En couverture

Séquences à la Berlinale 2022 – Jour 8

18 février 2022

Les prix ayant été remis hier soir la Berlinale appartiennent désormais aux cinéphiles. Oh! Bonheur… Voici quelques perles, glanées ça et là.

Somewhere Over the Chemtrails d’Adam Koloman Rybanský

Dans la section Panorama, Somewhere Over the Chemtrails du Tchèque Adam Koloman Rybanský explique le cheminement du racisme et des théories de conspiration au sein d’un petit village de la République Tchèque. Lors des fêtes de Pâques, un des villageois est sérieusement blessé par un minivan. Bronya (Michal Istenik), le chef des pompiers volontaires, est convaincu qu’il s’agit d’une attaque terroriste perpétrée par un « Arabe ». Son collègue Standa (Miroslav Krobot), déjà secoué par les chemtrails (traces visibles dans le ciel, laissées par le passage d’avions, considérées par certains conspirationnistes comme de l’épandage de produits chimiques et biologiques effectués dans le cadre d’opérations secrètes), cherche à protéger sa femme sur le point d’accoucher de leur premier bébé. La peur terroriste va forcer cette petite communauté perdue dans la campagne à se terrer chez elle et exacerbe le racisme déjà présent. Bronya, convaincu qu’il faut secouer le village contre la présence des étrangers, va cependant se heurter à la décence de Standa. Un film bien exécuté sur les aléas du racisme, parsemé de pointes d’humour.

Dans la section Berlinale Spécial, Against the Ice du Danois Peter Flinth, un film d’aventure et d’exploration. En 1910, le capitaine Ejnar Mikkelsen (Nikolaj Coster-Waldau) et le mécanicien inexpérimenté Iver Iversen (Joe Cole), embarquent pour une mission d’exploration du Groenland en vue de découvrir ce qui était arrivé à une précédente équipe, disparue sans laisser de traces. L’enjeu est de taille puisque les Américains, suivant les théories de l’explorateur Robert Peary, clament que le territoire est séparé en deux et en revendiquent la moitié. Les deux hommes, abandonnés par l’équipage de leur bateau resté dans une baie de l’île de Shannon, passeront 865 jours seuls sur la banquise. Le film est basé sur le livre Perdu dans l’Arctique écrit par Mikkelsen lui-même. Un magnifique récit de courage et d’aventure, superbement joué et réalisé. Les images sont somptueuses, mais c’est surtout le jeu des deux acteurs qui force l’admiration. Une perle venue des glaces.

Good luck to You, Leo Grande de Sophie Hyde

Notre film préféré de toute la Berlinale, Good luck to You, Leo Grande de l’Australienne Sophie Hyde, présenté dans la section Berlinale Spécial, est un bijou d’humour, de tendresse et de courage de la part des acteurs. Nancy Stokes (sublime Emma Thompson), une enseignante à la retraite, n’a jamais connu le plaisir en 30 ans de mariage. Maintenant veuve, elle engage Leo Grande (Daryl McCormack), un jeune et superbe prostitué, dans l’espoir que ce dernier lui apprenne le plaisir.  Mais Nancy a un agenda bien précis qui va être chamboulé par le charmant Leo. Un huis-clos dans une chambre d’hôtel de luxe où inhibitions physiques et psychologiques explosent au sein d’échanges pétillants d’humour. Emma Thompson a affirmé avoir dû réaliser pour le film un processus d’acceptation de son corps quelle n’avait jamais fait dans sa vie. Un film sur le plaisir féminin, la honte du corps, l’intimité et le courage d’être soi. Une merveille.

