1er mars 2020
La journée d’hier s’est terminée chouettement avec une mention spéciale pour le court-métrage de Mathieu Grimard, Goodbye Golovin, dans la section Génération 14plus, confirmant la mainmise du Québec dans le cinéma pour jeunes. C’est la quatrième année en ligne qu’un prix est décerné à un film québécois, après ceux de Geneviève Dulude-De Celles (Une colonie, 2019), Luc Picard (Les rois mongols, 2018) et Sandrine Brodeur-Desrosiers (Juste moi et toi, 2018), sans compter la mention spéciale de Mathieu Denis et Simon Lavoie en 2017 pour Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau. Rappelons que Philippe Falardeau l’avait également gagné en 2008 avec C’est pas moi, je le jure! André Melançon peut se reposer tranquille, sa descendance est assurée.
Les projections en Compétition s’étant terminées hier, c’est le temps de profiter des autres sections ! Berlinale Séries présentait pour la première fois une série québécoise. Revenant aux années 70, à son esthétique et à son innocence, C’est comme ça que je t’aime de François Létourneau et Jean-François Rivard est une réflexion désopilante sur le couple, un bijou d’humour, de dialogues surréalistes et de détours inattendus. Les deux épisodes présentés à Berlin montraient une histoire qui se tient sur elle-même par la seule force de son style : le public berlinois en riait encore à la sortie du cinéma. Une petite merveille en dix épisodes diffusés au Québec à partir du 6 mars.
La section Panorama donne une large part aux films LGBTQ, mais donne aussi la chance de voir des films déjà présentés dans d’autres festivals. C’est le cas de The Assistant, l’excellent film de la réalisatrice américaine Kitty Green, une œuvre tournée dans la mouvance de #Metoo, qui en évite tous les écueils. Julia Gardner, dont c’est le premier rôle au grand écran, y joue le rôle de Jane, une jeune femme nouvellement engagée comme assistante du PDG d’une grande compagnie de cinéma à New York. Intelligente et efficace, Jane affronte avec courage son énorme charge de travail, les exigences de son patron et l’épouse hystérique de ce dernier. Elle découvre en même temps un système abusif pour les jeunes femmes que son patron fait appeler dans son bureau. La réalisatrice a choisi de montrer le visage de Gardner en très gros plan pendant une bonne partie du film. Bonne décision puisque la jeune actrice, avec retenue et justesse, montre l’angoisse qui envahie peu à peu Jane au cours de sa journée de travail, tandis que les situations abusives de ses collègues et de son patron érigent lentement un mur autour d’elle.
Toujours dans Panorama, nous avons vu Mare, d’Andrea Štaka, touchante histoire d’une mère de famille de Dubrovnik en Croatie, qui mène sa famille et son mariage avec détermination. Pilier de la famille, elle fait de son mieux pour guider son fils adolescent vers ses études. Mais tout pilier, si solide soit-il, peut avoir envie d’avoir des ailes ! Une interprétation sincère et touchante de l’actrice Marija Skaričić et une excellente direction d’acteur. Les scènes de famille sont particulièrement bien réussies.
Enfin, un film documentaire qui recoupe deux sections, Panorama Documentaire et Génération, Always Amber, coming of age suédois de Lia Hietale et Hannah Reinikainen. Amber appartient à cette génération où le genre est fluide et qui refuse de se plier aux dictats du sexe et de l’appartenance de la société. Amber fait ses expériences d’amour et d’amitié et découvre le monde avec tendresse et curiosité. Le montage primesautier des images tournées en grande partie sur un téléphone, dépeint cependant bien cette génération d’expérimentation et de fluidité sexuelle qui est celle d’Amber et de ses comparses.
Ne manquez pas demain la couverture de la remise des Ours !
Bonheur du jour
Créé à partir d’un typo de notre collègue Malik Berkati le mot irrézizistible, qui se dit d’un type dont le pénis est irrésistible. La fatigue aidant, on devient quelque peu délirant !
Lendemain de veille
Que nous espérons bien avoir dimanche, après une nuit de (modeste) beuverie, suivant la remise des prix.
