24 novembre 2016
Troisième long métrage de Kenneth Lonergan, après le sensible You Can Count on Me (2000) et l’inconstant, mais adroit Margaret (2011), Manchester by the Sea sera sans aucun doute l’un des favoris dans la course aux Oscars 2017. Pour la finesse de la mise en scène, lente, poétique, s’en tenant à l’essentiel, prenant le temps de filmer les personnages, des individus pris dans l’engrenage des responsabilités familiales et des incertitudes face au deuil. Mais avant tout, c’est un film sur la vie, celle qui passe, se transforme au gré des situations et transforme les êtres selon ses caprices.
Et dans ce drame fort émouvant, un refus catégorique de pathos gratuit ; au contraire, une distance face aux douloureux événements, une volonté de continuer à vivre après la mort d’un être cher, s’habituer à l’absence, essayer de bâtir un semblant d’avenir, repousser les regrets, avancer à grands et petits pas.
Pour vivre ces émotions, des comédiens formidables qui rendent chaque instant une belle page d’anthologie. Lorsque Lee Chandler, personnage taciturne victime d’une tragédie familiale dont nous apprendrons les tenants par des flashbacks aussi intelligents que magnifiquement intégrés grâce au montage habile de Jennifer Lame… embrasse la joue de son frère à la morgue, la douleur qu’il porte en lui est manifeste et les larmes, discrètes, mais sincères, procurant notre émotion palpable et complice. Avouons que l’Amérique représentée est celle qui a probablement voté pour Donald Trump ; parce qu’il s’agit d’une Amérique majoritaire, silencieuse et ignorée. Lonergan lui donne la place qu’elle mérite.
Mais le film illustre aussi cette Amérique encore sous le poids d’un catholicisme, si pas toujours pratiqué, faisant toujours partie de l’ADN social. Une Amérique dont les habitants cherchent encore des boulots face au chômage, un endroit où chacun se débrouille du mieux qu’il peut et où vivre, c’est savourer chaque moment de survie.
C’est justement ce qui fait la force de ce film fort habile et qui nous met le cœur gros, sans larmoiements, mais avec courage et détermination. La rédemption transparaît chez les personnages ; notamment dans celui de Lee, magnifiquement incarné par un Casey Affleck en pleine possession de son rôle, se l’accaparant pour mieux le mouler à l’idée qu’il se fait de l’art d’interprétation. Nous avons devant nos yeux une sorte de Marlon Brando calme, tempéré, vivant au gré des temps actuels, c’est-à-dire tristes, décourageants mais offrant de temps en temps de courts laps de répit.
S’il fallait imaginer Manchester by the Sea comme un roman, on le classifierait dans la section Americana dans n’importe quelle bibliothèque publique ou universitaire du pays. Même si le film est une fiction originale, jamais littérature populaire et cinéma n’ont atteint un tel degré de complicité. Ici, Lonergan n’est pas simplement un cinéaste, mais se présente comme un poète contemporain de l’image, ajoutant par son choix musical quelque chose de sacré. Sur ce point, les événements se déroulant sur fond d’Adagio en G mineur d’Albinoni demeure l’un des grands moments du film.
Et comme conclusion, un grand point d’interrogation, montrant que la vie n’est pas simplement un conte de fée, mais qu’au contraire, il faut s’y adapter pour pouvoir la poursuivre. Entre l’extraordinaire Moonlight, de Barry Jenkins, et Manchester by the Sea, la course aux Oscars s’avère serrée, sans compter sur les autres candidats. Lorsque le mélo se substitue à une émotion à l’état brut, ça fonctionne et on ne peut que se réjouir. Les racines juives et catholiques du cinéaste sont probablement pour quelque chose dans ce film inattendu et d’un humanisme absolu.
Genre : DRAME PSYCHOLOGIQUE – Origine : États-Unis – Année : 2016 – Durée : 2 h 17 – Réal. : Kenneth Lonergan – Int. : Casey Afleck, Michelle Williams, Gretchen Mol, Lucas Hedges, Kyle Chandler, C.J. Wilson – Dist./Contact : Métropole.
Horaires : @ Cinéma du Parc – Cineplex
CLASSEMENT
Interdit aux moins de 13 ans
(Langage vulgaire)
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
Genre : ANIMATION – Origine : États-Unis – Année : 2016 – Durée : 1 h 47 – Réal. : Ron Clements, John Musker – Voix (V.o.) : Auli i Cravelho, Dwayne Johnson, Rachel House, Temuera Morrison, Jemaine Clement, Nicole Scherzinger – Dist./Contact : Buena Vista.