ANNE-CHRISTINE LORANGER

Séquences à la Berlinale 2022 – Jour 7

17 février 2022

Les prix de la 72ième Berlinale

Ours d’or — Alcarràs de Carla Simón

Ours d’argent — Grand Prix du Jury : The Novelist’s Film de Hong Sangsoo

Ours d’argent — Prix du Jury : Robe of Gems de Natalia López Gallardo

Ours d’argent — Meilleure direction : Avec amour et acharnement de Claire Denis

Ours d’argent — Meilleure performance d’acteur : Meltem Kaptan dans Rabiye Kurnaz vs George W. Bush d’Andreas Dresen

Ours d’argent — Meilleure performance d’acteur dans un second rôle : Laura Basuki dans Nana de Kamila Andini

Ours d’argent — Meilleur scénario :  Laura Stiler pour Rabiye Kurnaz vs George W. Bush d’Andreas Dresen

Ours d’argent — Contribution exceptionnelle au cinéma : Rithy Panh et Sarit Mang pour Everything Will Be OK de Rithy Panh

Everything Will Be OK de Rithy Panh

Everything Will Be OK
Rithy Panh, cinéaste franco-cambodgien, a consacré la plus grande partie de son œuvre aux massacres perpétrés dans son pays sous la dictature de Pol Pot, lesquels ont décimé toute sa famille. En 2020,  il nous avait donné le douloureux documentaire Irradiés (Prix du meilleur documentaire, Berlinale 2020). Il nous revient en Compétition avec Everything Will Be OK,une dystopie située entre le film d’animation et le documentaire. Dans un futur indéterminé, les animaux décident de réduire les humains en esclavage. Alors que sur des écrans paraissent les pires moments de l’histoire du XXe siècle, des statuettes en terre glaise montrent des animaux en train de vacciner des rangées d’humains masqués, sangliers, gorilles, cerfs et lions prennent le pouvoir, les symboles de la civilisation humaine tombent. Toutes les stratégies de la dictature sont présentées dans un puissant texte en hors-champs, qui sert de justificatif à cette révolution animale. Un sanglier-dictateur contemple des fresques rupestres, annonçant que « bientôt, l’idée même du temps sera interdite. Oui, j’effacerai les visages aussi. Ceux que tu aimais. » C’est étonnant, troublant, parfois désarçonnant, mais jamais ennuyant.

The Novelist’s Film de Hong Sangsoo

The Novelist’s Film
Le cinéaste sud-coréen Hong Sangsoo, bien connu à la Berlinale où ses films ont reçu de nombreux prix, revient cette année avec The Novelist’s Film en Compétition. Cinéaste de l’incertitude, il nous avait habitués à des films non linéaires faits de temporalités multiples et de motivations parfois mystérieuses. Ce n’est pas du tout le cas ici avec The Novelist’s Film. Quoique lefilm, comme tous les films de Hong Sangsoo, soit basé sur la rencontre et les échanges filmés de côté avec une caméra fixe, le récit y est linéaire, basé sur des rencontres de hasard. On retrouve une romancière très connue (Lee Hyeyoung) qui a entrepris un long voyage pour visiter une librairie tenue par une collègue plus jeune (Seo Younghwa), avec laquelle elle avait perdu le contact. Par après, la romancière monte seule dans une tour et tombe sur un réalisateur (Ha Seong-Guk) et sa femme (Cho Yoon-Hee), qui la reconnaissent et lui démontre leur admiration pour son œuvre littéraire. Le trio va se promener dans un parc où ils rencontrent une actrice (Kim Minhee). La romancière essaie de convaincre l’actrice de faire un film avec elle.Hong Sangsoo était allé très loin dans le style qu’on lui connaissait avec The Woman Who Ran (2020) et Introduction (2021), deux films acclamés. Ce nouveau style, linéaire et bavard, non qu’il ne soit bien, nous laisse sur notre faim.

Section Encounters
La section Encounters, instaurée par Carlo Chatrian en 2019, présente des films qui ouvrent des voies en matière de cinéma et leur décerne des prix, histoire de faire avancer le médium. Lors de sa première édition, le public était tombé amoureux de Gunda, un film muet basé uniquement sur une truie dans une ferme et sa troupe de petits. Denis Côté y avait gagné le prix de la meilleure direction avec Hygiène sociale en 2021. Un petit coup d’œil permet d’y faire de belles découvertes, tel À vendredi, Robinson de Mitra Farahani, film sur les messages échangés le vendredi entre les poètes Jean-Luc Godard et Ebrahim Golestan, chacun échoué sur son île durant la pandémie.  Dans un tout autre genre, The City and the City de Christos Passali et Syllas Tzoumerkas relate en six chapitres le drame des juifs grecs de Thessalonique durant la Seconde Guerre mondiale, en reconstruisant les scènes dans la ville actuelle, les alternant avec des documents d’archives.

