1er novembre 2022
Avec cette 28e édition à la programmation touffue et alléchante et une liste d’invité.e.s assez exceptionnelle, le festival Cinemania se positionne clairement dans la lignée des grands rendez-vous francophones européens, comme ceux du Festival international du film francophone de Namur et du Film francophone d’Angoulême. Nous pourrions même affirmer que Cinemania joue du coude avec les Rendez-Vous Québec Cinéma, affichant une sélection québécoise bonifiée à onze titres, en plus d’une vaste sélection de courts métrages québécois. À lui seul, tout l’espace accordé au cinéma du Luxembourg vaut assurément le détour. Nous attendons impatiemment les nouvelles œuvres de Valéria Bruni-Tedeschi, Christophe Honoré, Dominik Moll, Mia Hansen-Løve, Lukas Dhont et d’Ursula Meier. Avant de pouvoir les découvrir, voici quelques longs métrages à ne pas manquer que nous avons eu la chance de voir.
Au grand jour (Emmanuel Tardif, Québec)
Sans tambour ni trompette, Emmanuel Tardif nous arrive déjà avec son troisième long métrage complètement indépendant, le mystérieux Au grand jour. Après les inégaux Speak Love et Soumissions, deux films pleins de défauts pourtant portés par un évident désir cinématographique, Tardif confirme les espoirs des plus fins observateurs à son égard. Au grand jour est l’une de ces œuvres qui se résume très mal, principalement parce que l’histoire flotte au-dessus de nos têtes. Cette famille aisée complètement dysfonctionnelle voit son fragile équilibre bouleversé davantage par l’arrivée du bébé d’Hélène, mère adolescente qui plaque tout pour partir à la recherche du père. En même temps, l’opulente maison de banlieue et sa piscine intérieure sont autant des personnages que les excellents comédiens et comédiennes, menés par la talentueuse étoile montante qu’est Amaryllis Tremblay. Avec Au grand jour, Emmanuel Tardif explore des territoires narratifs peu fréquentés dans le cinéma québécois, celui d’un mal intangible, aux échos du cinéma de Yorgos Lanthimos et de David Lynch.
As Bestas (Rodrigo Sorogoyen, France/Espagne
Nous aurons la chance de voir l’excellent Denis Ménochet dans quatre films sélectionnés cette année (aussi dans Chien blanc, Peter Von Kant et Les survivants), un acteur au sommet de son art présentement. Il porte en lui une charge dramatique bouillonnante, comme un volcan tranquille qui pourrait exploser à tout moment, mais capable aussi d’une sensibilité à fleur de peau. Dans As Bestas, second opus du cinéaste espagnol Rodrigo Sorogoyen qui nous avait épaté avec son Madre en 2019, Ménochet et Marina Foïs forment un couple français qui s’installent en Galice, dans la campagne espagnole. Leur refus d’accepter l’installation d’éoliennes dans ce hameau, les mettra en vive opposition avec des voisins mal intentionnés. Un drame aride, qui s’installe dans notre corps de spectateur comme un lent venin, As Bestas est d’une redoutable efficacité et mené par un ensemble d’acteurs et d’actrices irréprochables.
L’innocent (Louis Garrel, France)
Avec L’innocent, quatrième long métrage de Louis Garrel, le moins que l’on puisse dire c’est que le comédien ne se répète jamais derrière la caméra. Depuis Deux amis, Garrel semble vouloir explorer différents genres, se laissant porter par une inspiration du moment. Cette fois-ci, il nous propose une comédie policière un brin nostalgique, comme celles que le cinéma français nous proposait dans les années 70 et 80, où le crime côtoyait l’humour sans trop tomber dans la dramatisation inutile des situations, misant sur l’amitié et les confrontations entre les personnages. Porté par un sympathique quatuor devant sa caméra, il se met en scène entouré de Roschdy Zem, Noémie Merlant et d’une actrice que nous avions presqu’oubliée (et qui fait un retour remarqué dans trois films de cette édition, dont aussi Tromperie et La nuit du 12), Anouk Grinberg. Un réel bonheur de les suivre tous les quatre dans cette histoire de vol de caviars en famille.
L’origine du mal (Sébastien Marnier, France/Québec)
Il y a dans le cinéma de Sébastien Marnier une quête perpétuelle de ses personnages, d’un travail (Irréprochable), de l’approbation d’un groupe (L’heure de la sortie) et maintenant d’une figure paternelle. La toujours excellente Laure Calamy joue Stéphane, une femme qui retrouve son père, un homme richissime vivant coupé du monde avec sa femme ingrate et ses deux filles. Beaucoup de mensonges et de jeux de miroir nourrissent ce scénario plein de surprises, flirtant avec le cinéma de genre sans y plonger complètement. Marnier dirige à merveille un casting cinq étoiles, avec les vétérans Jacques Weber et Dominique Blanc, et aussi Doria Tellier et la québécoise Suzanne Clément. Mais encore une fois, c’est Laure Calamy qui fait osciller le plus nos émotions, variant avec finesse son impressionnant registre. Mise en musique par Pierre Lapointe et Philippe Brault, L’origine du mal nous plonge au cœur d’un mal être collectif, où l’union n’est pas nécessairement la force.
