En couverture

François Barbeau : Créateur de costumes

27 avril 2018

MOYEN MÉTRAGE

CRITIQUE
| Élie Castiel |

★★★ ½ 

De fil en aiguille…
pour simplement exister

Les artisans de l’ombre sont ceux et celles dont on ne parle presque jamais, pour ne pas dire « jamais », car dans tout art de la représentation, l’intérêt repose principalement sur les réalisateurs, les comédiens, les compositeurs, quand la musique est intéressante… bref, tous ces noms qui attirent le grand public. Mais il y aussi une équipe qu’on ne voit jamais, les éclairagistes, les régisseurs, les scénographes, les costumiers, les monteurs… ces âmes créatrices derrière les coulisses (ou la caméra) qui, sans elles, le résultat ne serait plus le même.

Le documentaire de Jean Beaudry, cinéaste national plutôt rare, seulement sept films entre 1984 et aujourd’hui, signe ici le portrait d’un artiste exceptionnel, véritable maître de ballet des costumes, pièces centrales dans toutes œuvres qui se respectent, qu’il s’agisse du cinéma, de la danse, de l’opéra ou de la scène.

L’approche télévisuelle est volontairement utilisée. Il s’agit, à mon sens, d’un parti pris en vue de montrer le film au plus grand nombre de spec(télé)tateurs possibles pour finalement démystifier le métier de costumier. Pour en fin de compte parler de ces oubliés d’un système axé sur le vedettariat.

La proposition de Beaudry est de ne pas s’étendre sur le feu qu’animait Barbeau, mais de le voir à l’œuvre (documents d’archives à l’appui). Ses mains de bûcheron des bois caressent pourtant avec une délicate attention les tissus, les costumes, les boutons, les accessoires comme s’il s’agissait de réinventer le monde. Barbeau est dur avec les comédiens, mais ceux-ci lui donnent une confiance aveugle. En fait, c’est, pour eux, un privilège de « se faire habiller » par lui. Pour une raison difficile à expliquer, tout au long de ce moyen métrage documentaire, on se met à penser à Denis Sperdouklis, lui aussi costumier de théâtre qui a également travaillé avec Barbeau.

Cyrano de Bergerac (Crédit photo : © Yves Renaud)

Cette mise en contexte montre que François Barbeau : créateur de costumes parle en filigrane de tous ceux et celles qui ont compté professionnellement dans la vie de l’artiste. La caméra de Philippe Lavalette et Léna Mill-Reuillard se fait discrète tout en révélant des facettes intéressantes sur le métier; grâce aussi au montage de Mélanie Chicoine, rapide, sans temps morts.

Le résultat est une œuvre qui, loin d’être ambitieuse, joint la simplicité de l’Homme et de l’Artiste derrière la scène. Cette approche souligne l’importance d’un cinéaste comme Jean Beaudry, qui, à l’instar d’autres hommes et femmes de cinéma de sa génération, mérite de tourner plus régulièrement.

Voir entretien ici.

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel★★★★ Très Bon★★★ Bon★★ Moyen★ Mauvais½ [Entre-deux-cotes] 

Réalisateur
Jean Beaudry

Origine : Québec [Canada] – année : 2017 – durée : 51 minutes– avec : Benoît Brière, Micheline Lanctôt, Monique Miller, Lorraine Pintal, Gérard Poirier, Guy Thauvette – dist. : Les Productions Flow.

Horaires & Info.
@ Cinémathèque québécoise

Classement
Tout public

Semaine du 27 avril au 3 mai 2018

AVIS AUX CINÉPHILES

Il arrive parfois que certains films ne soient pas présentés toute la semaine, particulièrement dans les salles indépendantes. Consultez les horaires quotidiens, ceux-ci pouvant changer d’un jour à l’autre.

Dû à des facteurs hors de notre contrôle, les textes critiques, incluant le « Coup de cœur » et/ou « Le film de la semaine » (désignations selon les sorties), pourraient enregistrer des retards même si nous mettons tous nos efforts pour l’éviter.