Encounters a remplacé les sections Natives et Cinéma culinaire, dont on s’ennuie un peu. Force est cependant d’admettre la sagesse des nouveaux directeurs, qui ont voulu placer la Berlinale sous le sceau du cinéma indépendant et engagé, et font ce qu’il faut pour que de nouvelles voix puissent y être reconnues.

ANNE-CHRISTINE LORANGER

Séquences à la Berlinale 2022 – Jour 6

16 février 2022

Signe des temps ou nostalgie de temps plus simples? La Berlinale a offert en Compétition trois bons films portant sur la vie paysanne.

Alcarràs de Carla Simón

Commençons avec Alcarràs de Carla Simón, un bijou portant sur une famille paysanne en Catalogne, dans le sud de l’Espagne. La famille Solé fait la récolte des pêches dans leur verger situé dans le petit village d’Alcarràs, comme l’a fait leur famille depuis trois générations. Mais leur mode de vie rural, bien enraciné dans la terre catalane, est mis en péril par leur propriétaire, qui veut remplacer le verger par des panneaux solaires.

À l’heure où l’énergie verte est devenue un must, voici un film qui mets les tenants des énergies renouvelables en collision avec ceux qui défendent la vie du terroir. Carla Simon dépeint une famille paysanne typique, des grands-parents aux petits-enfants, y incluant un beauf et une tante qui, tous, dépendent de la terre pour leur gagne-pain, leur vie, leurs jeux et leurs souvenirs. La terre est ici filmée comme un personnage à part entière, avec sa poussière et ses fruits, ses animaux et ses bruits. Carla Simon capte savamment les jeux nerveux des enfants, le travail de récolte, l’importance du potager, du savoir ancestral et des vieux récits. La cinématographie y est nerveuse, mais subtile, et les interprètes criant de vérité. Une perfection du genre.

Drii Winter (A Piece of Sky)de Michael Koch se déroule dans un petit village niché dans les hautes Alpes suisses. Anna (Michèle Brand), une fille du village qui a eu une fille d’une précédente relation, est tombée amoureuse de Marco (Simon Weiser), un jeune travailleur de ferme venu d’un autre canton. Alors qu’ils viennent de se marier, Marco apprend qu’il a une tumeur au cerveau qui désinhibe ses impulsions. Malgré une opération, sa santé se détériore de plus en plus. Cette histoire tournée avec sobriété et raffinement cinématographique touche son public à cause du personnage dévoué d’Anna. On peut reprocher au film certaines longueurs mais il est à l’image des personnes qui l’habitent : humble et résistant.

Return to Dust de Li Ruijun

De la Suisse, on passe à la Chine rurale avec Return to Dust de Li Ruijun, premier film chinois à la Berlinale depuis So Long, My Son de Wang Xiaoshuai en 2019. C’est le quatrième long-métrage de ce réalisateur de 39 ans, qui nous avait donné des films acclamés comme Walking Past the Future (2017) River Road (2014) et Fly with the Crane (2012). Ses films, souvent ancrés dans le réalisme social et interprétés par des non-professionnels locaux, dont ses propres parents et proches, relatent la vie rurale traditionnelle autour de Gaotai, sa ville natale dans la province reculée du Gansu, en Chine centrale. La famille de Ma, un paysan taciturne peu considéré par les siens, décide de le marier avec Guiying, une jeune femme handicapée et timorée dû aux mauvais traitements qu’elle a subi toute sa vie. Ce mariage écrit dans la misère voit pourtant fleurir Ma et Guiying, qui se découvrent des buts communs dans le travail de la terre et la construction d’une maison à eux. Li Ruijin a passé un an avec ses interprètes dans son village pour les filmer dans leur travail aux champs, tout au cours de l’année. Si Hai Qing dans le rôle de Guiying est une actrice de Beijing, Ma (Wu renlin) son personnage principal est un véritable paysan. Un film splendidement filmé, touchant et tendre au sein d’une vie rude. Un beau, très beau cadeau de cinéma.