Horaires : @ Cineplex
CLASSEMENT
Tout public
On reste saisi de la première à la dernière image de cette seconde création du styliste – et maintenant réalisateur, Tom Ford (A Single Man), couronné du Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise en 2016. Adapté du roman Tony et Susan d’Austen Wright, cette œuvre dérangeante, percutante, troublante questionne chaque spectateur sur lui-même et sur ses choix de vie.
Mêlant une histoire d’amour tronquée à un regard acéré sur le milieu artistique branché de Los Angeles, Noctunal Animals présente Amy Adams, Jake Gyllenhaal, Michael Shannon et Aaron Taylor-Johnson au sommet de leur capacités. Mentionnons le rôle réduit, mais crucial, interprété par Laura Linney, dont la puissance de jeu ne fait décidément que s’amplifier avec les années.
Il y a quelque chose d’admirable dans la façon dont Tom Ford le modéliste, présent dans chaque image, joue des coloris, des formes et des angles en maestro de l’esthétique. Ce qui aurait pu rester un exercice de style est cependant sublimé par la façon dont le cinéaste mène son récit, tant dans le rythme que dans le jeu des acteurs, allant recueillir la substantifique moelle de l’émotion dans chaque scène. Ford juxtapose savamment des récits parallèles et complémentaires : les lys blancs de l’existence réelle de Susan s’agencent aux fleurs sanglantes qui s’épanouissent au fur et à mesure de sa lecture de Nocturnal Animals, le roman écrit par son ex-mari Tony, qu’il lui fait parvenir après dix-neuf ans de silence.
Avec cette œuvre brillamment menée, Tom Ford s’inscrit comme l’un des plus habiles plasticiens à surveiller du cinéma américain contemporain.
Genre : SUSPENSE PSYCHOLOGIQUE – Origine : États-Unis / Grande-Bretagne – Année : 2016 – Durée : 1 h 56 – Réal. : Tom Ford – Int. : Amy Adams, Jake Gyllenhaal, Aaraon Taylor-Johnson, Michael Shannon, Isla Fister, Ellie Bamber – Dist./Contact : Universal.
Horaires : @ Cineplex
CLASSEMENT
Interdit aux moins de 13 ans
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
Retour en force de l’éclectique André Téchiné avec Quand on a 17 ans, évocateur du magnifique et amoureux Les roseaux sauvages (1994). Deux jeunes têtes : Kacey Mottet Klein (une dizaine de rôles à son actif) et Corentin Fila (première fois dans un long métrage); deux comédiens puissants, inoubliables, dont l’amour homosexuel ne se développe qu’après un long processus formé de haine, de mépris, d’attirance cachée et en fin de compte, souveraine, prouvant jusqu’à quel point Téchiné peut ne pas avoir peur du happy-end.
Puisque Quand on a 17 ans, titre presque moralisateur, est une des plus belles réussites du cinéma queer, genre rarissimement traité dans le cinéma français, farouchement hétéro. Téchiné, sur ce point, est un cinéaste engagé même si, en principe, ses récits gay ont toujours bénéficié d’une mise en scène tout à fait discrète, subtilement à fleur de peau : séquences courtes, à la limite de l’ellipse, importance accordée aux lieux, approche littéraire (le film est divisé en trois chapitres bien précis, premier trimestre, deuxième trimestre, troisième trimestre, bref l’année scolaire). Leur point commun réside dans la gestation d’une relation amoureuse, car dans son ensemble, le cinéma d’André Téchiné est un miroir diaphane de la sagesse que provoquent l’étourdissement et l’émoi.
Reproduction intégrale du texte publié dans Séquences, nº 305 (Novembre-Décembre 2016), p. 50 — En kiosque
Gros plan
Séquences
nº 306 (Janvier-Février 2017)
En kiosque : Janvier 2017
Genre : DRAME – Origine : France – Année : 2016 – Durée : 1 h 54 – Réal. : André Téchiné – Int. : Kacey Mottet Klein, Corentin Fila, Sandrine Kiberlain, Alexis Loret, Mama Prassinos, Jean Fornerod – Dist./Contact : TVA.
Horaires : @ Cinéma Beaubien – Cineplex
CLASSEMENT
Tout public
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
Le titre du film est extrait d’une phrase d’Howard Hughes citée en exergue. En effet, Rules Don’t Apply illustre bien cette maxime puisqu’en 1958, l’excentrique et mythique magnat n’est plus propriétaire de RKO depuis quatre ans et n’a donc pas accès à ses studios, ce qui ne lui permet pas d’employer tant d’actrices postulantes. Warren Beatty, avec l’aide de son co-scénariste Bo Goldman, gagnant d’un Oscar pour un autre film sur Hughes (Melvin and Howard) emploie le personnage d’Hugues pour montrer la différence qui existait alors entre la vie et la liberté des mœurs hollywoodiennes et celles beaucoup plus puritaines de certaines régions des États-Unis comme la Virginie, d’où lui et sa sœur Shirley MacLaine sont issus.