Rodéo (Lola Quivoron, France)
Parmi les jeunes cinéastes français à surveiller dans les prochaines années, le nom de Lola Quivoron figure au haut de la liste. En reprenant les idées embryonnaires de son court métrage Au loin, Baltimore sorti en 2016, Quivoron enrichit ses esquisses autour de la pratique illégale du « cross-bitume », surtout grâce à une héroïne forte et frondeuse. C’est la nouvelle venue Julie Ledru qui assure sans flancher le rôle de Julia, cette vingtenaire habituée aux sports équestres qui se fascinera pour ces rodéos urbains. Évitant tous les pièges que lui tendaient son scénario, Lola Quivoron ne coupe pas les coins ronds, nous offrant une réalisation soignée juste assez rugueuse, avec une subtile touche de poésie. Une belle complicité et confiance entre une réalisatrice et son actrice, Rodéo est assurément l’une des belles surprises de cette 28e édition.
Pour la programmation complète, visitez le festivalcinemania.com. Bon festival!
5 octobre 2022
Après un 50e anniversaire hybride, en salle et en ligne, le Festival du Nouveau Cinéma se concentre uniquement au grand écran, à notre plus grand bonheur. La pandémie n’est pas encore terminée, mais les assouplissements nous permettent enfin de nous réunir à nouveau pour communier devant les œuvres des cinéastes des quatre coins du globe. Durant les 11 prochains jours, à vous de piger parmi les 291 films provenant de 49 pays. Pour vous aider, voici quelques suggestions de longs métrages que j’ai eu la chance de voir avant la soirée d’ouverture, qui présentera en primeur Falcon Lake de Charlotte Lebon, qui fait la couverture de notre plus récent numéro.
A Piece of Sky (Michael Koch, Compétition internationale, Suisse)
Deuxième long métrage de l’acteur et réalisateur suisse Michael Koch, A Piece of Sky séduit par son rythme qui suit celui des montagnes et de ses éléments. Cette histoire d’amour entre une fille du village et un costaud peu bavard qui vient de l’extérieur profite des majestueux décors pour que nous puissions y croire. Koch ne brusque rien, il fait confiance à ses comédiens, dont plusieurs non-professionnels, pour nous plonger dans le drame à venir. Évitant les clichés et préférant nous surprendre au bon moment, A Piece of Sky s’est mérité une mention spéciale du jury à la dernière Berlinale.
Cette maison (Myriam Charles, Compétition internationale, Québec)
Dans cet hommage à sa cousine morte beaucoup trop tôt, la cinéaste québécoise Myriam Charles poursuit avec succès sa démarche poétique entamée dans ses précédents courts métrages. Partant d’une thématique sombre, Myriam Charles construit un magnifique rêve éveillé où Tessa, 14 ans, reprend vie, interprétée par l’excellente Shelby Jean-Baptiste. Si le cinéma québécois abuse parfois du deuil comme trame narrative, Myriam Charles lui insuffle une force créative peu commune, un désir de vivre pour sublimer la mort.
Dos Estaciones (Juan Pablo González, Panorama international, Mexique)
Il y a des visages au cinéma qui sont de véritables livres ouverts, racontant à eux seuls une bonne partie de l’histoire. C’est le cas de celui de la comédienne Teresa Sánchez, qui porte dans son personnage de Maria, à la fois la réussite passée et l’effondrement à venir de son usine de téquila. Dos Estaciones nous consume lentement, comme la brûlure d’une gorgée de cet alcool à base d’agave bleu. Juan Pablo González impressionne par sa maîtrise et surtout sa retenue, ne cédant jamais par excès. Un nouveau cinéaste à suivre de très près, qui a compris rapidement que tout doit être fait pour nourrir son récit, et non l’inverse.
Klondike (Maryna Er Gorbach, Panorama international, Ukraine)
Le cinéma ukrainien fera sa marque durant ce FNC avec quatre productions présentés en exclusivité. Le seul réalisé par une femme, Klondike frappe fort et ne laissera personne indifférent. En utilisant l’écrasement du vol de la Malaysia Airlines en juillet 2014 au centre de son scénario, la réalisatrice Maryna Er Gorbach critique avec panache les atrocités de la guerre. La région du Donbass devient alors le théâtre d’anticipation des événements actuels du conflit ukraino-russe, menée par une cinéaste qui nous crie sa rage à travers sa caméra.
