’il contient et dont plusieurs soulignent la profonde humanité de cette critique (épithète qu’elle n’a jamais trop aimée), les propos qu’elle m’avait alors tenus me sont revenus en mémoire. Pour Francine Laurendeau, en effet, le rôle principal du critique de cinéma est d’interroger une œuvre et non de manifester à son égard une virulence assassine, justifiée ou non. À ce titre, elle m’a rappelé indirectement George Sand, qui a défendu à son époque une littérature méliorative, refusant de se vautrer dans une fange facile et vulgaire où tous les coups romanesques étaient permis. Laurendeau, même si elle en a éprouvé parfois l’envie, évitait les œuvres qui ne lui parlaient pas, refusant elle-même d’en parler. De plus, elle tentait toujours de situer les films dans leur contexte historique. Comme l’écrit Stéphane Lépine en introduction, « elle n’était inféodée à aucune esthétique, aucune idéologie ou opinion épidermique » (p. 9). Ce qui ne l’empêchait pas d’avoir des idées bien arrêtées (plutôt à gauche), comme en témoigne son aventure infructueuse à Québec, en 1958. Avec deux condisciples, elle est allée cogner maintes fois à la porte de Maurice Duplessis pour lui faire état de revendications étudiantes. En vain, car le cheuf n’a même pas daigné recevoir le trio. Cet épisode a été évoqué bien plus tard, en 1990, dans L’Histoire des trois (1990), captivant documentaire signé Jean-Claude Labrecque (1).
Cette bienveillance naturelle, Laurendeau l’a pratiquée aussi dans une carrière parallèle, celle d’animatrice et de réalisatrice à la défunte Chaîne culturelle de Radio-Canada, puis à Radio Centre-Ville, lorsque les bonzes de la radio publique ont décidé de « moderniser » les émissions en remerciant leurs meilleurs communicateurs. Ça n’a pas été là la seule déconvenue de la fille d’André Laurendeau, ancien directeur du Devoir; ce journal l’a aussi remerciée, pour des raisons obscures, après 17 ans de service (de 1978 à 1995) et des centaines d’articles. Toutefois, elle a aussi collaboré à Cinéma Québec, Ciné-Bulles et Séquences ! Un parcours somme toute téméraire, selon Georges Privet, qui ajoute que Francine Laurendeau et son compagnon Jean-Claude Labrecque ont voulu laisser les traces d’« un pays sans mémoire » (p. 30), ce pays où la critique a souvent fait plutôt place au « billet d’humeur » (p. 31). Outre Privet, de nombreux proches témoignent, parfois trop brièvement, de leurs liens avec Francine, comme Jeanne Crépeau, Robert Daudelin, Marcel Jean, Roland Smith. Ces hommages alternent avec plusieurs textes publiés par Francine Laurendeau tout au long de sa carrière, dont de solides entrevues avec le compositeur Antoine Duhamel (en grande partie inédite), Louis Malle et Alain Resnais (pour Séquences), ainsi que Gilles Carle (pour Cinéma Québec). Contre vents et marées, elle n’a pas hésité à défendre ce dernier malgré l’échec critique et public de L’ange et la femme, en 1977. Idem avec Pour le meilleur et pour le pire de Claude Jutra, film éreinté par la plupart des journalistes en 1975. Quoi qu’il en soit, on ne peut qu’admirer la ténacité de Francine Laurendeau, qui n’hésitait pas à donner la parole à certains mal-aimés. Voilà d’ailleurs une de ses qualités premières : une rare capacité d’écoute, appréciée au fil de ses entrevues à Radio-Canada et à Radio Centre-Ville. Toutefois, l’entrevue la plus révélatrice reste celle, en quatre parties, que Stéphane Lépine lui a consacrée aux fins de ce livre. « J’aime les films qui nous font revisiter les grands problèmes sociaux ou politiques, affirme-t-elle, comme Ma nuit chez Maud de Rohmer, où l’on revoit le pari de Pascal » (p. 39). Un canevas passionnant pour celle qui se méfiait de ceux qui « affirm[ent] le primat de la mise en scène au détriment du sujet » (p. 16). Elle dit aussi avoir beaucoup admiré les cinéastes est-européens qui ont su déjouer la censure de l’époque précédant la chute du mur de Berlin.
Le livre — très réussi, malgré une page couverture un peu austère — se termine par un ultime témoignage, et non le moindre, celui de son frère Jean Laurendeau. Laissons aux lecteurs le soin d’en découvrir la teneur.