Veuillez noter que certaines bandes-annonces de films étrangers ne sont pas sous-titrées.

 | EN SALLE À MONTRÉAL |

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COUP DE CŒUR
« Lion d’argent de la Meilleure mise en scène »
Festival de Venise 2017

JUSQU’À LA GARDE
Xavier Legrand

Suite

Le tigre bleu de l’Euphrate

26 avril 2018

Critique SCÈNE
| Élie Castiel |

★★★★ ½

L’épée et l’équerre

Un texte d’une irrésistible maturité, horizontal, linéaire selon la symétrie de la tragédie grecque. En fait, dès notre entrée dans la salle, nous sommes devant un décor scénique privilégiant le gris et le blanc, minimaliste, précurseur du récit qui nous sera raconté, comme dans le drame ou la tragédie antique. 

Crédit photo : © Yannick Macdonald

Et puis un seul personnage qui vit ses derniers moments, face devant l’inévitable finitude, un mortel à qui il ne reste qu’à raconter son Histoire, faite de conquêtes et de constructions, d’amitiés ennemies et de trahisons, d’amours féminines (et masculines, mais malheureusement pas présentes dans le texte, alors que le film d’Oliver Stone sur le Macédonien n’hésitait pas une seconde sur cet aspect non négligeable de sa vie et souvent décrié). Mais la conception de l’homosexualité à cette époque n’était pas la même qu’aujourd’hui. De toute évidence, sa relation amoureuse avec Héphaestion ne peut être placée sous silence.

Quoi qu’il en soit, Le tigre bleu de l’Euphrate est une odyssée grecque, comme dans le cas d’Ulysse, un long et périlleux voyage pour unir l’Occident et l’Orient afin de concevoir le monde à sa façon, au nom de la pérennité. Le texte de Laurent Gaudé sensibilise notre amour de la littérature et des récits en forme de monologues scéniques qui libèrent l’âme et enrichissent l’esprit. Pendant une heure et demie, Emmanuel Schwartz, monumental, grandiose, inégalable, habite le personnage, se pare de ses attributs méditerranéens et évoque l’Égée, la mer de cette partie du monde comme si elle détenait l’avenir de l’Humanité. Suite

SOFTLAMP.autonomies… Fame Prayer/Eating

Critique SCÈNE

| Élie Castiel |

Un dénominateur commun
la suppression des genres

Deux expériences chorégraphiques différentes, mais toutes deux porteuses d’un identitaire queer qui revendique son allégeance culturelle, sociale et politique. Une salle remplie à capacité pour les deux spectacles, à forte majorité fin vingtaine, trentaine. Mélange mixte de gars et de filles, de gais et d’hétéros. Bref, ceux et celles qui ont toujours nourri les débats à La Chapelle.

Pour le critique, c’est l’endroit idéal pour ses revendications justifiées, ses rencontres fructueuses avec l’autre, ses intrusions rusées dans des univers parallèles sans qui les changements ne se réalisent pas dans la société. Mais c’est aussi reconnaître la liberté d’expression que procure notre métropole, tant du côté francophone qu’anglophone. Comme quoi le quotidien est parfois pavé de bonnes intentions.

SOFTLAMP.autonomies
★★★★

Deux performants, Ellen Furey et Malik Nashad Sharpe (sexe volontairement non identifié). Des artistes absorbés dans un décor sans décor où le corps seulement a ses raisons. Une première partie, seul le silence fait de bruit transgresse les lois de la gravité et situent ces personnages entre Terre et autre Planète imaginée dans une ambiance qui fait la joie de l’assistance. SOFTLAMP.autonomies, c’est ce perdre dans la dimension entre le corps physique et le psychique, c’est réagir à une musique répétitive, celle de la deuxième partie, comme s’il s’agissait d’un hommage au rave, produit culturel d’une autre époque qui traduit magnifiquement bien un monde en perdition, qui refuse catégoriquement le passé et s’emploie à reconstruire un lieu dont on n’a pas idée de quoi il sera formé.