De Humani Corporis Fabrica (Verena Paravel & Lucien Castaing-Taylor, Les nouveaux alchimistes, France)
Entre le film d’horreur pour certains et de fascination pour d’autres, le duo Paravel/Castaing-Taylor nous en met encore une fois plein la vue avec De Humani Corporis Fabrica. Les cinéastes, qui nous avaient secoué il y a dix ans avec l’impressionnant documentaire Leviathan sur un bateau de pêche, nous amène cette fois-ci littéralement sous la peau humaine. À l’aide de caméras miniatures, nous suivons diverses opérations de l’intérieur du corps, tout en entendant les commentaires des chirurgiens à l’œuvre. Orgie de fluides et de multiples conduits, il faut avoir le cœur solide pour garder les yeux ouverts. Mais les oreilles captent bien l’état du monde dans lequel tout ce « spectacle » se décline.
Women Talking (Sarah Polley, Les incontournables, États-Unis)
Il y a déjà 10 ans, Sarah Polley nous offrait son puissant Stories We Tell, mais l’attente pour Women Talking est récompensée au centuple. La cinéaste canadienne nous confronte aux mots (et maux) de ces femmes meurtries qui vivent isolées dans une communauté religieuse. Cette métaphore, qui dénonce le patriarcat et la culture du viol, résonne fortement aujourd’hui, à travers les paroles des personnages. Menée par les solides performances de Rooney Mara, Claire Foy et Jessie Buckley, Women Talking est déjà l’un des films favoris pour la prochaine cérémonie des Oscars. Un film nécessaire et précieux.
Les nuits de Mashhad (Ali Abbasi, Temps Ø, Danemark)
En 2018, un film a marqué tous ceux et celles qui ont pu le voir, Border, du cinéaste irano-dannois Ali Abbasi. Dans Les nuits de Mashhad, le réalisateur s’intéresse à un tueur en série qui a sévi en 2000 et 2001, un homme voulait purifier les rues de cette ville sainte iranienne, en se débarrassant des prostituées. Nous y suivons une jeune journaliste (jouée avec assurance par Zahra Amir Ebrahimi, prix d’interprétation féminine au dernier Festival de Cannes) qui tente par tous les moyens de coincer ce monstre qui se croit en mission divine. Film frontal et brutal, Ali Abbasi a choisi de n’épargner personne pour mieux révéler un système étatique qui ne protège pas les femmes.
Pour toute la programmation, visitez le nouveaucinema.ca. Bon festival!
30 avril 2022
Fokus Québec, une sélection de court métrages québécois présentés au Festival International du court-métrage de Dresde en Allemagne (Filmfest Dresden) depuis 2006, est devenu un favori du public. Cette année, ce fut le premier des 40 programmes à afficher complet les deux soirs. Seul festival au monde à présenter annuellement un programme entièrement québécois, le Filmfest Dresden permet à de jeunes créateurs de chez nous de faire connaître leurs œuvres en Allemagne et en Europe de l’Est. La participation de la SODEC et du Bureau du Québec à Berlin y est cruciale, non seulement pour la sélection des œuvres, mais aussi pour faire venir les artistes. Le Fokus Québec 2022 présentait huit courts métrages sélectionnés par Caroline Monnet, première curatrice issue des Premières Nations (voir notre entrevue avec Caroline Monnet sur le site).
Fokus Québec prit son envol en 2006, quand Robin Malik, le directeur du Filmfest Dresden de l’époque, et Manuel Feifel, chargé des relations institutionnelles du Bureau du Québec à Berlin, se rencontrèrent pour regarder comment le cinéma québécois — et particulièrement le court métrage — pouvait être mieux représenté à Dresde. Robin Malik était bien disposé à cet égard : également directeur du Festival du film francophone de Dresde, il avait vu auprès du public allemand le succès de films québécois tels que La face cachée de la lune (Robert Lepage, 2003), Les invasions barbares (2003) de Denys Arcand et La grande séduction (2003) de Jean-François Pouliot. Le film de Pouliot avait d’ailleurs remporté le prix du public des festivals de films francophones à Tübingen ainsi qu’à Dresde. « Sans même qu’on ait eu besoin de manipuler les urnes! » nous avait commenté à l’époque Damien Chapuis, l’un des organisateurs du festival de Dresde, dont c’était de loin le film préféré.
