Recensions

Le cinéma québécois par ceux qui le font

7 février 2017

CINÉMA /
RECENSION
Texte : Pierre Pageau

POUR BIEN CONNAÎTRE
NOTRE CINÉMA NATIONAL

À priori, on pourrait craindre qu’une série d’entretiens ne produisent qu’une vision parcellaire et trop subjective d’une cinématographie nationale. Pourtant, dans ce cas-ci, c’est tout le contraire qui se produit. La lecture de l’ensemble de ces «discussions» (comme le titre du livre l’indique) nous propose de prendre d’une façon cohérente, organique, le pouls de notre cinéma. Sa conclusion : nous avons un cinéma de qualité, mais qui demande à être questionné.  Ce que les deux auteurs, Jean-Marie Lanlo et Martin Gignac font très bien.

Le cinéma québécois par ceux qui le fontLes propos des divers intervenants, bien que différents sur plusieurs aspects, se rejoignent souvent sur certains sujets précis, comme en particulier la question de la diffusion des films.  Au moins trois intervenants (Canuel, Martin, Mitrani) proposent que des écrans soient réservés pour la présentation de films québécois. Si cela n’est pas possible par des salles indépendantes, qui souvent font déjà œuvre de diffusion d’œuvres d’auteur, on pourrait demander que des écrans de certains multiplex aient l’obligation de faire cela. La survie des distributeurs indépendants est aussi évoqués ; ils sont le relais nécessaire entre les films et les écrans (les spectateurs).  La question du «conflit» entre cinéma d’auteur et cinéma commercial traverse aussi plusieurs questionnements. Mais, pour les cinéastes rencontrés ici, cela n’est pas un vrai problème. La qualité et la diversité des œuvres priment. On évoque souvent des cinéastes québécois qui ont réussi cela, au Québec ou à l’étranger. Les cinéastes citent souvent les films de Xavier Dolan, Jean-Marc Vallée ou Denis Villeneuve, comme exemples de synthèses harmonieuses entre un cinéma personnel et un cinéma grand public.

Une seule femme cinéaste prend la parole, Catherine Martin. C’est vraiment peu, mais son témoignage est solide et questionne, plus que les autres, la question d’un cinéma «national». En tant que femme, poursuivant de plus une démarche extrêmement rigoureuse, elle a osé, voire même risqué. Martin incarne donc très fortement cet aspect du cinéma québécois ; il est présent chez tous les cinéastes rencontrés mais cela ressort d’une façon plus claire avec son témoignage.  De tous les cinéastes rencontrés, le plus critique envers le fonctionnement général de notre cinéma, voire même envers certains de ses confrères du milieu, c’est Rafaël Ouellet. En fait, il a quelques coups de griffes très salutaires, comme sur la question du trop grand individualisme de certains cinéastes (pourtant le livre donne l’effet contraire en général). Il insiste sur la nécessité d’une grande diversité des sujets, des approches filmiques ; il dit même que le «cinéma direct» est «fini». Il faut lire le chapitre complet de Rafaël Ouellet pour bien saisir toute la cohérence et l’intérêt de ses critiques. Tous les cinéastes d’ici devraient voir plus de films du Québec. Bref, un peu comme Mitrani, il répond très franchement aux questions et cela donne un ouvrage encore plus vivant.  Quiconque a une vision historique de notre cinéma, depuis au moins les années soixante jusqu’à aujourd’hui, sait très bien que le livre de Jean-Marie Lanlo et Martin Gignac dépeint la situation des années 2000.

Il y a aujourd’hui de solides organismes de production,
de diffusion. Est-ce suffisant ? Certaines années, notre
cinématographie ne rejoint que très peu ses spectateurs.
Dans leur conclusion les auteurs vont aussi formuler le
rêve qu’un ouvrage comme le leur puisse amener de
nouveaux spectateurs au cinéma, en particulier
pour découvrir la richesse du cinéma québécois.

Il y a aujourd’hui de solides organismes de production, de diffusion. Est-ce suffisant ? Certaines années, notre cinématographie ne rejoint que très peu ses spectateurs. Dans leur conclusion les auteurs vont aussi formuler le rêve qu’un ouvrage comme le leur puisse amener de nouveaux spectateurs au cinéma, en particulier pour découvrir la richesse du cinéma québécois.

L’intérêt certain du livre vient du fait que les auteurs connaissent bien notre cinématographie.  Ils connaissent les cinéastes et ils connaissent ce que leurs œuvres peuvent représenter dans le paysage global de notre cinéma.  Bref, leur regard de «connaisseurs» se superpose bien à celui des cinéastes. Cela peut leur permettre de relancer certaines questions précises pour obtenir plus de précisions.  Ces précisions sont nécessaires pour l’argumentaire général du livre mais aussi pour que le lecteur puisse bien dégager la richesse et la complexité du cinéma québécois des années 2000.

•  Martin Gignac, Jean-Marie Lanlo
Le cinéma québécois par ceux qui le font :
Discussions avec Érik Canuel, Catherine Martin, Charles-Olivier Michaud, Noël Mitrani, Kim Nguyen et Rafaël Ouellet
Montréal : L’instant même, 2016
(Collection « L’instant ciné »)
160 pages

 

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