ANNE-CHRISTINE LORANGER

Séquences à la Berlinale 2022 – Jour 5

15 février 2022

S’il est un (tout petit) avantage à deux années de pandémie, c’est qu’elle a donné lieu à une excellente sélection de films en Compétition. Les autres sections ont eu un lot appréciable de films en français, qui promettent de nombreux régals à venir dans les salles montréalaises.

À propos de Joan de Laurent Larivière

L’un de ces régals dans la section Berlinale Special est À propos de Joan de Laurent Larivière, un beau petit film bien construit, mettant en vedette Isabelle Huppert, actrice-caméléon par excellence, dans le rôle d’une éditrice de renom qui, lors d’un voyage vers la maison familiale dans le sud de la France, refait le chemin de sa tumultueuse jeunesse. Cela pourrait être bête et lourd, c’est au contraire vif et pétillant, riche en émotions et inusité, comme de plonger dans une piscine de mousseux. Isabelle Huppert, récipiendaire cette année d’un Ours d’or en hommage à sa carrière, n’a pu y assister, ayant été déclaré positive à la COVID une journée avant son départ. Souhaitons-lui et souhaitons-nous un prompt rétablissement. Parce que le cinéma français, surtout indépendant, sans Isabelle Huppert, franchement…

Un autre joli film, charmant et léger sans être superficiel, est A E I O U — Alphabet rapide de l’amour, l’un des films allemands en Compétition. On pense rarement au film romantique en pensant au cinéma allemand. C’est pourquoi cette romance entre une actrice sur le déclin et un jeune homme touche et émeut. Anna (Sophies Rois) a soixante ans, elle a eu une grande carrière, mais elle peine à trouver de l’emploi. C’est pourquoi elle accepte un boulot de coach de langage avec Adrian, un jeune homme qui a des problèmes à s’exprimer et qui doit jouer au théâtre pour passer son année scolaire. Mais Anna reconnaît en Adrian le jeune homme qui lui a volé son sac quelques semaines plus tôt dans la rue. L’actrice autrichienne Sophie Rois, bien connue autant pour son travail en télévision et au cinéma, est troublante et délicieuse dans ce rôle qui semble taillé pour elle. Car autant elle nous irrite en semi-diva frustrée d’être laissée pour compte, autant elle illumine l’écran dans sa relation avec Adrian (Milan Herms), un jeune acteur à surveiller, lumineux et intelligent. Le travail de caméra est habile et délicat, surtout dans une scène exquise où Adrian amène à Anna des perruches qu’il laisse s’envoler dans la pièce. On aurait cependant aimé un peu plus de Udo Kier, qui joue le voisin et le confident d’Anna. Parce qu’Udo Kier, de toute façon, on en a jamais assez!

Un été comme ça de Denis Côté

Du charme on passe au trouble avec Un été comme ça de Denis Côté. Durant l’été à la campagne, trois jeunes femmes accros au sexe débarquent dans une superbe résidence au bord d’un lac, pour y effectuer un travail thérapeutique, guidées par des professionnels dont le but avoué n’est pas de les guérir, mais de transformer leurs rapports à elles-mêmes. C’est l’occasion de révélations, de collaborations et de masturbations. Récits orgiaques et bondage sont au rendez-vous. Si le film est parfois décousu et inégal, parfois surréaliste et parfois choquant, reste qu’il est peut-être l’un des films les plus authentiquement féministes des dernières années. Côté dévoile autant la part d’ombre de ses personnages que leur côté lumineux, espérant que « la part de lumière puisse contenir la part d’ombre ». Le féminin n’est ici ni « propre », ni « victime », ni « harpie ». Il est ce qu’il est, complexe et parfois confus. Tout comme ce film.