C’est bien avant 2006 que le Québec avait commencé à faire sa cour auprès du public dresdois, surtout grâce aux films d’animation de l’ONF. « Il y avait déjà des présences régulières depuis un moment, mais pas de manière si structurée », explique M. Feifel, rencontré à l’occasion du Filmfest. « Et après il y a eu le contexte de la mission du Premier Ministre Jean Charest en 2006. À cette occasion, la SODEC a signé une entente de déclaration avec le festival de Dresde, dans l’intérêt de promouvoir le court métrage québécois ici et le court-métrage saxon au Québec. En 2007, le premier Fokus Québec a eu lieu et depuis le festival de Dresde continue à s’intéresser aux courts métrages québécois. Nous, de notre côté (au Bureau de Berlin), on a toujours continué à nous intéresser aussi, on trouve que le festival fait un excellent travail. Nous en sommes maintenant à la 16e édition.»
Fokus Québec est toujours présenté les mercredi et vendredi soir au Cinéma Thalia, sans doute le cinéma de quartier le plus sympathique en ville, dont la programmation alterne cinéma de répertoire et films primés. Avec ses fenêtres ouvertes sur la rue grouillante de jeunes, son bar sympa (où on peut fumer), ses boiseries RDA, ses excellents cocktails et sa salle douillette, c’est le meilleurs rendez-vous à Dresde pour discuter de cinéma.
La SODEC avait fait venir cette année cinq cinéastes du Québec. En plus de la curatrice Caroline Monnet, les Dresdois purent ainsi sympathiser avec Sébastien Aubin venu présenter Hide (2014), Alisi Telengut (La grogne, 2021) et Maxime Corbeil-Perron (Origami, 2021). En Compétition internationale, le public a eu l’occasion de rencontrer la cinéaste Miryam Charles (Chanson pour le nouveau monde, 2021). Mme Élisa Valentin, chef de la Délégation générale du Québec à Munich, présenta le Fokus Québec en allemand et en français. La sélection des courts métrages de Caroline Monnet, intitulée Carefully Crafted Silences (Silences soigneusement élaborés) proposait un regard différent sur le Québec moderne, par le biais de ses enfants. Rae (Kawannáhere Devery Jacobs, 2017) offrait une rare perspective, celle d’une petite fille Mohawk élevée par une mère schizophrène, sujet souvent tabou au sein des Premières Nations. La coupe (Geneviève Dulude-De Celles, 2014) et Les grandes claques (Annie Saint-Pierre, 2020) montraient de façon originale le drame d’enfants forcés de passer du temps avec leurs pères nouvellement divorcés et visiblement dépassés par leur esseulement. Alisi Telengut, dont le Fokus Québec 2021 avait présenté le très beau film d’animation The Fourfold (2020) inspiré de sa grand-mère mongole, revenait cette année avec La grogne (2021) une jolie animation un peu loufoque montrant un enfant cherchant à gagner l’attention de son père. Tourné au Maroc, Mohktar (Halima Quardini, 2010) racontait l’histoire d’un petit berger qui, ayant trouvé un jeune hibou blessé, décide de le soigner au grand dam de son père pour qui cet oiseau est de mauvais augure. No Crying at the Dinner Table de Carole Nguyen (2019) était un documentaire pénétrant sur l’expression de l’amour et des émotions entre les parents et les enfants au sein de la communauté vietnamienne. Plus expérimentaux, les très courts films Hide de Sébastien Aubin sur une peaux de caribou et Origami de Maxime Corbeil-Perron, se situant entre le cinéma d’animation et le concept cinématographique pur, s’avalaient comme des trous normands entre deux plats de solides émotions. Une belle sélection, en somme, offrant des perspectives intimes sur le Québec d’aujourd’hui.
27 avril 2022
Le Québec avait envoyé cette année cinq jeunes cinéastes au Filmfest Dresden, dont Caroline Monnet, première curatrice du Fokus Québec issu des Premières Nations. En plus de faire la sélection des films, Caroline présentait ses œuvres à la galerie Raskolnikov de Dresde, un bar-galerie branché du populaire quartier de Neustadt, cœur du festival. Nous l’avons rencontrée pour discuter de ses œuvres et du contenu du Fokus Québec.
Propos recueillis par Anne-Christine Loranger
Anne-Christine Loranger : Caroline, que voit-on de tes œuvres, ici, à la galerie Raskolnikov?