En ce jour 9 de la Berlinale, on oursine sérieusement. Les films préférés semblent tourner autour d’Undine de Christian Petzold, déjà honoré du prix de la presse cinématographique (FIPRESCI), Schwesterlein de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond, Never Rarely Sometimes Always d’Éliza Hitman et The Roads Not Taken de Sally Potter. Berlin Alexanderplatz de Burhan Qurbani récolte pas mal de voix et Rizi (Days) de Tsai Ming-liang a ses fans.
En ce jour où on aurait aimé de jolis films faciles à appréhender, genre Pinocchio, l’horaire de la Compétition affichait Irradiés de Rithy Panh, un collage sur des images d’archives des guerres du XXe siècle, dont l’horreur n’a d’égale que la poésie. Effectuant des allers-retours entre la ferveur engendrée par les dictateurs et les conséquences horrifiques de leurs conflits, le cinéaste d’origine cambodgienne fait un montage d’une violence brutale sur ce que les guerres peuvent produire de pire. Le cinéaste ne nous ménage pas, même s’il mêle aux moments les plus difficiles des images d’une exquise délicatesse. Bref, 88 minutes éprouvantes mais sans doute nécessaires en cette époque où les dictateurs ont de nouveau la faveur.
L’Iranien Mohammad Rasoulof nous a en Compétition donné un goût des essais de la philosophe allemande Hannah Arendt sur la banalité du mal avec Sheytan Vojud Nadarad (Il n’y a pas de mal), une juxtaposition de quatre court-métrages sur les exécutants de la peine capitale en Iran. Quatre essais qui se répondent les uns les autres et permettent une discussion sur le degré de responsabilité des gens qui exécutent les prisonniers emprisonnés par un régime de plus en plus dictatorial. La soumission à l’autorité y est ici le thème central. Ce même thème est exploité dans la perspective opposée avec Police de la Française Anne Fontaine présenté dans la section Berlinale Special. Trois officiers de la police parisienne (Omar Sy, Virginie Efira et Grégory Gadebois) qui doivent conduire un immigrant illégal à l’aéroport pour son extradition vers le Tadjikistan, apprennent que cela signifie pour lui un arrêt de mort. Si un parfum d’Arendt flottait également sur ce film, on pense également à I comme Icare (1979) de Henri Verneuil avec le regretté Yves Montand. Le film reproduisait l’expérience du psychologue Stanley Milgram en 1963, laquelle évaluait le degré d’obéissance d’un individu devant une autorité qu’il juge légitime. Pourquoi et comment des policiers dressés à obéir prendront-ils en effet la décision de sauver un pauvre type qui ne leur est rien et qui ne parle même pas leur langue? C’est subtil, bien fait au niveau cinématographique et merveilleusement joué par Sy, Sefira et Gadebois. Sy surtout, qui interprète un personnage au départ d’un machisme assez primaire, le laisse lentement découvrir comme un homme capable d’une grande profondeur.
Bonheur du jour
Le sourire et l’intelligence d’Omar Sy en conférence de presse.
Lendemain de veille
Retrouver aux nouvelles la même ferveur aveugle dans les rallyes de Donald Trump que dans ceux du film de Rithy Panh. Cela fait froid dans le dos. Bouge-toi, Bernie!
27 février 2020
Au jour 8 de la Berlinale, sur Potsdammer Platz commencent les oursinations (voir le Bonheur du jour d’aujourd’hui). Tout le monde oursine dans sa tête, rassemble ses meilleurs films, discute avec les collègues, commente les choix, change son palmarès et ré-établi son bilan, toujours insatisfaisant.
Dans les oursinables, il y aurait certainement Never Rarely Sometimes Always de la réalisatrice américaine Eliza Hitman, laquelle porte bien son patronyme puisque son film frappe là où l’Amérique fait mal. Dans la Pensylvannie contemporaine, Autumn (Sidney Flanigan), une jeune fille silencieuse et stoïque de 17 ans, découvre qu’elle est enceinte. Comme il lui est impossible de se faire avorter dans son État sans le consentement de ses parents, elle s’embarque avec sa cousine Skylar (Talia Ryder) vers New York pour y subir l’intervention. Les contraintes administratives et financières se dressent sur le chemin des deux jeunes filles, en plus des prédateurs de tout acabit. Hitman fait un portrait consciencieux et détaillé de « l’affreux ordinaire » d’une jeune fille américaine, le harassement devenu norme et les embûches qui se dressent pour obtenir les soins d’une procédure légale. Oursinable pour la direction d’Éliza Hitman ainsi que pour ses jeunes actrices dont la performance est remarquable.