ANNE-CHRISTINE LORANGER

Séquences à la Berlinale 2022 – Jour 4

14 février 2022

Le soleil commence doucement à chauffer Potsdamer Platz, donnant aux cinéphiles masqués un avant-goût de printemps. Programmation écourtée oblige et les terrasses se réchauffant, déjà on commence à oursiner, c’est-à-dire à décerner les prix. Le couple Vincent Lindon-Juliette Binoche dans Avec amour et acharnement de Claire Denis ne sera pas possible cette année vu qu’on ne donne qu’un prix pour le meilleur jeu d’acteur. Peut-être Meltem Kaptan pour Rabiye vs George W. Bush? Et Claire Denis comme Meilleure réalisation? Comme meilleur film, Return to Dust du Chinois Li Ruijin ou alors Nana, le film indonésien? Peu importe, pourvu qu’on échange, qu’on rit, qu’on se dispute, qu’on pinaille, qu’on vive, quoi! Qu’on vive de, pour et à travers le cinéma.

Les passagers de la nuit de Mikhaël Hers

Parlant de relations et de liens, tout le monde s’accorde pour adorer Les passagers de la nuit de Mikhaël Hers, mettant en vedette Charlotte Gainsbourg et Emmanuelle Béart, à contre-rôle toutes les deux. Alors que Paris hurle sa joie socialiste au soir de l’élection de Mitterrand en 1981, une famille emménage dans un grand appartement situé dans une des nouvelles tours d’habitation du XVIe arrondissement à Paris. Trois ans plus tard, le père a emménagé avec sa maîtresse et Élisabeth (Charlotte Gainsbourg) une mère hyper-sensible et fragile qui n’a jamais travaillé, se retrouve à chercher un travail pour élever ses deux ados, Mathias (Quito Rayon-Richter) et Judith (Ophélia Kolb). Si Judith trouve sa vocation dans l’activisme politique, Mathias, rêveur, aimerait bien écrire. Élisabeth, angoissée, insomniaque, trouve un réconfort dans l’émission de radio Les passagers de la nuit, animé par Wanda (Emmanuelle Béart). Séduite par les témoignages qu’elle y entend, Élisabeth écrit à Wanda et décroche un boulot dans l’émission. C’est là qu’elle rencontre Talulah (Noée Abita), une toute jeune fille de 18 ans qui est venue témoigner de sa vie dans l’émission. Talulah a fui sa famille depuis deux ans et vit dans la rue. Élisabeth offre un refuge à Talulah, dont Mathias tombe amoureux.  

Cette œuvre de Mikhaël Hers en est une de sensibilité et de tendresse, centrée sur la recherche du lien, qu’il soit amoureux ou familial. On ne peut s’empêcher d’être nostalgique à la vue de discussions familiales sans que personne ne pianote furieusement sur son téléphone. Béart et Gainsbourg incarnent des pôles féminins totalement contradictoires, mais complémentaire, la première annonçant les « femmes de tête » des années 90 et la seconde timide, vulnérable, quoique décidée à s’en sortir. La reconstitution des années 80, tant visuelle que sonore, en réjouira beaucoup. Un film qui coule dans les veines comme de l’eau d’érable, aussi vive et délicieuse. 

Le faussaire deMaggie Peren

Une belle découverte que la jeune réalisatrice allemande Maggie Peren qui, avec Der Passfälscher (Le faussaire), entre tout de go sur la grande scène internationale. Cette histoire de guerre originale (car pleine d’ironie et d’humour) est celle, véridique, de Cioma Schönhaus, un jeune Juif allemand qui, profitant de son physique aryen et de son talent graphique, forgera pas moins de 300 fausses pièces d’identité et sauvera la vie des centaines de personnes. Le jeune Louis Hoffman incarne son personnage avec une verve qui défonce l’écran. Le film est animé d’un souffle et d’une vie qui vous reste longtemps après la fin des crédits. Si le montage nerveux opère parfois des bonds un peu audacieux pour suivre le fil, l’histoire reste crédible malgré l’audace du récit. Nous avons vu le film au Friedrichstadt-Palast, l’une des plus grandes salles de Berlin avec 1500 sièges, pleine à 50% vu la pandémie, mais tout de même! Il y a un grand bonheur à partager un beau moment de cinéma avec 700 personnes. Le cinéma en salle vaut tous les Netflix de l’univers.

