Recensions

Dans la caméra de l’abbé Proulx : La société agricole et rurale de Duplessis

4 avril 2015

Parcours d’un cinéaste engagé

Pierre Pageau
RECENSION

Dans la caméra de l'abbé ProulxVoilà l’ouvrage d’un universitaire qui en possède toutes les qualités mais non les défauts. Comme les bons ouvrages universitaires, il fait preuve d’une recherche exemplaire, appuyée sur des documents de première main. Mais il ne se perd pas dans des quantités inutiles de propos méthodologiques. L’ouvrage de Marc-André Robert va directement vers son propos, l’abbé Proulx. Et l’abbé Maurice Proulx en ressort comme un homme vivant, engagé, bien réel.

Quiconque s’intéresse à l’Histoire du cinéma québécois connaît l’abbé Maurice Proulx, un des nombreux prêtres qui firent du cinéma durant la période 1930-1950. Une petite plaquette publiée lors d’une « Rétrospective Maurice Proulx » en 1978 demeure un ouvrage de référence. Yves Lever y a publié des textes (ouvrages et conférences) sur la question du cinéma et de la religion au Québec. Marc-André Robert nous a lui-même donné un aperçu de sa recherche dans un article publié dans la revue Séquences no 262. Il y qualifiait l’abbé Proulx à la fois de militant (bien compréhensible) et d’« opportuniste ». Ce concept d’opportunisme peut surprendre, mais il s’agit en fait de bien saisir comment l’abbé Proulx a su naviguer en eaux (politiques) troubles, ayant dû composer aussi bien avec un Premier ministre libéral et progressiste (Adélard Godbout) qu’avec un autre, unioniste conservateur (Maurice Duplessis). Mais c’est avec cet ouvrage que Marc-André Robert nous livre, enfin, l’essentiel de sa recherche. Il réussit à faire un portrait juste et complet de l’abbé Proulx, aussi bien l’homme que le prêtre, l’agronome que le travailleur social et, surtout, le cinéaste.

Marc-André Robert a une formation d’historien et cela le sert particulièrement bien lorsque vient le temps de dépeindre la société rurale québécoise des années d’avant la Révolution tranquille. Ces années que l’on a qualifiées, parfois d’une façon un peu trop simpliste, d’années « noires », celles de Maurice Duplessis. Et cela est absolument nécessaire pour bien comprendre le genre de cinéma que l’abbé Proulx va pratiquer.

L’abbé Proulx va pratiquer un cinéma pédagogique; l’enseignant qu’il est trouve là une bonne façon de rejoindre les populations en régions. Cela est très évident avec son premier film important En pays neufs : un documentaire sur l’Abitibi (1937), premier long métrage documentaire sonorisé du Québec. Ce film, comme un ensemble d’autres de la période 1930-1955 (aussi bien fictions que documentaires), valorise des valeurs associées à la période duplessiste : famille, religion, unité de pensée. Plusieurs prêtres (Maurice Proulx, mais aussi Albert Tessier, Jean-Philippe Cyr ou Thomas-Louis Imbeault) vont se servir du cinéma pour valoriser ces valeurs, celles de notre vie paysanne ou de la vie au foyer. Mais alors, quelle est la place spécifique de Maurice Proulx ?

L’ouvrage de Marc-André Robert réussit à bien situer les films dans leur contexte tout en énonçant des éléments qui font des films de Proulx un inventaire critique de la société qui l’entoure. Selon la recherche de Marc-André Robert, il apparaît que l’abbé Proulx a toujours voué un attachement plus grand aux valeurs de la Foi que celles que l’on pourrait avoir pour l’Église (institutionnelle) comme telle. Ce faisant, il était synchrone avec les comportements des Canadiens-français des années 1945-1960 et du laïcat catholique de l’époque (lui-même grandement inspiré par ce qui se pratique en France). Le Québec vit un moment de transition et, déjà en partie, de rupture avec plusieurs éléments du passé.

Le cinéma de Proulx peut être qualifié de « propagande » (concept codifié par l’Église catholique). Cette propagande ne repose pas que sur des stratagèmes émotifs, mais aussi sur une approche rationnelle de la modernité que le Québec est en train de découvrir. Marc-André Robert parle d’un cinéma « pragmatique » parce que Proulx, ayant eu une formation scientifique et professionnelle, met son cinéma au service d’une amélioration de l’éducation populaire au Québec. Plusieurs de ses films contribuent à un enseignement scientifique et professionnel de qualité. Ce faisant, il participe à sa façon aux soubresauts de la modernité au Québec. En résumé, Maurice Proulx ajoute quelques petites lumières dans la « grande noirceur » de l’époque duplessiste. Marc-André Robert contredit donc, au moins en partie, la thèse très répandue de Proulx comme cinéaste clérico-traditionaliste, dont l’œuvre n’aurait eu qu’un rôle d’endoctrinement religieux.

L’ouvrage, tout en s’intéressant principalement au travail de l’abbé Maurice Proulx, n’oublie pas de mentionner un ensemble de collaborateurs qui furent essentiels aussi à la confection de son œuvre. Signalons, en terminant, que la documentation visuelle est très riche.

Marc-André Robert
Dans la caméra de l’abbé Proulx :
La société agricole et rurale de Duplessis

Québec : Septentrion, 2013
236 pages

 

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