Caroline Monnet : C’est une installation multimédia, deux courts métrages (Mobilize, 2015 / Tshiuetin, 2016) sur moniteurs télé, plus une projection d’une animation réalisée en noir et blanc inspirée de motifs anichinabés (nation algonquine), donc de ma nation, ainsi qu’une œuvre sur vinyle, elle aussi inspirée de motifs traditionnels. Normalement, l’œuvre originale serait un papier peint qui couvre un mur. Ici, on n’en a qu’une petite section (voir photo) […] C’est inspiré de la tradition, mais c’est ancré vers le futur. Cela commence plus à ressembler à des codes QR, des plans de planification urbaine, des codes binaires même. L’animation s’appelle Mooniyang (2019), qui veut dire Montréal en anichinaabémowinn […] C’est une exposition qui parle de l’attachement au territoire, de sa fragmentation, comment il se transforme au fil des générations et aussi ce territoire qui appartient aux Premières Nations et qu’on a exploité sans notre accord.
Dans Mobilize, on passe de la fabrication d’un canot d’écorce aux moyens de transports modernes. Qu’est-ce que tu as voulu y exprimer?
Je voulais montrer comment les Premières Nations ont participé activement à la construction de notre société canadienne en passant par le canot, les raquettes, des outils qu’on utilise encore aujourd’hui. C’est aussi un reflet de ma propre famille, de la migration du bois jusqu’en ville, cette assimilation qui vient de ce qu’on laisse derrière pour accéder à un monde plus privilégié. Pour moi c’était important de montrer des Autochtones toujours en mouvement, vers l’avant, nous ne sommes pas une communauté qui est stagnante dans le temps, on est tournés vers l’avenir et on fait parti de la modernité.
Tu as fait la sélection des films pour le Fokus Québec. Qu’est-ce qui t’as guidé dans tes choix?
Je voulais faire un programme qui n’est pas ce qu’on attend d’un Fokus Québec, je voulais montrer un peu de diversité, ne pas oublier les Premières Nations, mais aussi toutes les communautés culturelles comme les communautés vietnamiennes, d’Afrique du Nord, toutes ces communautés qui font le Québec aujourd’hui, aux niveaux francophone et anglophone. Après, j’ai trouvé qu’il y avait un fil conducteur qui était tout ce qui est au niveau de l’enfance, des expériences qu’on a quand on est enfant et aussi ce qu’on apprend en grandissant et qui forme notre identité, les couches d’identités qu’on apprend dans les dynamiques familiales. Tous les films abordent des moments déterminants, très simples dans nos vies quand on est enfant, mais qui nous marquent pour toute notre vie et qui sont appris soit dans nos relations avec nos parents. Surtout ce qu’on apprend dans les silences. Tous les films sont à propos de cela.
Il y a cependant des films qui sont très conceptuels, celui de Maxime Corbeil, notamment.
C’était important que ce soit de la fiction, du documentaire, de l’expérimental… Le film de Maxime Corbeil, Origami (2021), si on regarde l’esthétique formelle, c’est quasiment un cerveau en mutation, comment nos mémoires se forment à travers nos expériences. Origami, pour moi aussi c’est les couches d’identité qui se forment au fur et à mesure qu’on grandit comme individu, donc je trouvais très intéressant de le mettre […] Dans un programme de film, je pense qu’on a besoin de respiration, on a besoin de pouvoir changer d’ambiance ou de rythme, surtout après un film comme No Crying at the Kitchen Table (Carole Nguyen, 2019), on a besoin de quelque chose de rapide, qui nous sort un peu de cette énergie-là. Je trouvais que le film de Maxime Corbeil fonctionnait bien.
C’est comme un entremet entre deux gros repas…
C’est cela. Un trou normand!
Et pourquoi avoir choisi le film Hide (2014) de Sébastien Aubin?
Pareil. Quand on parle de dynamique familiale, je trouve intéressant qu’on parle aussi de nos relations avec le monde des esprits, le monde des animaux. Pour nous, le caribou ou l’orignal, c’est comme notre frère. On ne se sent pas différents ou supérieurs aux animaux, cela fait partie de nos relations familiales. C’est pour cela que j’ai mis le film de Sébastien Aubin (dont le sujet est une peau de caribou). Pour moi, c’est important qu’il y ait une représentation des Premières Nations dans le programme, sans que cela soit accessoire. Comme le film de Maxime, c’est une petite note de musique entre deux films.
C’est le dernier film, celui d’Annie Saint-Pierre (Les grandes claques, 2020), qui m’a le plus touché. C’est filmé en contre-plongée, du point de vue d’une petite fille, avec une telle précision! La direction d’acteurs est magnifique. Je me suis dit que cela devait être un souvenir d’enfance.
C’est exact. Toute la dynamique est très, très bien ficelée. C’est pour cela aussi que je l’ai placé en dernier, un peu comme un coup de poing. C’est drôle, mais sous cette comédie, il y a quelque chose de très déchirant et je pense qu’on peut tous s’identifier à un moment comme celui-là, où on a été obligé de prendre des décisions. Je trouve cela intéressant quand les rôles changent, quand l’enfant devient le parent. Il y a un moment très précis où on doit prendre des décisions, et où on grandit.
