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28e Festival Cinemania – Quelques suggestions

1er novembre 2022

DANIEL RACINE

Avec cette 28e édition à la programmation touffue et alléchante et une liste d’invité.e.s assez exceptionnelle, le festival Cinemania se positionne clairement dans la lignée des grands rendez-vous francophones européens, comme ceux du Festival international du film francophone de Namur et du Film francophone d’Angoulême. Nous pourrions même affirmer que Cinemania joue du coude avec les Rendez-Vous Québec Cinéma, affichant une sélection québécoise bonifiée à onze titres, en plus d’une vaste sélection de courts métrages québécois. À lui seul, tout l’espace accordé au cinéma du Luxembourg vaut assurément le détour. Nous attendons impatiemment les nouvelles œuvres de Valéria Bruni-Tedeschi, Christophe Honoré, Dominik Moll, Mia Hansen-Løve, Lukas Dhont et d’Ursula Meier. Avant de pouvoir les découvrir, voici quelques longs métrages à ne pas manquer que nous avons eu la chance de voir.

Au grand jour (Emmanuel Tardif, Québec)
Sans tambour ni trompette, Emmanuel Tardif nous arrive déjà avec son troisième long métrage complètement indépendant, le mystérieux Au grand jour. Après les inégaux Speak Love et Soumissions, deux films pleins de défauts pourtant portés par un évident désir cinématographique, Tardif confirme les espoirs des plus fins observateurs à son égard. Au grand jour est l’une de ces œuvres qui se résume très mal, principalement parce que l’histoire flotte au-dessus de nos têtes. Cette famille aisée complètement dysfonctionnelle voit son fragile équilibre bouleversé davantage par l’arrivée du bébé d’Hélène, mère adolescente qui plaque tout pour partir à la recherche du père. En même temps, l’opulente maison de banlieue et sa piscine intérieure sont autant des personnages que les excellents comédiens et comédiennes, menés par la talentueuse étoile montante qu’est Amaryllis Tremblay. Avec Au grand jour, Emmanuel Tardif explore des territoires narratifs peu fréquentés dans le cinéma québécois, celui d’un mal intangible, aux échos du cinéma de Yorgos Lanthimos et de David Lynch.

As Bestas (Rodrigo Sorogoyen, France/Espagne
Nous aurons la chance de voir l’excellent Denis Ménochet dans quatre films sélectionnés cette année (aussi dans Chien blanc, Peter Von Kant et Les survivants), un acteur au sommet de son art présentement. Il porte en lui une charge dramatique bouillonnante, comme un volcan tranquille qui pourrait exploser à tout moment, mais capable aussi d’une sensibilité à fleur de peau. Dans As Bestas, second opus du cinéaste espagnol Rodrigo Sorogoyen qui nous avait épaté avec son Madre en 2019, Ménochet et Marina Foïs forment un couple français qui s’installent en Galice, dans la campagne espagnole. Leur refus d’accepter l’installation d’éoliennes dans ce hameau, les mettra en vive opposition avec des voisins mal intentionnés. Un drame aride, qui s’installe dans notre corps de spectateur comme un lent venin, As Bestas est d’une redoutable efficacité et mené par un ensemble d’acteurs et d’actrices irréprochables.

L’innocent (Louis Garrel, France)
Avec L’innocent, quatrième long métrage de Louis Garrel, le moins que l’on puisse dire c’est que le comédien ne se répète jamais derrière la caméra. Depuis Deux amis, Garrel semble vouloir explorer différents genres, se laissant porter par une inspiration du moment. Cette fois-ci, il nous propose une comédie policière un brin nostalgique, comme celles que le cinéma français nous proposait dans les années 70 et 80, où le crime côtoyait l’humour sans trop tomber dans la dramatisation inutile des situations, misant sur l’amitié et les confrontations entre les personnages. Porté par un sympathique quatuor devant sa caméra, il se met en scène entouré de Roschdy Zem, Noémie Merlant et d’une actrice que nous avions presqu’oubliée (et qui fait un retour remarqué dans trois films de cette édition, dont aussi Tromperie et La nuit du 12), Anouk Grinberg. Un réel bonheur de les suivre tous les quatre dans cette histoire de vol de caviars en famille.