ANNE-CHRISTINE LORANGER

Séquences à la Berlinale 2022 – Jour 3

Il faisait beau sur Potsdammer Platz en ce troisième jour de ce festival vacciné, masqué et enrubanné de tests Covid. Le smartphone y est l’instrument de survie puisque les tests quotidiens et les billets électroniques de films, de conférences de presse et d’entrevues s’y entassent pêle-mêle dans les boîtes de messages au milieu des pourriels, des pubs en ligne et des confirmations de rendez-vous. Une bibliothèque de Babel à la main, on louvoie bravement entre les interdits et les défenses de passage aux coins de chaque rue. Une Berlinale à nulle autre pareille, certainement. Qu’en restera-t-il dans les mémoires, cela reste à savoir.

Nana: Before, Now and Then de Kamila Andini

Joyau de la jungle
La journée a commencé avec Nana: Before, Now and Then en Compétition, très beau film indonésien de Kamila Andini, réalisatrice balinaise propulsée sur la scène internationale en 2009 par son premier film The Mirror Never Lies. Yuni, son troisième film fut présenté sur la plate-forme du festival de Toronto en 2019. Cette jeune réalisatrice talentueuse offre avec Nana un film très achevé, d’une texture cinématographique raffinée, subtile et d’une grande beauté. Dans l’Indonésie des années 1960, la belle Nana (Happy Salma), qui a perdu son mari et sa famille durant le conflit qui secoua le pays 15 ans plus tôt, s’est remariée avec un homme riche. Malgré l’amour qui la lie à ses enfants, Nana ne peut s’empêcher de penser à son mari disparu sans trace et à son père assassiné, et n’arrive pas à trouver sa place dans son nouveau milieu, tandis que les trompettes du coup d’État du Général Suharto résonnent. Les rêves de son passé hantent ses nuits tandis que Soni, la nouvelle maîtresse de son époux, perturbe ses jours. Mais Soni (Laura Basuki), contre toute attente, ne prouvera pas être une rivale, mais une alliée et une amie. À coups de pinceau léger, Andini déploie une fresque familiale d’une belle subtilité et d’une admirable richesse de composition visuelle. La caméra détaille chaque regard de la superbe actrice et écrivaine Happy Salma, qu’on veut absolument revoir. Un joyau venu des jungles.

La maman face au Président
L’après-guerre allemand fit appel aux travailleurs turcs pour reconstruire l’Allemagne. De ces gästarbeiters (travailleurs invités) beaucoup s’installèrent sans toujours obtenir la citoyenneté. Les enfants nés en Allemagne de parents étrangers doivent encore aujourd’hui faire une demande de citoyenneté à leurs 18 ans. Cette  subtilité administrative explique le cas si complexe de Murat Kurnaz dont l’histoire est raconté dans Rabiye Kurnaz vs George W. Bush d’Andreas Dresen, présenté en Compétion. Murat, jeune homme élevé dans une famille turque de Bremen en Allemagne développe, suite aux attentats du 9 septembre 2001, un intense intérêt pour l’Islam, fréquente la mosquée, et part pour le Pakistan où il est arrêté sur des on-dits par les Américains et envoyé à Guantanamo. N’ayant pas fait sa demande de citoyenneté allemande, le gouvernement allemand refuse de s’occuper de son cas. Sa mère, Rabiyé Kurnaz, qui jusque là avait été une mère de famille turque ordinaire, fera tout pour rapatrier son fils de Guantanamo, jusqu’à intenter un procès au Président des États-Unis. Dresen trace jour après jour la galère de la famille Kurnaz, de leur avocat Bernard Docke et particulièrement de sa mère Rabiyé qui se retrouva sous les feux des projecteurs pendant des années. Le cas de Murat illustre très bien la peur et les préjugés des gouvernements face au terrorisme et les incroyables murailles administratives entre l’Allemagne, les États-Unis et la Turquie face aux prisonniers de Guantanamo, qu’ils se renvoient comme une patate chaude. Cela pourra être étouffant d’ennui, c’est au contraire un film riche d’humour, d’émotion et de tendresse. L’actrice allemande Meltem Kaptan offre une admirable performance, touchante et pleine de vie. Deux heures de montagnes russes administratives où on ne s’ennuie pas une seconde. Faut le faire!

