Mot de la rédaction

No 330 – Les tribulations d’un aspirant court métragiste

18 avril 2022

J’ai réalisé un court métrage. Vous n’en avez probablement jamais entendu parler et c’est très bien comme ça. Pas qu’il soit particulièrement gênant. Il a fait deux ou trois festivals, on m’en a parfois dit du bien, j’ai parfois cru déceler qu’on en pensait du mal. Mes expériences de critique et de programmateur m’ont heureusement prémuni des craintes que doivent partager la plupart des artistes au moment d’exhiber leur « p’tit dernier ». Mon distributeur l’a vendu à la télévision et au Web, et continue — à ma grande surprise — de m’envoyer, de temps à autre, un chèque. Pour un premier film produit et réalisé de manière indépendante, sans grands moyens, les bénéfices ont été, toute proportion gardée, respectables. Assez pour alimenter le désir d’en faire un deuxième. Mais il ne s’est rien passé, sinon l’inexorable cours de la vie. Les semaines de réflexion et d’hésitation sont devenues des mois; les mois, des années. D’autres projets, dont cette revue, ont pris l’avant-scène, reléguant cette « volonté » de faire du cinéma aux mêmes tiroirs qui accueillent depuis mon adolescence mes pires idées de scénario.

J’écris « volonté » entre guillemets parce que je n’ai jamais particulièrement voulu être un réalisateur. Mais l’idée de faire un film m’avait toujours — à différents degrés d’insistance — trotté dans la tête. À l’aube de la trentaine, j’ai senti que c’était le moment ou jamais. Peu importe qu’il soit génial. Peu importe qu’il soit mauvais. Peu importe qu’il m’apporte la gloire éternelle ou me foute la honte à jamais, j’allais faire un film ! Il ne me restait plus qu’à l’écrire, qu’à arrêter mon choix sur une équipe de techniciens chevronnés, qu’à sélectionner des comédiens (le plus important), qu’à établir un horaire de tournage (et convaincre des gens pratiquement bénévoles de se lever à 6 h du matin un samedi pour tourner l’histoire de deux jeunes adultes qui vont peut-être tomber en amour dans un appartement… la joie !), qu’à le tourner, qu’à gérer sa postproduction, qu’à le terminer pour de bon et lui trouver un distributeur. Et tout ça, avec mes économies. Mais ce capharnaüm n’est rien quand tu vois déjà ton nom et celui de ton film dans les programmes des plus prestigieux festivals de courts métrages du monde. Les étoiles dans les yeux, comme on dit.

Je parle de tout ça parce que le numéro que vous tenez dans vos mains est consacré au court métrage au Québec. J’en parle parce que, un matin de novembre de 2017, une équipe de tournage les yeux un peu collés a attendu que je lance le premier « Action ! » d’un projet assez fou et insensé, mais qui existe aujourd’hui. J’ai le lien Vimeo pour vous le confirmer. J’en parle parce que je sais parfaitement ce que ça exige d’effort et de sueur, de fatigue et d’incertitude, de faire un film. Pendant un très bref laps de temps, j’ai fait partie de la bande. « One of us, one of us, » chantaient en cœur les bêtes de foire dans Freaks de Tod Browning. Parce que, oui, les gens qui font du cinéma sont anormaux. Hypothéquer sa santé mentale et physique pour raconter des histoires ? Oui oui, rien de plus sensé !

En admettant que Minuit à l’oasis (c’est le titre de mon court, ça) soit ma seule aventure dans le merveilleux monde de la mise en scène, qu’en ai-je retenu ? Difficile à dire. Suis-je aujourd’hui un meilleur critique et programmateur d’avoir saisi, par l’expérience, que même le plus modeste petit court métrage du monde ne peut se faire sans un minimum de passion ? La passion suffit-elle à rendre une œuvre importante, bonne, ou même modérément divertissante ? Est-ce que tous les membres de l’Association québécoise des critiques de cinéma devraient au moins réaliser un court métrage avant de recevoir leur carte de membre, question de mettre les choses en perspective ? Je sais que cela a été pour moi un incroyable exercice d’humilité. Je sais surtout que l’expérience a ravivé la flamme du cinéphile en moi. Je sais que, mesurant mieux l’énergie nécessaire pour réussir un simple et bête champ-contrechamp, chaque film est, au fond, un petit miracle en soi. Même les courts métrages que vous ne verrez probablement jamais.

JASON BÉLIVEAU — RÉDACTEUR EN CHEF

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