L’origine du mal (Sébastien Marnier, France/Québec)
Il y a dans le cinéma de Sébastien Marnier une quête perpétuelle de ses personnages, d’un travail (Irréprochable), de l’approbation d’un groupe (L’heure de la sortie) et maintenant d’une figure paternelle. La toujours excellente Laure Calamy joue Stéphane, une femme qui retrouve son père, un homme richissime vivant coupé du monde avec sa femme ingrate et ses deux filles. Beaucoup de mensonges et de jeux de miroir nourrissent ce scénario plein de surprises, flirtant avec le cinéma de genre sans y plonger complètement. Marnier dirige à merveille un casting cinq étoiles, avec les vétérans Jacques Weber et Dominique Blanc, et aussi Doria Tellier et la québécoise Suzanne Clément. Mais encore une fois, c’est Laure Calamy qui fait osciller le plus nos émotions, variant avec finesse son impressionnant registre. Mise en musique par Pierre Lapointe et Philippe Brault, L’origine du mal nous plonge au cœur d’un mal être collectif, où l’union n’est pas nécessairement la force.

Rodéo (Lola Quivoron, France)
Parmi les jeunes cinéastes français à surveiller dans les prochaines années, le nom de Lola Quivoron figure au haut de la liste. En reprenant les idées embryonnaires de son court métrage Au loin, Baltimore sorti en 2016, Quivoron enrichit ses esquisses autour de la pratique illégale du « cross-bitume », surtout grâce à une héroïne forte et frondeuse. C’est la nouvelle venue Julie Ledru qui assure sans flancher le rôle de Julia, cette vingtenaire habituée aux sports équestres qui se fascinera pour ces rodéos urbains. Évitant tous les pièges que lui tendaient son scénario, Lola Quivoron ne coupe pas les coins ronds, nous offrant une réalisation soignée juste assez rugueuse, avec une subtile touche de poésie. Une belle complicité et confiance entre une réalisatrice et son actrice, Rodéo est assurément l’une des belles surprises de cette 28e édition.

Pour la programmation complète, visitez le festivalcinemania.com. Bon festival!

51e Festival du Nouveau Cinéma – Quelques suggestions

5 octobre 2022

DANIEL RACINE

Après un 50e anniversaire hybride, en salle et en ligne, le Festival du Nouveau Cinéma se concentre uniquement au grand écran, à notre plus grand bonheur. La pandémie n’est pas encore terminée, mais les assouplissements nous permettent enfin de nous réunir à nouveau pour communier devant les œuvres des cinéastes des quatre coins du globe. Durant les 11 prochains jours, à vous de piger parmi les 291 films provenant de 49 pays. Pour vous aider, voici quelques suggestions de longs métrages que j’ai eu la chance de voir avant la soirée d’ouverture, qui présentera en primeur Falcon Lake de Charlotte Lebon, qui fait la couverture de notre plus récent numéro.

A Piece of Sky (Michael Koch, Compétition internationale, Suisse)

Deuxième long métrage de l’acteur et réalisateur suisse Michael Koch, A Piece of Sky séduit par son rythme qui suit celui des montagnes et de ses éléments. Cette histoire d’amour entre une fille du village et un costaud peu bavard qui vient de l’extérieur profite des majestueux décors pour que nous puissions y croire. Koch ne brusque rien, il fait confiance à ses comédiens, dont plusieurs non-professionnels, pour nous plonger dans le drame à venir. Évitant les clichés et préférant nous surprendre au bon moment, A Piece of Sky s’est mérité une mention spéciale du jury à la dernière Berlinale.

Cette maison (Myriam Charles, Compétition internationale, Québec)

Dans cet hommage à sa cousine morte beaucoup trop tôt, la cinéaste québécoise Myriam Charles poursuit avec succès sa démarche poétique entamée dans ses précédents courts métrages. Partant d’une thématique sombre, Myriam Charles construit un magnifique rêve éveillé où Tessa, 14 ans, reprend vie, interprétée par l’excellente Shelby Jean-Baptiste. Si le cinéma québécois abuse parfois du deuil comme trame narrative, Myriam Charles lui insuffle une force créative peu commune, un désir de vivre pour sublimer la mort.

