13 juillet 2017
Sans doute trop proche du moyen métrage, le premier long métrage de Frédrérique Cournoyer-Lessard est pour ainsi dire un film sur la durée, sur ce qu’elle peut contenir à l’intérieur du cadre et renvoyer les signaux les plus lumineux en les rendant réfléchis et aériens.
Un personnage, une famille, une situation : un artiste de cirque, une généalogie dictée par les règles strictes de la religion et un choix de vie contraire aux préceptes de ses origines. Car c’est sur ces formes sinueuses narratives que repose Rue de la Victoire, un chemin tracé depuis l’enfance, en état de gestation pendant l’adolescence et en pleine expansion, parfois douloureuse, à l’âge adulte. Oui, ne pas perdre l’équilibre, autant dans l’expérience circassienne que dans la vie ; ne pas se laisser amadouer par des éléments étrangers pour réusssir, laisser notre imaginaire dépasser les frontières créées par les autres. Car les autres, ce sont ceux qui interdisent.
Le courage de Cournoyer-Lessard et d’avoir été justement inspirée par la différence ; ce n’est un premier exemple dans le cinéma québécois, particulièrement dans le genre documentaire, contrairement à la fiction qui l’ignore (ou presque) comme si cet étranger ne faisait pas partie intégrante de l’entité québécoise. Et en plus, cet autre est musulman, geste de la réalisatrice d’autant plus courageux qu’il s’inscrit dans une mouvance occidentale souvent axée sur la xénophobie et le racisme (islamophobie, antisémitisme…).
Michka Saäl, réalisatrice québécoise, juive, qui vient regrettablement de nous quitter, née en Tunisie, nous a toujours fait prendre conscience de ce fait. Frédérique Cournoyer-Lessard semble en avoir pris conscience par anticipation, nous faisant découvrir un monde différent à l’intérieur du notre.
Voir Mohamed, prénom comme prescrit par une volonté divine, évoluer dans l’art qui l’anime, c’est aussi se rendre compte que l’expérience artistique est également un prise de position à la fois politique et sacrée. Elle prône la liberté, l’égalité et la fraternité entre l’Humain et le processus créatif. Cournoyer-Lessard, ex-étudiante à Concordia, a appris les grandes leçons de ses professeurs, leurs discours sur les multiples méthodes, leurs visions sur le rapport entre la notion du public et celle de l’invididuel. Ces procédés, devenus narratifs, film oblige, elle les applique en tournant un genre, le documentaire, plus apte à les voir évoluer dans l’espace sociale.
Encore une fois, ne pas perdre l’équilibre. Ce à quoi s’obstine le cinéma québécois : pour ne pas disaparaître, pour établir des ponts entre le quotidien et le rêvé, entre la réalité et le droit à l’imaginaire. Rue de la Victoire est ainsi fait : de calmes, de petites tempêtes, d’intérêt pour la différence. La mission même de ce que doit être le cinéma.
Il ne reste au cinéma québécois qu’un simple geste à faire, aussi candide que généreux : intégrer cet autre, notamment lorsqu’il s’agit de raconter des histoires.
Autre texte critique et
Entrevue avec la réalisatrice
(du même auteur)
Séquences
Nº 309 (Juillet-Août 2017)
Pages 10-13
En kiosque : Juillet 2017
Genre : Documentaire – Origine : Canada [Québec] – Année : 2017 – Durée : 1 h 05 – Réal. : Frédérique Cournoyer-Lessard – Dist. : Maison 4:3.
Horaires
@ Cinéma Beaubien – Cinémathèque québécoise
Classement
Tout public
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
Plus imposant que les deux premiers volets de 2011 et 2014, War For the Planet of the Apes pose une question encore plus pertinente et beaucoup plus urgente, bien au-delà de l’exploit technique qu’il reprèsente : souhaitons-nous vraiment la survie de l’humanité ou avons-nous déjà abdiqué en laissant la nature reprendre ses droits et décider pour nous ? Si une véritable épidémie se répandait sur la Terre comme dans Rise, serions-nous capables de nous prendre en mains et de nous entraider, ou laisserions-nous libre cours à nos plus bas instincts ? La thèse de ce troisième chapitre propose que l’esprit guerrier et destructeur des humains prendraient rapidement le dessus et que la peur, la haine et l’angoisse de l’annihilation certaine de l’humanité auraient préséance sur la raison, la générosité et l’altruisme, désormais l’apanage des singes. N’est-ce pas d’ailleurs un incroyable paradoxe que nous sympathisions avec les singes plutôt qu’avec les humains menacés d’extinction?