Call Jane de Phyllis Nagy

Call Jane!!!
États-Unis, 1960. Après que le comité médical (entièrement masculin) d’un hôpital lui ait refusé un avortement destiné à sauver sa vie, Joy Griffin (Elizabeth Banks) prend les choses en mains : elle « appelle Jane ». Jane, c’est un groupe de femmes qui tiennent une opération d’avortement illégale, fondée par Virginia (Sigouney Weaver), une activiste qui n’a pas froid aux yeux. Mais les tarifs sont chers : le médecin exige 600$ par intervention. C’est beaucoup trop pour les femmes pauvres, surtout les Noires qui sont celles qui en ont le plus besoin. Joy commencera à aider le groupe, au point d’assister le médecin. Mais les besoins sont pressants et Joy décide de prendre les choses en main.

Phyllis Nagy, qui avait écrit le scénario du très beau Carol (2015), offre avec ce premier long-métrage de puissants portraits féminins. Elizabeth Banks est brillante en bourgeoise fatiguée de sa condition féminine et Sigourney Weaver joue son rôle d’activiste avec brio. Phyllis Nagy a filmé les scènes d’avortement avec efficacité et intelligence, sans pathos superflu, fixant l’attention sur les visages et la relation patient-médecin plutôt que d’aller dans le gore. Surtout, elle capture la puissance de la collaboration entre femmes. À l’heure où les Républicains sont en train d’effriter le droit à l’avortement dans plus de 20 états aux États-Unis, voici un film plus que nécessaire.

Nonobstant ces bons films, le meilleur moment de la journée a été la conférence de presse de Good Luck to you, Leo Gande avec l’inoubliable Emma Thompson, qui a offert aux photographes une performance déchaînée durant le photo-call et des réponses d’une brillante intelligence durant la conférence de presse. Il faut dire qu’elle joue dans ce film une femme enseignante retraitée qui appelle un jeune escorte masculin pour apprendre de lui le plaisir sexuel. Humour et intelligence au rendez-vous (on en reparle dans quelques jours)!

ANNE-CHRISTINE LORANGER

Séquences à la Berlinale 2022 – Jour 2

12 février 2022

Robe of Gems de Natalia López Gallardo

Matin Mexicain
Petit matin de pluie que notre parapluie rose gardait en respect, en route pour Robe of Gems de la mexicaine Natalia López Gallardo. Si le film est une robe de gemmes, c’est une robe en lambeaux et parsemée de gemmes brillantes, certes, mais dépareillées. Au point où nous nous sommes demandé si la réalisatrice elle-même savait où son histoire voulait en venir. Et puis, on se rend compte que le film ne cherche pas tant à raconter un récit linéaire qu’à évoquer une topographie de la violence et de la souffrance qui sévissent au Mexique. Une famille mexicaine aisée reprend possession de la villa rurale de leur mère dans la campagne mexicaine. Ils reprennent contact avec Mari, l’ancienne domestique de la famille, dont la sœur a disparu six mois plus tôt. Mais tous les personnages de cette fresque complexe souffrent de perte et d’abandon, depuis les enfants jusqu’à la chef de police du village, dont le fils fait partie d’une bande de narcos qui kidnappent des gens. Dans une série de tableaux fort bien filmés, la réalisatrice dépeint le quotidien d’un pays marqué par le machisme et la violence lié au trafic d’armes et de drogues. Le plus criant est un travelling à hauteur de ceinture (ou de celui du regard d’un enfant) à travers un poste de police où les familles des personnes disparues cherchent à retracer leurs proches. La robe de gemmes est peut-être celle de ces milliers de personnes qui, comme Mari, tente de survivre à l’insurmontable.