Dos Estaciones (Juan Pablo González, Panorama international, Mexique)

Il y a des visages au cinéma qui sont de véritables livres ouverts, racontant à eux seuls une bonne partie de l’histoire. C’est le cas de celui de la comédienne Teresa Sánchez, qui porte dans son personnage de Maria, à la fois la réussite passée et l’effondrement à venir de son usine de téquila. Dos Estaciones nous consume lentement, comme la brûlure d’une gorgée de cet alcool à base d’agave bleu. Juan Pablo González impressionne par sa maîtrise et surtout sa retenue, ne cédant jamais par excès. Un nouveau cinéaste à suivre de très près, qui a compris rapidement que tout doit être fait pour nourrir son récit, et non l’inverse.

Klondike (Maryna Er Gorbach, Panorama international, Ukraine)

Le cinéma ukrainien fera sa marque durant ce FNC avec quatre productions présentés en exclusivité. Le seul réalisé par une femme, Klondike frappe fort et ne laissera personne indifférent. En utilisant l’écrasement du vol de la Malaysia Airlines en juillet 2014 au centre de son scénario, la réalisatrice Maryna Er Gorbach critique avec panache les atrocités de la guerre. La région du Donbass devient alors le théâtre d’anticipation des événements actuels du conflit ukraino-russe, menée par une cinéaste qui nous crie sa rage à travers sa caméra.

De Humani Corporis Fabrica (Verena Paravel & Lucien Castaing-Taylor, Les nouveaux alchimistes, France)

Entre le film d’horreur pour certains et de fascination pour d’autres, le duo Paravel/Castaing-Taylor nous en met encore une fois plein la vue avec De Humani Corporis Fabrica. Les cinéastes, qui nous avaient secoué il y a dix ans avec l’impressionnant documentaire Leviathan sur un bateau de pêche, nous amène cette fois-ci littéralement sous la peau humaine. À l’aide de caméras miniatures, nous suivons diverses opérations de l’intérieur du corps, tout en entendant les commentaires des chirurgiens à l’œuvre. Orgie de fluides et de multiples conduits, il faut avoir le cœur solide pour garder les yeux ouverts. Mais les oreilles captent bien l’état du monde dans lequel tout ce « spectacle » se décline.

Women Talking (Sarah Polley, Les incontournables, États-Unis)

Il y a déjà 10 ans, Sarah Polley nous offrait son puissant Stories We Tell, mais l’attente pour Women Talking est récompensée au centuple. La cinéaste canadienne nous confronte aux mots (et maux) de ces femmes meurtries qui vivent isolées dans une communauté religieuse. Cette métaphore, qui dénonce le patriarcat et la culture du viol, résonne fortement aujourd’hui, à travers les paroles des personnages. Menée par les solides performances de Rooney Mara, Claire Foy et Jessie Buckley, Women Talking est déjà l’un des films favoris pour la prochaine cérémonie des Oscars. Un film nécessaire et précieux.

Les nuits de Mashhad (Ali Abbasi, Temps Ø, Danemark)

En 2018, un film a marqué tous ceux et celles qui ont pu le voir, Border, du cinéaste irano-dannois Ali Abbasi. Dans Les nuits de Mashhad, le réalisateur s’intéresse à un tueur en série qui a sévi en 2000 et 2001, un homme voulait purifier les rues de cette ville sainte iranienne, en se débarrassant des prostituées. Nous y suivons une jeune journaliste (jouée avec assurance par Zahra Amir Ebrahimi, prix d’interprétation féminine au dernier Festival de Cannes) qui tente par tous les moyens de coincer ce monstre qui se croit en mission divine. Film frontal et brutal, Ali Abbasi a choisi de n’épargner personne pour mieux révéler un système étatique qui ne protège pas les femmes.

Pour toute la programmation, visitez le nouveaucinema.ca. Bon festival!

Niagara

15 septembre 2022

Folie familiales

Guillaume Potvin

Niagara est d’abord et avant tout une histoire de famille : trois frères doivent se rassembler à l’occasion de la mort subite de leur père. Une prémisse de road movie simple et efficace, mais drôlement quelconque; au moins quatre autres films québécois des trois dernières années partagent celle-ci (Réservoir, Merci pour tout, Au revoir le bonheur et Nouveau-Québec). Mais Niagara est certainement le seul d’entre eux dans lequel le patriarche en question est mort d’un ice bucket challenge qui a mal tourné.

