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LNI – Objectif : Cinéma

11 novembre 2018

[ RENCONTRE ]
par Élie Castiel

DANS LE DIAGRAMME DE VENNE

Les entrevues, généralement, ont ceci de particulier qu’elles demeurent intemporelles, servant le plus souvent de base aux prochaines propositions. Dans ce cas, il nous a été impossible d’assister à une de ces improvisations de la célèbre LNI, qui s’attaque, je suppose, pour la première fois, au cinéma. Rencontre avec Joëlle Paré-Beaulieu (JPB) et François-Étienne Paré (FEP). Tous deux, tout à fait synchrones. Nous ferons mieux la prochaine fois, c’est promis et juré. Mais sans laisser de noms, il y a beaucoup de coupables qui m’ont empêché d’y assister. Il faut quand même être juste envers soi !

Est-ce que c’est le cinéma qui s’incruste dans le théâtre ou le contraire ?
FEP. Comme vous le savez déjà, la LNI fait souvent des transpositions de plusieurs formes de la représentation. À la base, ce sont des inspirations théâtrales à partir d’œuvres majeures, comme du Shakespeare, du Molière et autres grands de la scène. Petit à petit, romans, poésie et même arts visuels se sont inscrits dans notre programmation ; comme toucher à du Dalí, du Picasso, du Magritte, bien entendu sans copier, mais en s’y inspirant pour ensuite construire quelque chose de singulier. L’idée de base se trouve là. Depuis trois ans, la LNI s’attaque aux classiques du théâtre. Cette fois-ci, il fallait que le cinéma s’impose, notamment vu son impact sur le public.

En fait, il s’agit peut-être de mises en abyme ou de déconstructions des œuvres abordées.
FEP. Vous avez sans doute raison, mais nous essayons de nous coller aux œuvres originales le plus près possible. En fait, nous reproduisons totalement d’autres mises en scène, d’autres spectacles plutôt que de simplement mimer les originaux. Par exemple, dans la tragédie grecque, nous essayons de nous rapprocher le plus près des enjeux, des personnages, des structures de base, comme le héros grec, le chœur. Cela après une séance de réflexion entre les créateurs, avec les moyens de bord que nous avons à notre disposition. Quelques éléments de costumes, presque pas de décors ; comment alors composer avec tout cela et arriver à quelque chose de plausible et plus encore d’original.

Par la même occasion, vous êtes dans une enceinte théâtrale particulière (Espace Libre) où on a l’habitude d’actualiser les propositions.
FEP : Plus que tout, c’est essayer de comprendre l’essence, ce qui est au cœur de l’œuvre, et comment on peut reproduire l’ensemble en improvisant. Par exemple, les costumes peuvent (et font) partie d’une mise en scène qui va traduire diverses époques. En utilisant le présent, on tente de traverser les temps.

Dans LNI, il y a une lettre importante, le « I » pour improvisation. Et pourtant, à l’intérieur de cet impromptu, l’idée de mise en scène peut être inconsciente, mais elle se construit dans notre cerveau, par instinct de survie, survire au jeu à venir à ce qu’on a l’intention de monter. Contrôler
JPB. Définitivement, car dans l’improvisation nous avons trois chapeaux : celui de l’auteur, du comédien et du metteur en scène. Dans cet amalgame créatif, chacun a ses forces et ses faiblesses, mais dans le cas du cinéma, on est chapeauté d’avance par des experts en la matière ; il s’agit d’abord d’explorer les codes du réalisateur, pour ensuite, après la pause, proposer un court métrage scénique qui aurait pu passer comme un original de l’auteur abordé. Le spectateur doit donc deviner. Dire quelque chose à quelqu’un en usant de la métaphore gestuelle ou du langage.

Nous sommes là pour leur donner un espace vaste
et surtout libre de création, mais toujours en
ne se détachant pas de l’œuvre dont il est question.

En fait, c’est pour moi une validation de la langue française et des rythmes qu’elle impose dans notre comportement, en soulignant également les nuances.
FEP : Tout à fait. J’ai d’ailleurs conçu les spectacles, j’accompagne les acteurs, je dirige les étapes d’exploration en direct. On essaie d’instituer un aspect narratif ou autre, ou encore intime, une sensation de l’ œuvre proposée. L’importance du travail des improvisateurs est gigantesque. Nous sommes là pour leur donner un espace vaste et surtout libre de création, mais toujours en ne se détachant pas de l’œuvre dont il est question.

JPB : C’est très sécurisant pour les comédiens que de se donner un cadre. Quand la coquille est très bien articulée et pensée, c’est là où, par exemple, il n’est pas question de Léa Pool pour les nuls. Non, ce n’est pas de cela qu’il s’agit ; la proposition est avant tout intelligente et respecte plus que tout, la soif de découverte. En fait, dans le processus d’improvisation, il y a aussi des révélations sur les œuvres en question que nous n’avions pas pu imaginer auparavant. C’est comme d’un travail archéologique en gestation.

Cela demande une part de prédisposition.
PAF : Effectivement. On essaie de ne pas reproduire. On essaie de comprendre ce qui traverse l’œuvre complète, dans son ensemble. Quels fils nous sommes en mesure de tirer pour finir par comprendre les différents enjeux possibles.

JBP : Le génie dans cela, c’est que pour les comédiens, qui sont aussi des improvisateurs, ils se retrouvent dans le diagramme de Venne, comme par défaut. En tant que comédienne et improvisatrice, j’ai aussi des émotions aussi vives que comme si j’avais travaillé avec un metteur en scène.

C’est là où les deux métiers s’interposent et finissent pas s’assembler, arriment au projet.
FEP : La façon de les diriger, comme dans les mises en scène de Robert Lepage, des personnages qui ne se connaissent pas, venant d’univers différents, qui se rencontrent ; et ça se transforme parfois en des points de déséquilibre qu’il va falloir harmoniser.

D’après vos propos, il y a une part de sensibilisation et d’exigence de la part du spectateur, une complicité essentielle.
JBP / FEP. Oui, tout à fait. Il devient en quelque sorte complice de ce à quoi il assiste. Dans du Dolan, je n’essaierai (JBP) de copier Anne Dorval. Quelles sont les couleurs que je reçois dans ce type d’échanges intellectuels et participatifs. À la fin, ça ressemble à du Dorval, mais c’est autre chose quand même.

Dans un sens, une réappropriation de diverses disciplines artistiques ; dans le cas présent, le cinéma. Pour peindre la vie !
JBP : Oui, en fait. L’écho de ce qui m’inspire, l’œuvre. On pourrait finir par se dire : « Crime, ça pourrait être une œuvre de lui ».

Et pour la langue utilisée ?
FEP : Le français parlé dépendra de la proposition. Mais toujours le français.

 

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