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Twenty-Seven

25 mars 2019

CRITIQUE
| ART LYRIQUE |

Élie Castiel

★★★★

EN TOUTE INTIMITÉ

Cette troublante et intègre nouvelle production de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal suscite l’intérêt et encore plus la curiosité par sa proposition inusitée. La relation entre Gertrude Stein et Alice B. Toklas a été peu relatée dans les arts de la représentation, et encore moins dans l’art lyrique. L’entreprise procure chez les spectateurs à la fois controverse, enchantement, surprise bien entendu et attention, toutes orientations sexuelles confondues.

Et le fait que le récit se passe vers le milieu du siècle dernier rend l’ensemble encore plus exaltant, voire même tonique et séduisant. Le livret de Royce Vavrek accumule jeux de mots et conversations banales, racontant des instants de vie de quelques artistes de l’époque. Stein, celle par qui le succès arrive aux autres (ou le contraire peut-être). Son physique (qu’on imagine), son visage, sa gouaille à décortiquer certaines vérités, son goût du bel art et de la musique sérieuse. Et puis sa conjointe (comme on dirait maintenant), Alice B. Toklas, elle aussi juive-américaine établie à Paris, capitale, à l’époque, des libertés individuelles, de la débauche mesurée considérée comme un des beaux-arts, mais second violon dans le couple. Elle s’occupe de tout tandis que Gertrude pense, réfléchit et se questionne sur le monde. Même lorsqu’elles échappent toutes deux aux nazis dans des conditions troubles.

Des amis comme Picasso, Scott Fitzgerald, Leo Stein, Matisse, Man Ray et Ernest Hemingway, sur qui elles ne partagent pas nécessairement la même sympathie pour l’un ou pour l’autre sont des habitués du salon. Absence de femmes, du moins dans cet opéra de chambre brillamment accompli au niveau de la voix. C’est une constatation dans les deux cas. Toutes moins poussées que dans les grandes salles, dans des opéras traditionnelles. Sur la petite scène du Centaur, tout cela est exquis.

Magnifique décors de Simon Guilbault où le minimalisme du salon des Stein-Toklas épouse les tableaux vierges de diverses dimensions où on devine le contenu, sauf vers la fin alors que le très beau Gertrude picassien les anime tous.

Rose Naggar-Tremblay (Gertude) et Andrea Núñez (Alice) – Crédit photo : © Yves Renaud

Côté-Toklas, rien à reprocher. Andrea Núñez demeure constamment touchante, parfois ludiquement et doucereusement perverse dans ses rapports à certains visiteurs et promet des mouvements sur scène tout à fait dignes. Et puis Rose Naggar-Tremblay, trop élégante, corps de mannequin, éloignée de la véritable Gertrude Stein; à tel point qu’il nous est impossible d’y croire. Mais elle conserve un jeu qu’elle maîtrise avec soin et assure avec doigté les diverses variations vocales. On s’y habitue à ces imperfections et on s’attache à son personnage, et aux autres il va s’en dire.

Un bémol. Le panneau des surtitres en français et en anglais, comme à l’Opéra, aurait dû être placé au fond de la scène, quitte à réduire la verticalité du décor mural. À la première rangée, on a simplement arrêté de lire, de peur d’engendrer des torticolis. C’est aussi vrai à la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.

Petite salle du Centaur pleine à craquer ce dimanche après-midi et on comprend l’enthousiasme pour un tel sujet. Ce que de nos jours on s’évertue encore à appeler « normalité » n’attire plus autant les spectateurs. Le compositeur Ricky Ian Gordon, dont les airs de chambre amusent, sidèrent, enchantent et animent nos sens, et le librettiste Royce Vavrek ont conçu un couple lyrique intime, de salon (pour certains, de chambre), art de la représentation qu’ils ont agrémenté, en filigrane, au goût du jour.

Mais une chose est claire : il est important que le sens du vrai art revienne dans notre conscient collectif à une époque où le populisme mondial ambiant continue de plus belle à pulvériser sur son passage tout ce qui a fait les heures de gloire du bon goût, de la pureté et de la subtilité. Et surtout se dire que ce sont les spectateurs qui doivent s’intégrer aux bons artistes et à leurs créations et non pas le contraire. À tout entendeur, salut!

Magnifique décors de Simon Guilbault où le minimalisme du salon des Stein-Toklas épouse les tableaux vierges de diverses dimensions où on devine le contenu, sauf vers la fin alors que le très beau Gertrude picassien les anime tous.

OPÉRA EN UN PROLOGUE ET CINQ ACTES

ÉQUIPE DE CRÉATION

Musique
Ricky Ian Gordon

Livret
Royce Vavrek

Mise en scène
Oriol Thomas
assisté de Mélissa Campeau

Directrice musicale et pianiste
Marie-Ève Scarfone

Violoncelle
Stéphane Tétreault

Décors
Simon Guilbault

Éclairages
Martin Sirois

Vidéo
Félix Fradet-Faguy

Costumes
Oleksandra Lykova

Distribution 
[ représentations du 24 et 31 mars ]
Rose Naggar-Tremblay (Gertrude Stein)
Andrea Núñez (Alice B. Toklas)
Sebastian Haboczki (F. Scott Fitzgerald)
Nathan Keoughan (Leo Stein)
Pierre Rancourt (Matisse)
Scott Brooks (Man Ray)

Production
Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal

Durée
2 h
(incluant 1 entracte)

Représentations
Mardi 26, jeudi 28 et samedi 30 – 19 h 30
Dimanche 31 mars – 14 h

Centaur
(Petite salle)

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [Entre-deux-cotes]

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