Bien que ce type de références désuètes puisse s’avérer irritant pour certains (les blagues sur l’açaï auront l’âge d’entrer au secondaire cet automne), Guillaume Lambert parvient quand même à tirer son épingle du jeu en misant sur les idiosyncrasies discordantes de ses personnages, à commencer par le trio fraternel central. D’abord, Alain (François Pérusse, dans son premier un rôle principal au cinéma), un raté de première classe, entraîneur de taekwondo sur qui la malchance s’acharne ; puis, Léo-Louis (interprété par Éric Bernier), le névrosé irritable, incarnation même de l’ascension sociale ; et enfin, Victor-Hugo (joué par Guy Jodoin, le seul des trois comédiens absent du film précédent du réalisateur), le frère resté le plus près de leur père Léopold (Marcel Sabourin), perpétuant les valeurs de simplicité volontaire de la vie agricole. De toute évidence, ces retrouvailles ne seront pas sans friction car la séparation géographique des frères n’est rien comparé à l’écart émotionnel qui s’est creusé entre eux avec les années.

Heureusement, le sens de la répartie déployé dans les dialogues de Lambert fait en sorte que ces frictions interpersonnelles ne sombrent jamais dans le pathos. Au contraire, l’attitude pince-sans-rire et les calembours typiquement pérussiens des frères mettent en relief l’absurdité ambiante des situations dans lesquelles ils se retrouvent. Et il ne manque pas de situations loufoques. Chaque détour routier est une occasion d’introduire des personnages tous plus caricaturaux les uns que les autres. On pense notamment à Véronic DiCaire et Katherine Levac en duo mère-fille franco-ontarien, et à Tommy, ce jeune artiste excentrique, petit rôle que Guillaume Lambert s’est réservé.

On détecte d’ailleurs dans ce geste un changement dans la façon de faire de Lambert qui, dans Les scènes fortuites, campait le protagoniste Damien Nadeau-Daneau (l’allitération nominale à laquelle fait écho le nom de Léo-Louis Lamothe). Alors que ce premier film semblait être animé par des préoccupations intimes et truffé d’anecdotes personnelles, Lambert est bon deuxième dans Niagara. Bien que ses cheveux fluorescents attirent le regard dans les quelques scènes où il est présent, ses répliques sont sous-titrées car le personnage marmonne. On en déduit une volonté de faire rayonner ses comédiens, de leur permettre de puncher et de laisser son écriture et sa réalisation parler d’elles-mêmes.

D’ailleurs, celles-ci ne sont jamais aussi éclatées que celles des Scènes fortuites, un film ovni dans lequel les figures de style et les sauts de ton s’entrechoquent et où les caméos mineurs et majeurs pullulent (Bernie du Cinéma Dollar! François Pérusse!! Denis Lavant!?). Bien que quelques moments de Niagara rappellent le goût de Guillaume Lambert pour la stylisation et le saugrenu, on ressent un adoucissement dans son approche, voire une certaine résignation. Concessions dues à l’ampleur de la production ou simple désir d’aller ailleurs?

Chose certaine, le juste milieu entre (anti-)humour niché et comédie grand public n’est pas encore tout à fait au point. Mais en attendant que cela le soit, si Niagara donne envie de revisiter Les scènes fortuites (voir Séquences no 313 pour notre critique), c’est tant mieux, car ce visionnement permettra de réaliser que Lambert est en train de se révéler comme un auteur avec des thèmes et un humour qui lui sont propres. Il y a quelque chose d’excitant à voir un créateur se déployer ainsi. Bien qu’il soit comédien de formation, Guillaume Lambert appartient à ce petit groupe d’humoristes — avec Adib Alkhalidey et, dans une moindre mesure, Mariana Mazza — pour qui le passage à la scénarisation et à la réalisation est le fruit d’années de travail en humour et d’apparitions télévisuelles. Mais Niagara signale clairement que Lambert est le premier à se démarquer de ses camarades par la singularité de sa vision cinématographique.

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