La ligne du jour
De la campagne mexicaine, nous voyageons vers les sommets enneigés de la Suisse avec La ligne d’Ursula Meier qui nous avait donné l’excellent L’enfant d’en haut en 2012 (Prix Alfred-Bauer de la Berlinale 2012). Encore une fois il s’agit d’un drame familial où les rôles de parents et d’enfants sont interchangeables entre les adultes et leur progéniture. Après avoir violemment frappé sa mère lors d’une dispute, Margaret (excellente Stéphanie Blanchoud) une auteure-compositeure-interprète constamment impliquée dans des bagarres, est condamnée pendant trois mois à ne pas pouvoir approcher la résidence familiale à l’intérieur de 100 mètres, sous peine de se retrouver en prison. En vue de protéger Margaret, trop impulsive, sa jeune sœur Marion (Elli Spagnolo) peint une ligne bleue dans un rayon de 100 mètres tout autour de la maison, que Margaret ne doit pas franchir. Les interactions entre les sœurs et leur mère narcissique et égoïste (Valérie Bruni-Tedeschi) s’effectuent autour et à travers cette ligne qui délimite aussi des univers où chacun doit définir les mots famille, sécurité, soutien et parents. Il manque une toute petite touche pour faire de ce film un grand film. Pour l’instant, c’est un beau film qui fait du bien. C’est déjà beaucoup!

Avec amour et acharnement de Claire Denis

La dispute du jour
C’est Wagner, à l’opéra, qui détient la palme de la meilleure et plus longue scène de ménage dans la Walkyrie. Au cinéma, Mike Nichols garde sa médaille d’or avec Who’s Afraid of Virginia Woolf? (1966). On pourrait cependant donner la médaille d’argent à Claire Denis pour Avec amour et acharnement qui réunit à l’écran Juliette Binoche et Vincent Lindon incarnant un couple heureux qu’un ancien amour va venir troubler. Alors que Sara (Binoche) et Jean (Lindon) reviennent de vacances, leur passé viendra tous deux les hanter. Sara revoit pour la première fois François (Grégoire Colin), son ancien amour qui était aussi le meilleur ami de Jean. Jean, quant à lui, éprouve des difficultés de communication avec son fils métis qui a des problèmes à l’école, avec sa mère et aussi avec son passé de joueur de rugby blessé qui a échoué en prison. Puis, François offre à Jean de venir travailler pour lui. Ce sera l’occasion pour Sara de revoir celui qu’elle avait tant aimé.

Claire Denis nous tient ici par la main et nous force à assister à la lente détérioration d’un couple, pas à pas. C’est à la fois désagréable et troublant d’observer en très gros plan des gens qui mentent en croyant être sincères, qui se fuient prétendant se toucher et qui se murent de l’autre tout en cherchant à ne pas blesser. Le travail de Juliette Binoche ici est remarquable, posant à Jean des questions innocentes avec le léger sourire aimable et figé de la femme avec un agenda caché qui, soudainement, a des éclairs de sincérité. Vincent Lindon incarne fort bien un homme amoureux qui ne veut pas perdre celle qu’il aime, mais aussi un homme abîmé qui sent le besoin de refaire sa vie et de se prouver à lui-même. Reste qu’aucune querelle de couple n’est plaisante. Mais cela peut être fascinant. Et révélateur.

Crier la beauté du monde
Le chêne est l’arbre qui, et de loin, abrite l’écosystème le plus développé et le plus complexe de l’hémisphère nord. Au sein de leur film muet baptisé Le chêne, Laurent Charbonnier et Michel Seydoux nous détaillent cet écosystème dans un sublime luxe d’image ravissante, touchante, amusantes ou simplement sublimes de beauté, en plus de nous faire découvrir la vie animale et végétale qui se niche autour d’un chêne. On y voit plus de 40 espèces animales qui croient, se reproduisent et parfois meurent au cours des saisons, sur une riche trame sonore. Un film muet qui crie la merveille du monde. 1h25 de bonheur.

ANNE-CHRISTINE LORANGER

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