Dans le roman La Planète des singes que Pierre Boule a publié en 1963, le drame résidait dans la perte d’humanité et l’acclimatation du héros à une civilisation simiesque sur une autre planète. Ce n’est qu’en revenant sur Terre des centaines d’années plus tard qu’il se rend compte que les singes y dominent aussi désormais. Dans le film de Franklin J. Schaffner en 1968, le héros se rend compte, en se retrouvant devant ce qui reste de la Statue de la liberté, qu’il est toujours sur Terre deux mille ans plus tard : la guerre nucléaire a eu raison de la civilisation humaine. Mais de film en film jusqu’en 1973, plus les singes devenaient populaires auprès du public, plus la sympathie se tournait vers eux, jusqu’à devenir les héros à partir de Escape (1971). Aujourd’hui, le chimpanzé Caesar devient carrément le héros des trois films dès le début et dans War, il revêt un caractère messianique encore plus évident, l’associant à la fois au Christ en croix et à Moïse dirigeant son peuple vers la terre promise (cinéma américain aidant).
Comme dans les deux films précédents, les auteurs situent le contexte du récit beaucoup trop proche de nous afin de garder le contact avec Caesar, mais il est difficile de croire que seulement cinq ans séparent les événements de Dawn et de War. Les humains, tous des soldats, sont tellement cruels et vicieux que l’antagonisme devient rapidement manichéen. Il y a aussi cette association trop évidente des singes devenus les esclaves des soldats avec le peuple hébreu sous l’emprise des Égyptiens dans la Bible. Les détours que prend Caesar pour confronter le Colonel (Woody Harrelson) sont trop controuvés et l’évident « Act of God » final verse carrément dans The Ten Commandments. Le Colonel ressemble d’ailleurs à un mélange du pharaon Ramsès, du Kurt d’Apocalypse Now et du nazi Amon Goeth dans Schindler’s List afin d’être certain d’obtenir la quintessence du méchant par excellence.
En dépit du factice de ce scénario, le film prend des allures de fresque épique en adoptant un ton très solennel et en offrant des moments de poésie visuelle surprenants dans une production de 150 millions de dollars, de surcroît un produit commercial issu d’une franchise à succès. Le noble dilemme de Caesar est pourtant le suivant : se laissera-t-il dominer par sa soif de vengeance, sa rage et sa haine ou parviendra-t-il à contenir ses émotions pour permettre à la raison de le guider dans ses actions? Son salut passe par la fillette muette et humaine baptisée Nova (la compagne humaine de Taylor dans le film original de 1968). Elle agit comme une âme en peine qui gracie d’abord un gorille avec une fleur, puis Caesar avec une poupée, de l’eau et de la nourriture qui prenne la forme symbolique d’une offrande et d’une alliance. Ce sont les plus beaux moments poétiques du film et ils s’imprègnent d’une douceur inattendue dans le contexte guerrier environnant. L’ironie du sort du Colonel tourne au désespoir pathétique et signale le destin tragique des humains dans ce monde où les singes sont appelés à dominer la planète. L’héritage de Caesar passe par son jeune fils Cornélius (le savant du film original et père du héros de Conquest et Battle) qui devra assurer la pérennité de son clan.
Le crâne chauve du Colonel, son statut militaire, ses tirades conradiennes ne peuvent que l’associer au Kurtz qu’interprétait Marlon Brando dans le film de Francis Ford Coppola. Si vous pensez que c’est un hasard, la présence du graffiti « APE-POCALYPSE NOW » dans un tunnel précise davantage la référence. Le réalisateur Matt Reeves a démontré dans Dawn, comme son prédécesseur Rupert Wyatt dans Rise, son penchant pour les citations filmiques et War ne fait pas exception. La barricade que construisent les singes-prisonniers renvoient au Bridge on the River Kwai de David Lean (dont Pierre Boule a aussi écrit le roman). Le geste de bravade des singes-esclaves qui unissent leurs mains au-dessus de leurs têtes (« singes forts ensemble ») rappellent le Spartacus de Kubrick. La folie guerrière muette entre les soldats humains, accompagnée d’une douce musique et contemplée par un Caesar décontenancé, suggère le Ran de Kurosawa. Mais même ces évocations subtiles d’Aliens et du Dr. Zhivago (encore David Lean), que je vous laisse repérer, ne doivent pas faire perdre de vue l’enjeu central : allons-nous retrouver notre humanité civilisée ou sombrerons-nous dans les ténèbres de l’inhumanité pour laisser place aux nobles sauvages de la planète des singes?
Genre : Aventures de science-fiction – Origine : États-Unis – Année : 2017 – Durée : 2 h 20 – Réal. : Matt Reeves – Int. : Andy Serkis, Woody Harrelson, Karin Konoval, Steve Zahn, Ty Olson, Max Lloyd-Jones – Dist. : 20th Century Fox.
Horaires
@ Cineplex
Classement
Tout public
(Déconseillé aux jeunes enfants)
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
Depuis Nobody Waved Goodbye de Don Owen (1963), le passage à l’âge adulte, les tendres amours de la jeunesse filmés dans les couleurs irisées d’un été en apparence paisible sont devenus monnaie courante dans le cinéma canadien. Avec Weirdos, Bruce McDonald essaye à son tour d’incarner cet entre-deux tout autant prometteur qu’apeurant qui n’en finit plus de se délier dans des quêtes personnelles et où cette période que l’on dit ingrate rime souvent avec la recherche d’une place parmi le monde des grands. Nul étonnement donc si cette petite œuvre sans prétention peut se comparer avec le très beau Sleeping Giant (critique). On y relève une fuite en avant de deux jeunes délaissant leurs familles, un voyage en guise d’apprentissage de ses propres limites et de celles de l’être aimé, et bien entendu, une chance offerte à un avenir que l’on espère placé sous de radieux auspices.
