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Séquences à la Berlinale 2022 – Jour 5

15 février 2022

S’il est un (tout petit) avantage à deux années de pandémie, c’est qu’elle a donné lieu à une excellente sélection de films en Compétition. Les autres sections ont eu un lot appréciable de films en français, qui promettent de nombreux régals à venir dans les salles montréalaises.

À propos de Joan de Laurent Larivière

L’un de ces régals dans la section Berlinale Special est À propos de Joan de Laurent Larivière, un beau petit film bien construit, mettant en vedette Isabelle Huppert, actrice-caméléon par excellence, dans le rôle d’une éditrice de renom qui, lors d’un voyage vers la maison familiale dans le sud de la France, refait le chemin de sa tumultueuse jeunesse. Cela pourrait être bête et lourd, c’est au contraire vif et pétillant, riche en émotions et inusité, comme de plonger dans une piscine de mousseux. Isabelle Huppert, récipiendaire cette année d’un Ours d’or en hommage à sa carrière, n’a pu y assister, ayant été déclaré positive à la COVID une journée avant son départ. Souhaitons-lui et souhaitons-nous un prompt rétablissement. Parce que le cinéma français, surtout indépendant, sans Isabelle Huppert, franchement…

Un autre joli film, charmant et léger sans être superficiel, est A E I O U — Alphabet rapide de l’amour, l’un des films allemands en Compétition. On pense rarement au film romantique en pensant au cinéma allemand. C’est pourquoi cette romance entre une actrice sur le déclin et un jeune homme touche et émeut. Anna (Sophies Rois) a soixante ans, elle a eu une grande carrière, mais elle peine à trouver de l’emploi. C’est pourquoi elle accepte un boulot de coach de langage avec Adrian, un jeune homme qui a des problèmes à s’exprimer et qui doit jouer au théâtre pour passer son année scolaire. Mais Anna reconnaît en Adrian le jeune homme qui lui a volé son sac quelques semaines plus tôt dans la rue. L’actrice autrichienne Sophie Rois, bien connue autant pour son travail en télévision et au cinéma, est troublante et délicieuse dans ce rôle qui semble taillé pour elle. Car autant elle nous irrite en semi-diva frustrée d’être laissée pour compte, autant elle illumine l’écran dans sa relation avec Adrian (Milan Herms), un jeune acteur à surveiller, lumineux et intelligent. Le travail de caméra est habile et délicat, surtout dans une scène exquise où Adrian amène à Anna des perruches qu’il laisse s’envoler dans la pièce. On aurait cependant aimé un peu plus de Udo Kier, qui joue le voisin et le confident d’Anna. Parce qu’Udo Kier, de toute façon, on en a jamais assez!

Un été comme ça de Denis Côté

Du charme on passe au trouble avec Un été comme ça de Denis Côté. Durant l’été à la campagne, trois jeunes femmes accros au sexe débarquent dans une superbe résidence au bord d’un lac, pour y effectuer un travail thérapeutique, guidées par des professionnels dont le but avoué n’est pas de les guérir, mais de transformer leurs rapports à elles-mêmes. C’est l’occasion de révélations, de collaborations et de masturbations. Récits orgiaques et bondage sont au rendez-vous. Si le film est parfois décousu et inégal, parfois surréaliste et parfois choquant, reste qu’il est peut-être l’un des films les plus authentiquement féministes des dernières années. Côté dévoile autant la part d’ombre de ses personnages que leur côté lumineux, espérant que « la part de lumière puisse contenir la part d’ombre ». Le féminin n’est ici ni « propre », ni « victime », ni « harpie ». Il est ce qu’il est, complexe et parfois confus. Tout comme ce film.

ANNE-CHRISTINE LORANGER

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