Qu’est-ce qu’une réalisatrice comme toi ressent quand elle voit son animation? Les motifs géométriques viennent de la nuit des temps, mais toi, tu l’as vue comme devenant moderne et inspirant notre modernité, jusqu’aux codes QR.
Oui, et j’espère qu’en faisant ce travail, je contribue à garder vivante cette connaissance-là (qui vient des ancêtres). À ma façon, je continue à garder vivants ces symboles-là, cette géométrie-là, qui est familiale. C’était un peu comme une transe quand je l’ai fait. C’est de la géométrie, donc je peux m’y perdre facilement. Ce sont des formes que je fais au fur et à mesure et cela change tout le temps. Il faut faire vraiment beaucoup de designs pour faire une animation, ce sont des heures et des heures de moments où je suis plongée dans quelque chose, où je ne réfléchis pas, de façon instinctive. Au fil des designs, c’est devenu une signature, c’est mon propre langage. C’est intéressant de voir ce que cela a donné au final.
Propos recueillis lors du Filmfest Dresden, 2022
1er mars 2022
La semaine de la critique de Berlin nous présente des œuvres étranges et déroutantes, aux propositions cinématographiques expérimentales. Les réalisateurs n’hésitent pas à mettre au rebut les techniques classiques pour se confronter, et plus encore, nous confronter, à de nouvelles façons de raconter des histoires. Replaçant au centre de leurs créations le pouvoir des images, les cinéastes s’abrogent de toute linéarité narrative et ouvrent la porte au flux infini des couleurs, des sons, de ces moments de vies capturé par leurs caméras. Avec Notes for a Déja Vu, le collectif mexicain Los Ingrávidos nous propose une accumulation d’images d’archives, métaphore des souvenirs qui s’amoncellent dans nos mémoires. La voix off répète inlassablement « memories are gone but images are here ». Alors que les souvenirs s’effacent, les images, gravées sur la pellicule, demeurent, à l’abri des affres du temps. La caméra devient une boîte à fantômes encapsulant les âmes à travers son objectif.
Les grands mythes de la littérature sont également remis au goût du jour, de manière plus trash, plus colorés, plus sexuels aussi. De Nosferatu à Orphée, en passant par des adaptations de Shakespeare ou encore de Bukowski, c’est une réflexion sur l’art en général qui nous est proposée ici. Intitulée « Mythunderstanding », la catégorie rassemblant le film Love is a Dog From Hell de Khavn de la Cruz et Sycorax de Lois Patiño et Matías Piñeiro, nous montre que le cinéma lui-même est créateur de mythes. Les images se mêlent et s’entremêlent, les couleurs se déchaînent, la musique exulte et accompagne l’errance de nos personnages. Tous ces films ont la particularité de nous offrir un voyage à travers l’espace et le temps, à la recherche d’une quintessence, d’un art fait de sensation et d’émotions. Parfois hermétiques et obscures, certaines œuvres peinent à nous embarquer dans leurs univers délirants, mais elles soulignent toutefois l’horizon immense, aux régions encore inconnues, que forme le cinéma. S’il faut s’accrocher pour se laisser entraîner, les propositions sont tellement étonnantes que nous nous prêtons au jeu, cherchant à comprendre messages cachés et références implicites.
La semaine de la critique de Berlin nous sert sur un plateau des films engagés, disséquant les images pour en extraire la substantifique moelle, celle qui fait de l’art une entité toujours en mouvement, toujours expérimentant, celle qui fait du cinéma le septième art et non pas un simple divertissement.
CAMILLE SAINSON
14 février 2022
Le soleil commence doucement à chauffer Potsdamer Platz, donnant aux cinéphiles masqués un avant-goût de printemps. Programmation écourtée oblige et les terrasses se réchauffant, déjà on commence à oursiner, c’est-à-dire à décerner les prix. Le couple Vincent Lindon-Juliette Binoche dans Avec amour et acharnement de Claire Denis ne sera pas possible cette année vu qu’on ne donne qu’un prix pour le meilleur jeu d’acteur. Peut-être Meltem Kaptan pour Rabiye vs George W. Bush? Et Claire Denis comme Meilleure réalisation? Comme meilleur film, Return to Dust du Chinois Li Ruijin ou alors Nana, le film indonésien? Peu importe, pourvu qu’on échange, qu’on rit, qu’on se dispute, qu’on pinaille, qu’on vive, quoi! Qu’on vive de, pour et à travers le cinéma.