C’est destroy et dans le rythme et les mouvements qui ne cessent de se réinventer sans vraiment le faire. Signe d’un temps où le nouveau siècle commence à peine à construire les balises d’un univers incertain, froid, distant, et dont l’Humanité n’est pas encore claire, quitte à se perdre dans sa forme actuelle. Entre la vie et la mort, si on suit l’actualité quotidienne, les lignes de démarcation ne sont pas si lointaines les unes des autres. Avec SOFTLAMP.autonomies, cette allusion transparaît en filigrane. Et peut-être que les deux concepteurs/trices ne sont pas tout à fait conscient(es). Qu’importe, ce pas de deux apocalyptiques n’est pas dénué de raison.

Crédit photo : © Kinga Michalska

Suite

The Angel & the Sparrow

Critique SCÈNE
| Élie Castiel |

★★★★ ½

La chanson adoucit les mœurs

Un préambule s’impose parce que le hasard est parfois heureux. Je viens de lire l’article d’Odile Tremblay (Le Devoir) sur cette pièce incontournable. Avant le spectacle, perdue parmi la foule en majorité anglophone (et juive) au Centre Segal, la journaliste semble être dans un autre monde. Dans son écrit, elle exprime ses mots avec une authenticité lumineuse, vrais, sincères, sortant des tripes, exposant une réalité québécoise et plus particulièrement montréalaise avec autant d’émotions (au pluriel) et de paroles de réconciliation. Nous et les autres, les deux solitudes, moins senties qu’autrefois, certes, mais toujours présentes. La cause : une métropole magnifique qui, hors du centre-ville, ses citoyens s’agglomèrent selon ses appartenances raciales, ses idéologies politiques et parfois-même, ses orientations sexuelles. Des mots simples pour un rappel à l’ordre : pourquoi ne pas avoir dans le même quartier une église, une mosquée, un temple hindou, une pagode chinoise et une synagogue. Le résultat, vous le connaissez.

Et puis, The Angel & the Sparrow, une rencontre probable, oui plausible et en réalité, vraie, puisqu’il s’agit de deux grandes dames de la scène et du cinéma (car Piaf a joué aussi dans quelques films), deux femmes libres de chanter, d’aimer, de se brûler, d’aller jusqu’au bout du désir et de la passion, mais aussi de pas nier leurs origines sociales et surtout et avant tout, de souligner fermement ce refus de l’échec, non pas par égocentrisme, mais parce que vu les résultats, l’effort en valait la chandelle.

 
Crédits photos : © Leslie Schachter Suite

Semaine du 20 au 26 avril 2018

20 avril 2018

AVIS AUX CINÉPHILES
Il arrive parfois que certains films ne soient pas présentés toute la semaine, particulièrement dans les salles indépendantes. Consultez les horaires quotidiens, ceux-ci pouvant changer d’un jour à l’autre.

Dû à des facteurs hors de notre contrôle, les textes critiques, incluant le « Coup de cœur » et/ou « Le film de la semaine » (désignation selon les films), pourraient enregistrer des retards et/ou des changements même si nous faisons tous nos efforts pour l’éviter.

Veuillez noter que certaines bandes-annonces de films étrangers ne sont pas sous-titrées.

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LE FILM DE LA SEMAINE
BEYOND THE CLOUDS
Majid Majidi

CRITIQUES
Eye on Juliet
Kim Nguyen

Final Portrait
Stanley Tucci

  

L’apparition
Xavier Giannoli

Tomorrow’s Power
Amy Miller

The Legend of Kolovrat
Dzanick Fayziev

 

Une vie violente 
Thierry de Peretty

Vers la lumière
Naomie Kawase

You Were Never Really Here
Lynne Ramsay

  

SANS COMMENTAIRES
Dude’s Manual
Kevin Ko

Esprit de cantine
Nicolas Paquet

I Feel Pretty
Abby Kohn
Marc Silverstein

Khido Khundi
Rohit Jugraj

Lean on Pete
Andrew Haigh

Qu’importe la gravité
Mathieu Brouillard

Super Troopers 2
Jay Chandrasekhar

AVANT-PREMIÈRES
Jeudi 26 avril 2018
@ Cineplex
Fiche détaillée
Semaine du 27 avril au 3 mai 2018

Avengers: Infinity War
Anthony Russo
Joe Russo
V.o. : anglais / Version française
Avengers : La guerre de l’infini
Classement
E/C
(En attente)

Le bizarre incident du chien pendant la nuit

19 avril 2018

Critique SCÈNE
| Élie Castiel |

★★★★

Pérégrinations édifiantes d’un enfant précoce

Ça tient de la magie, comme si le temps s’était arrêté brusquement pour nous situer dans un ailleurs que nous reconnaissons vaguement et qui nous pousse à mieux comprendre notre prochain, à mieux saisir sa différence et plus encore, à nous remettre nous-même en question. Des choses que nous avions oubliées.