Agnieszka Holland, réalisatrice polonaise oursinée en 2017 pour Spoor (Empreintes) présentait ce matin Charlatan dans la section Berlinale Special Gala. C’est l’histoire vraie de Jan Mikolášek, un guérisseur herboriste tchèque qui soigna des millions de personnes dans sa pratique privée, avant d’être arrêté et condamné par les communistes. Holland, avouons-le, est l’une de nos artistes du cinéma préférées depuis Europa Europa (1992) et The Secret Garden (1993). Nous ne sommes donc pas objectifs en disant que Charlatan est une perfection du genre, que sa cinématographie est admirable, que son sujet est unique et que ses acteurs (Ivan Trojan, Josef Trojan et Juraj Loj) sont exquisement dirigés. Bon, bref, c’est Agnieszka Holland, qui a dirigé Mr. Jones en 2019 ainsi que trois épisodes de House of Cards, et nous l’aimons !
Rizi (Days), le film sans dialogue du Taïwanais Tsai Ming-liang, a suscité les discussions à la sortie de la projection, les journalistes étant divisés entre ceux qui trouvent magnifiques ces plans fixes dépourvus d’action sur la vie de deux hommes, l’un riche chinois et l’autre pauvre laotien, qui se rencontrent occasionnellement, et les autres que cela ennuie. Notre avis, en bout de ligne, se retrouve entre ces deux opinions. Le plan fixe et l’action lente ont définitivement leur place au cinéma, mais encore faut-il avoir un contenu solide. Ne s’improvise pas Bela Tarr qui veut! Étant donné la venue de la section compétitive Encounters, ne serait-il pas approprié de mettre de tels essais dans cette section? On pourrait y joindre DAU. Natasha dont la sexualité explicite et le viol à l’écran continue de semer la controverse. Des collègues russes parlent d’homophobie, d’abus sexuel et de harcèlement de la part du directeur Ilya Khrzhanovskiy. À l’heure de #Metoo, on ne pourrait pas faire du cinéma qui refuse d’abuser les femmes, les LGBTQ et les minorités? Une idée, comme çà…
Sur la lancée des abus, nous avons vu Curveball, premier long-métrage documentaire de Johannes Naber (Le Temps des cannibales, 2014). Après 2001, les Américains tenaient à aller « péter sa gueule à Saddam ». Mais pour cela, il leur fallait la preuve d’armes de destruction massive. Ce furent les informations (fausses) données à un expert allemand par un ingénieur chimiste irakien qui leur fournit l’excuse voulue. Mais alors que les Allemands auraient fort bien pu dénoncer l’information, ils choisirent de n’en rien faire. Honnêtement filmée, l’histoire du docu-fiction de Naber oscille entre le grotesque et le surréel. Mais, comme il l’annonce lui-même, « tout est réel ». Malheureusement.
Bonheur du jour
Oursiner, ce qui signifie attribuer un Ours. J’oursine, tu oursines, il oursine, nous avons oursiné, que j’eusse oursiné, etc. et ses dérivés comme dans « une actrice oursinable », « oursinablement parlant, il y aurait le film de… » et « le jury a commencé ses oursinations ».
Lendemain de veille
Apprendre que Frank-Walter Steinmeier, nommé au poste honorifique de Président de l’Allemagne en 2017, était le coordonnateur des services secrets allemands au bureau du Chancelier Gerhart Schroeder. Autrement dit, c’est lui qui a pris la décision de ne pas révéler au monde que l’histoire des unités mobiles d’armes bio-chimique irakiennes était un mensonge éhonté. Les Américains se sont servis de ce mensonge pour vendre la guerre en Irak en 2003. Ce n’est pas que nous comptions, mais juste en Irak, on en a pour 600 000 morts. Comment ces gens-là arrivent-ils à dormir la nuit?
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