Parlant de relations et de liens, tout le monde s’accorde pour adorer Les passagers de la nuit de Mikhaël Hers, mettant en vedette Charlotte Gainsbourg et Emmanuelle Béart, à contre-rôle toutes les deux. Alors que Paris hurle sa joie socialiste au soir de l’élection de Mitterrand en 1981, une famille emménage dans un grand appartement situé dans une des nouvelles tours d’habitation du XVIe arrondissement à Paris. Trois ans plus tard, le père a emménagé avec sa maîtresse et Élisabeth (Charlotte Gainsbourg) une mère hyper-sensible et fragile qui n’a jamais travaillé, se retrouve à chercher un travail pour élever ses deux ados, Mathias (Quito Rayon-Richter) et Judith (Ophélia Kolb). Si Judith trouve sa vocation dans l’activisme politique, Mathias, rêveur, aimerait bien écrire. Élisabeth, angoissée, insomniaque, trouve un réconfort dans l’émission de radio Les passagers de la nuit, animé par Wanda (Emmanuelle Béart). Séduite par les témoignages qu’elle y entend, Élisabeth écrit à Wanda et décroche un boulot dans l’émission. C’est là qu’elle rencontre Talulah (Noée Abita), une toute jeune fille de 18 ans qui est venue témoigner de sa vie dans l’émission. Talulah a fui sa famille depuis deux ans et vit dans la rue. Élisabeth offre un refuge à Talulah, dont Mathias tombe amoureux.
Cette œuvre de Mikhaël Hers en est une de sensibilité et de tendresse, centrée sur la recherche du lien, qu’il soit amoureux ou familial. On ne peut s’empêcher d’être nostalgique à la vue de discussions familiales sans que personne ne pianote furieusement sur son téléphone. Béart et Gainsbourg incarnent des pôles féminins totalement contradictoires, mais complémentaire, la première annonçant les « femmes de tête » des années 90 et la seconde timide, vulnérable, quoique décidée à s’en sortir. La reconstitution des années 80, tant visuelle que sonore, en réjouira beaucoup. Un film qui coule dans les veines comme de l’eau d’érable, aussi vive et délicieuse.
Une belle découverte que la jeune réalisatrice allemande Maggie Peren qui, avec Der Passfälscher (Le faussaire), entre tout de go sur la grande scène internationale. Cette histoire de guerre originale (car pleine d’ironie et d’humour) est celle, véridique, de Cioma Schönhaus, un jeune Juif allemand qui, profitant de son physique aryen et de son talent graphique, forgera pas moins de 300 fausses pièces d’identité et sauvera la vie des centaines de personnes. Le jeune Louis Hoffman incarne son personnage avec une verve qui défonce l’écran. Le film est animé d’un souffle et d’une vie qui vous reste longtemps après la fin des crédits. Si le montage nerveux opère parfois des bonds un peu audacieux pour suivre le fil, l’histoire reste crédible malgré l’audace du récit. Nous avons vu le film au Friedrichstadt-Palast, l’une des plus grandes salles de Berlin avec 1500 sièges, pleine à 50% vu la pandémie, mais tout de même! Il y a un grand bonheur à partager un beau moment de cinéma avec 700 personnes. Le cinéma en salle vaut tous les Netflix de l’univers.
ANNE-CHRISTINE LORANGER
15 novembre 2021
Nous sommes tous tannés de cette pandémie qui s’étire, mais un des bons côtés de ces mois de confinement et de reprises progressives, c’est que la majorité des festivals de cinéma ont désormais une présence en ligne. C’est le cas du festival Cinémania qui se poursuit encore une semaine, sans que nous ayons à mettre le pied dehors.
Au niveau de la programmation, cette 27e édition ressemble aux éditions précédentes, avec des œuvres primées qui marqueront définitivement l’année et plusieurs films qui seront très vites oubliés. Voici une sélection de quelques titres (en plus de ceux dans mon texte précédent) qui seront accessibles dans les prochains jours sur le site du festival, quelques longs métrages qui ont pris ou prendront l’affiche très prochainement, et d’autres qui sont en attente d’un distributeur.
Amants de Nicole Garcia
Bientôt en salle au Québec
Il y a de ces films que nous aimerions pouvoir nous faire rembourser le temps que nous y avons consacré. Malheureusement, Amants est l’un de ceux-là. Comment se fait-il qu’une réalisatrice d’expérience comme Nicole Garcia (Le fils préféré, Place Vendôme, L’adversaire, Mal de pierres) puisse nous offrir un long métrage aussi générique et aseptisé que celui-ci. De l’intrigue molle au jeu désincarné de ses trois vedettes (Stacy Martin véritable porte-manteau, Pierre Niney perdu, et Benoît Magimel de plus en plus caricatural), rien ne peut sauver ce récit usé du triangle amoureux, triangle dont les coins sont beaucoup trop arrondis.