Normand D’Amour et Sébastien René (Photo : © Caroline Laberge)

La pièce du britannique Simon Stephens, adaptée du roman de son compatriote Mark Haddon brille par son non-conformisme, particulièrement en ce qui a trait au personnage de Christopher, pris en charge par un Sébastien René immense dans sa fragile grâce physique, inoubliable, entier, et qui apporte à l’art de l’interprétation quelque chose du domaine du jamais-vu. Autour de lui, les autres personnages ressemblent à des pantins qu’il manipule à sa guise, inconsciemment, comme si son propre univers était en proie à une destinée qu’il a lui-même concoctée.

Pour les spectateurs, le décor de Jean Bard et, entre autres, les dessins de Georgios Papachristou procurent une aura évoquant le terrain privilégié du théoricien Stephen Hawking, récemment décédé. Images, dessins, croquis, vidéo, chiffres et autres théories pythagoriennes représentant autant les mathématiques que la physique et la recherche spatiale. Sans pour autant enlever ce degré d’humanité si chère aux auteurs.

Ce Bizarre incident du chien pendant la nuit
est une leçon de morale, d’éthique, concept qui a
disparu depuis quelques décennies… Un moment
essentiel de théâtre par les temps qui courent.

La traduction de Maryse Warda, claire, aux accents d’humour qui nous font respirer face à un texte complexe, se plie à une culture anglo-saxonne pour la rapprocher le plus près possible d’une dynamique française, d’ici, de chez nous. Ça fonctionne la plupart du temps, même si parfois certains éléments culturels nous échappent. Car l’adaptation de l’originale The Curious Incident of the Dog in the Night-Time, conserve cette ode à une Angleterre particulière, celle de la pensée et d’une humanité profonde axée sur la réflexion, celle d’un cri de cœur ou de rage intérieure qui refuse de s’extérioriser. Sauf lorsque Christopher, dans son propre monde, constate le manque d’amour d’un univers indifférent. Les moments dans le métro montrent jusqu’à quel point Stephens et Haddon sont observateurs de leur époque et où seuls les plus faibles ou du moins ce qui semblent faibles peuvent finir par disparaître si nous oublions notre âme. Car ils sont les plus forts.

Ce Bizarre incident du chien pendant la nuit est une leçon de morale, d’éthique, concept qui a disparu depuis quelques décennies. Un moment essentiel de théâtre par les temps qui courent.

Si certains films, pièces, ou autres formes de la représentation n’arrivent pas de nous convaincre à devenir de meilleurs êtres humains, il vaut mieux rester chez soi et laisser le temps filer. Sans doute, la meilleure mise en scène de la saison DUCEPPE 2017-2018. Ce soir-là, la salle était presqu’à moitié rempli de moins de 20 ans. Le futur s’annonce brillant.

Auteur : Simon Stephens, d’après le roman de Mark Haddon, The Curious Incident of the Dog in the Night-Timetraduction : Maryse Warda mise en scène : Hugo Bélanger – Assistance à la mise en scène / Direction de plateau : Guillaume Cyr – décor : Jean Bard – éclairages  : Luc Prairie –  musique : Ludovic Bonnier – costumes : Marie-Chantale Vaillancourt – Accessoires : Normand Blais – Vidéo : Lionel Arnould – comédiens : Stéphane Breton, Normand D’Amour, Catherine Dajczman, Lyndz Dantiste, Milva Ménard, Catherine Proulx-Lemay, Philippe Robert, Adèle Reinhardt, Sébastien René, Cynthia Wu-Maheux – production : DUCEPPE.

Durée
2 h 25 (incl. entracte)

Représentations
Jusqu’au 14 mai 2018
Place des arts (Théâtre Jean Duceppe)

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes]

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