Outre sa mise en scène rafraîchissante de simplicité, McDonald avoue une tendresse infinie pour ses personnages, se révélant ainsi sous un jour qu’on ne lui connaissait guère. Certes, il ne réinvente rien à un récit déjà maintes fois exploré, mais se prête au jeu tout en douceur, en gardant les dénouements les plus sombres au second plan et en laissant éclore le charme de jeunes comédiens de la relève, dont Julia Sarah Stone (remarquée dans The Year Dolly Parton Was My Mom de Tara Johns en 2011). Il en résulte une œuvre sensible, opposant comme il se doit l’univers de l’enfance à celui des adultes – à peu près tous des « weirdos » assumés – tout en maniant le choc des générations avec décalage et naturel. Grâce à un noir et blanc granuleux qui sied parfaitement à l’époque dans laquelle se situe l’action, la directrice photo Becky Parsons parvient à dépeindre de très belle manière les paysages côtiers de la Nouvelle-Écosse, lieux improbables aux frontières de notre monde, et à les transfigurer en autant de lieux de rencontres à mi-chemin entre la norme et la marge, propices à de profondes révélations intimes.
Genre : Chronique – Origine : Canada – Année : 2016 – Durée : 1 h 24 – Réal. : Bruce McDonald – Int. : Dylan Authors, Julia Sarah Stone, Molly Parker, Allan Howes, Rhys Bevan-John, Gary Levert – Dist. : Eye Steel Inc.
Horaires
@ Cinéma du Parc
Classement
Tout public
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
Genre : Aventures fantastiques – Origine : Chine – Année : 2017 – Durée : 2 h 03 – Réal. : Derek Kwok – Int. : Eddie Peng, Shawn Yue, Ni Ni, Bai Xiao, Ou Hao, Qiao Shan, Yang Di – Dist. : A-Z Films.
Horaires
@ Cineplex
Classement
Tout public
(Déconseillé aux jeunes enfants)
12 juillet 2017
L’an dernier, lors du Gala Québec Cinéma, Léa Pool recevait le prix de la meilleure réalisation pour La passion d’Augustine, sacré meilleur film de l’année, devenant par le fait même la première femme à remporter ce type de récompense depuis la création du gala en 1999. Or, Pool n’en était pas à ses premières armes cinématographiques, loin de là. Avec une carrière qui s’échelonne sur plus de trois décennies, débutant avec Strass Café en 1980, elle nous offrira des classiques de notre cinématographie, tels Anne Trister (1986) et Emporte-moi (2008), en passant par le documentaire, Hotel Chronicles (1990), Gabrielle Roy (1998), Pink Ribbons (2011)…
Léa Pool, Sophie Nélisse et Karine Vanasse
Et au pire, on se mariera est une adaptation littéraire du roman éponyme de Sophie Bienvenu. Quel fut le principal défi de l’adaptation?
Je voulais rester proche du roman, car je trouvais qu’il y avait quelque chose d’intéressant dans la structure narrative. Sophie et moi avons donc co-écrit le scénario. Assez rapidement, le défi a été d’essayer de le mettre en scène et de faire un fi avec un monologue ! Mais je le voyais et très vite Sophie a compris. Pour sa part, dans les dialogues, elle est magistrale; elle vient de Belgique, mais elle s’est approprié la langue québécoise très vite. Je retravaillerais avec elle demain. Le mélange de nos générations a été intéressant et nous nous sommes beaucoup enrichies l’une l’autre.
Entrevue intégrale
Séquences
Nº 309 (Juillet-Août 2017)
Pages 6-9
En kiosque : Juillet 2017
Et au pire, on se mariera, titre on ne peut plus prémonitoire et négociateur, renferment tout ce qui est compromis, ententes à l’amiable, prises de risques, gagnants et perdants, comme dans toutes entreprises humaines. C’est de cela que parle aussi le film de Léa Pool, jamais aussi alerte face à son métier, donnant à l’image une importance capitale, d’où la clarté virginale des images en couleurs, l’ouverture magistrale des plans, comme si chacun d’eux invitait le spectateur à participer de loin à cette aventure qui tient du rituel.
Avec Et au pire, on se mariera, Léa Pool revient en force et prouve que les cinéastes vétérans peuvent faire partie de la modernité, ont encore plusieurs choses à dire, et que, pour faire de bons films, il faut avoir une expérience de vie, une connaissance du social et plus que tout, un regard et une vision du monde aussi personnelle que conciliatrice et collective.
Car écrire professionnellement, c’est pour que les autres nous lisent; réaliser de la même façon, c’est pour que les autres voient en images ce que nous avons créé. Le cinéma, comme la critique, est une consécration qu’il faut mériter.
(…)
Texte intégral
Séquences
Nº 309 (Juillet-Août 2017)
Pages 4-5
En kiosque : Fin juillet 2017
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