Boîte noire de Yann Gozlan
Maintenant en salle partout au Québec
Pas facile de faire un thriller sur le monde de l’aviation qui ne tombe pas dans les clichés d’usage. C’est pourtant la prouesse du réalisateur Yann Gozlan avec son très réussi Boîte noire. Utilisant avec intelligence les codes du cinéma complotiste très présent dans le cinéma américain des années 70 et début 80 (référence évidente au travail sonore de Blow Out de Brian De Palma), cette histoire d’enquête sur le contenu des bandes audios d’un vol commercial Paris-Dubaï a juste assez de fausses pistes pour nous garder en haleine. Et Pierre Niney nous offre l’une de ces meilleures performances, bien loin de celle générique dans l’ennuyant Amants de Nicole Garcia.
Le dernier voyage de Romain Quirot
À voir en ligne
Du cinéma de science-fiction tout droit sorti de l’Hexagone? Oui, ça se peut! Et Romain Quirot se débrouille plutôt bien pour son premier long métrage, inspiré de l’un de ses courts. Sans révolutionner le genre, Quirot ose mettre de l’avant un anti-héros qui erre et se questionne, plutôt que de nous proposer un mâle alpha à l’égo démesuré. Visuellement hypnotique, très conscient de piger aussi dans le western, Le dernier voyage confirme qu’il faudra garder un œil sur Romain Quirot, un peu comme nous savions très bien que Jean-Pierre Jeunet se démarquerait après son Delicatessen.
Rien à foutre de Emmanuel Marre & Julie Lecoustre
En attente d’un distributeur
Premier long métrage prometteur du duo des Français Emmanuel Marre et Julie Lecoustre, Rien à foutre a un titre révélateur, se jouant des codes entre le drame et la comédie, entre la fiction et le documentaire. Mais c’est parfois problématique au niveau du ton, le spectateur ne sachant pas trop sur quel pied danser. Heureusement, il y a Adèle Exarchopoulos qui a tout compris, telle une funambule au-dessus de la mêlée, elle navigue entre ciel et terre sans jamais perdre l’équilibre.
Rouge de Farid Bentoumi
À voir en ligne
Deuxième long métrage du réalisateur franco-algérien Farid Bentoumi, Rouge est un drame environnemental honnête, un peu prévisible, mais qui s’en tire bien grâce à son actrice Zita Hanrot. Découverte dans l’excellent Fatima, Hanrot nous embarque dans sa quête, sans jamais que nous remettions en question sa démarche tellement elle est convaincante. La construction du récit est efficace, avec une fin qui évite habillement le happy end. Un peu comme le récent Dark Waters de Todd Haynes, Rouge est satisfaisant, mais il manque un je-ne-sais-quoi pour que le film soit mémorable.
Serre-moi fort de Mathieu Amalric
En attente d’un distributeur
Tranquillement, mais sûrement, Mathieu Amalric est en train de devenir l’une des plus belles voix du cinéma français. Après le sublime Barbara, Amalric nous propose un récit déconstruit et organique, sur une femme qui décide (ou pas) de s’éloigner de son mari et de ses deux enfants. Menée par une Vicky Krieps bouleversante et tellement juste, Serre-moi fort porte bien son titre, le genre d’œuvre très puissante à chérir longtemps et à partager avec seulement ceux qu’on aime.
Seules les bêtes de Dominik Moll
En salle dès le 26 novembre
Avec deux comédiens déjà habitués aux Cévennes (Damien Bonnard dans Rester vertical et Laure Calamy dans Antoinette dans les Cévennes), Dominik Moll nous plonge dans sa nouvelle intrigue au cœur de cette région la moins densément peuplée de France. Raconté en trois temps, Seules les bêtes démarre sur des émotions vives, s’essouffle avec un récit outre-mer, et tente de tout ficeler maladroitement dans le dernier tiers. En voulant trop en faire, le cinéaste de l’inoubliable Harry, un ami qui vous veut du bien peine à nous convaincre et nous laisse sur notre faim.
Vedette de Claudine Bories & Patrice Chagnard
À voir en ligne
Il y a des synchronicités surprenantes dans le monde cinématographique. Au même moment où Cow sera présenté aux RIDM, de la réputée cinéaste britannique Andrea Arnold, le public de Cinémania découvrira le très attachant Vedette du duo Claudine Bories et Patrice Chagnard. Si le premier documentaire met en scène une vache digne de l’univers de la réalisatrice derrière Red Road et American Honey, nous montrant la déshumanisation de l’extraction du lait dans les imposantes fermes laitières, Vedette est davantage un portrait joyeux d’une vache de combat qui semble s’épanouir au pied des alpes françaises. Une belle surprise attachante et réjouissante.
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