L’intrigue alterne les épisodes où Marla et Frank essaient de comprendre la place qu’ils occupent comme employés de la constellation ayant comme centre ce milliardaire qui change souvent d’idées. Lily Collins et Alden Ehrenreich apportent un mélange d’innocence et d’intelligence à leurs interprétations et la chimie qu’ils montrent dans leurs rencontres signale une issue romantique que plusieurs embûches retarderont. Warren Beatty use de son charisme et de son talent pour faire de Hughes un miroir en creux de sa propre existence puisqu’il fut reconnu naguère comme un Casanova et qu’il a toujours gardé une distance certaine avec les médias. Le réalisateur-scénariste et acteur fait donc du dirigeant d’entreprises un portrait assez gentil même si l’on sent poindre, de diverses manières, les travers psychologiques qui feront bientôt de lui bientôt un ermite hypocondriaque.
La cinématographie de Caleb Deschanel participe grandement à cette évocation du vieil Hollywood et facilite la préhension des passages un peu répétitifs qui ajoutent aux circonvolutions de l’histoire. Ce portrait d’un homme important et de la société qui l’entoure, nous rappelle à notre bon plaisir le supérieur Bulworth où Warren Beatty décrivait, il y a presque vingt ans, un sénateur aux opinions bien loin du politiquement correct.
Genre : COMÉDIE DRAMATIQUE – Origine : États-Unis – Année : 2016 – Durée : 2 h 07 – Réal. : Warren Beatty – Int. : Lily Collins, Alden Ehrenreich, Warren Beatty, Haley Bennett, Matthew Broderick, Annette Bening, Alec Baldwin, Ed Harris – Dist./Contact : Fox.
Horaires : @ Cineplex
CLASSEMENT
Tout public
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
[ Bande-annonce sans sous-titres ]
Genre : DRAME ROMANTIQUE – Origine : Philippines – Année : 2016 – Durée : 2 h 10 – Réal. : Maryo J. De Los Reyes – Int. : Dingdong Dantes, Angelica Panganiban, Paulo Avelino, Denise Laurel, Maricar Reyes, Martin Escudero – Dist./Contact : A-Z Films.
Horaires : @ Cineplex
CLASSEMENT
Tout public
De Justine Triet, nous avions aimé La bataille de Solférino (2013), son premier long métrage de fiction où mine de rien, elle confirmait son adresse à faire vibrer l’espace urbain et le privé avec un désir fou de tourner. Cette extase se perpétue dans Victoria, incarné par l’étoile montante du cinéma français, Virginie Efira, au registre aussi diversifié qu’invitant. En quelque sorte, le film, c’est « elle », apportant à chaque scène une sorte de grâce précise et articulée. Mais c’est aussi Vincent Lacoste et Melvil Poupaud, avec qui, je dois l’avouer, je me réconcilie inconditionnellement. Ils sont tous les deux solides et convaincants.
La comédie sentimentale made in France change de ton, d’atmosphère, vouant à la femme une liberté de pensée et de mouvement. Elle n’est plus l’apanage des mâles à la recherche des aventures d’un soir. Elle décide, elle refuse, elle se donne ou pas et, en fin de compte, établit un rapport de force combatif entre les deux sexes. Efira, par son physique, sa prestance, son visage classique, sa gestuelle gracieuse et absolue à la fois, semble parfaite pour représenter ce nouveau type de femme.
Film d’ouverture à la Semaine de la critique au récent Festival de Cannes, Victoria est un pur délice fait de séquences intentionnellement maladroites, de moments d’anthologie et chose rare dans le cinéma d’aujourd’hui : un sans-gêne qui caresse nos sens et fait remuer nos cordes sensibles sans la moindre hésitation.
Reproduit en partie du texte publié dans Séquences, nº 305 (Novembre-Décembre 2016), p. 50 — En kiosque
Genre : COMÉDIE DRAMATIQUE – Origine : France – Année : 2016 – Durée : 1 h 36 – Réal. : Justine Triet – Int. : Virginie Efira, Vincent Lacoste, Melvil Poupaud, Laurent Poitrenaux, Laure Calamy, Alice Daquet – Dist./Contact : Axia.
Horaires : @ Cinéma Beaubien – Cineplex
CLASSEMENT
Tout public
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
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