Note
(1) Film à voir ou à revoir sur le site Web de l’ONF.
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Francine Laurendeau, celle qui aime
Sous la direction de Stéphane Lépine
Éditions Somme toute
2024, 226 pages
Ce texte est initialement paru dans le numéro 341 de la revue (hiver 2025)
23 avril 2017
« Quelle est la place des femmes dans le cinéma québécois? » Telle est la question qui, d’entrée de jeu, sera posée par les auteurs Céline Gobert et Jean-Marie Lanlo à toutes celles interviewées. La récurrence de cette question ne lasse guère, puisque ces femmes du milieu cinématographique québécois répondent selon leurs spécialisations et expériences personnelles. Prendront la parole: les réalisatrices et scénaristes Chloé Robichaud (Pays, Sarah préfère la course, Féminin/Féminin), Sophie Deraspe (Le profil Amina, Les loups, Les signes vitaux, Rechercher Victor Pellerin), Isabelle Hayeur (La bête de foire, Le Golem de Montréal), Izabel Grondin (seize court métrages de genres), la directrice photo Jessica Lee Gagné, sans oublier la productrice et présidente-fondatrice de Go Films, Nicole Robert, puis la directrice générale de Québec Cinéma Ségolène Roederer. Suite
7 février 2017
À priori, on pourrait craindre qu’une série d’entretiens ne produisent qu’une vision parcellaire et trop subjective d’une cinématographie nationale. Pourtant, dans ce cas-ci, c’est tout le contraire qui se produit. La lecture de l’ensemble de ces «discussions» (comme le titre du livre l’indique) nous propose de prendre d’une façon cohérente, organique, le pouls de notre cinéma. Sa conclusion : nous avons un cinéma de qualité, mais qui demande à être questionné. Ce que les deux auteurs, Jean-Marie Lanlo et Martin Gignac font très bien. Suite
4 avril 2015
Depuis 1990, les films libanais – au nombre de deux ou trois par année – sont, pour la plupart, produits avec l’aide d’institutions européennes. Les thèmes récurrents sont la guerre, l’exil, l’Histoire du pays. Cependant, comme ce fut longtemps le cas au Québec, le cinéma libanais peine à trouver son propre public qui lui préfère, of course, les productions hollywoodiennes. Heureusement, certains festivals de pays avoisinants (Dubaï, Qatar…) lui ouvrent régulièrement leurs portes. Le mérite du petit livre d’Elie Yazbek, professeur de cinéma à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth), est de proposer un survol cinématographique des deux dernières décennies. Suite
Spécialiste notamment du cinéma américain des années 1970, Jean-Baptiste Thoret s’attaque, dans Les voix perdues de l’Amérique, au monument qu’est Michael Cimino, cinéaste de grand talent confiné au quasi-silence (seulement quatre longs métrages en plus de 30 ans), après l’accueil désastreux, aussi bien de la part du public que de la critique, de Heaven’s Gate en 1980. Depuis quelques années, l’œuvre de Cimino suscite toutefois à nouveau l’intérêt, surtout en France, où l’on a fini par reconnaître que Heaven’s Gate est un véritable chef-d’œuvre. L’entretien de Thoret se déroule sept ans après la parution de Conversations en miroir, où Cimino, à la demande d’une journaliste italienne, s’était prêté au jeu d’écrire une sorte de conversation avec lui-même où il devait se révéler.
Voilà l’ouvrage d’un universitaire qui en possède toutes les qualités mais non les défauts. Comme les bons ouvrages universitaires, il fait preuve d’une recherche exemplaire, appuyée sur des documents de première main. Mais il ne se perd pas dans des quantités inutiles de propos méthodologiques. L’ouvrage de Marc-André Robert va directement vers son propos, l’abbé Proulx. Et l’abbé Maurice Proulx en ressort comme un homme vivant, engagé, bien réel.
31 décembre 2014
RECENSION
>> Élie Castiel
Toujours dans la collection « Vert Paradis », nous avons droit cette fois-ci à nul autre que Luchino Visconti, dans le cinéma transalpin, le Prince incontesté des réalisateurs, pour son raffinement, son élégance, sa sobriété et sa prise de conscience politique subtilement exprimée. Et aussi pour l’expression byzantine de son orientation sexuelle dont on parle si peu, comme s’il s’agissait d’une affreuse infirmité. Suite
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