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L’idiot

26 mars 2018

CRITIQUE
| SCÈNE |
Élie Castiel

★★★

SALADE RUSSE

La proposition est noble, digne en ces temps d’égocentrisme exacerbé ; c’est dans L’idiot, le roman de Dostoïevski, maître de la littérature russe, d’une certaine façon, inadaptable, puisque ses écrits sont du domaine de la lecture. À l’écran, c’est autre chose, puisque littérature et cinéma ont souvent fait bon ménage.

Renaud Lacelle-Bourdon et Francis Ducharme (Crédit photo : © Yves Renaud)

Mais après avoir admiré, au TDP, Le miel est plus doux que le sang, qui pourtant abordait des personnages aussi puissants que Lorca, Dalí et Buñuel, on s’attendait à mieux de Catherine Vidal, dont les origines à moitié latino-américaines ont dû contribuer de loin à l’efficacité de la mise en scène et le regard porté sur ces protagonistes hors du commun. Mais comment ne pas risquer sa peau lorsqu’on tente de concilier roman et mise en scène théâtrale lorsqu’on a affaire à des géants ? Pourtant, en 1946, au cinéma, Georges Lampin, cinéaste français d’origine russe, avait quand même réussi un beau film, L’idiot, avec Gérard Philippe et Edwige Feuillère, très efficaces. Mais au cinéma, on peut se permettre plusieurs variations, comme ce fut aussi le cas des Frères Karamazov / The Brothers Karamazov, de Richard Brooks.

Renaud Lacelle-Bourdon, honnête dans son jeu, enthousiaste
face à son personnage, l’incarne avec une grâce sans pareille,
jusqu’à en devenir non seulement attachant et bouleversant,
mais également porteur d’un magnétisme lumineusement innocent

Ce qui frappe dans L’idiot au TNM, c’est le choix des costumes, des accessoires, honnêtement clownesques (à quelle époque sommes-nous ?), d’un mélange maladroit de langue québécoise et de français international, d’un manque de rigueur dans certains mouvements, d’une utilisation parfois boiteuse de l’espace. C’est comme si dans la direction des comédiens, Vidal leur avait donné la permission d’improviser. C’est, par moments, extrême, inattendu, à la va-comme-je-te-pousse, pour finalement tomber sur une finale tragique, mais dont les effets spéciaux s’annoncent aussi furtifs que déroutants.

Et Dieu seul sait si ma conscience, avant le spectacle, était pavée de bonnes intentions, prêt à accueillir cette première incursion de Catherine Vidal en territoire TNM avec chaleur, encouragement, amour de la scène, des comédiens aussi, et de tous ceux et celles qui travaillent dans l’ombre !

Evelyne Brochu et Francis Ducharme (Crédit photo : © Yves Renaud)

Mais donnons à César ce qui lui revient. Ce prince Mychkine n’est pas aussi idiot qu’on le pense. Pour l’homme de lettres russes, ce sont les autres qui le sont, ceux qui l’entourent. Car pour ce noble, la droiture, l’amour de son prochain, la justice et son côté candide comptent beaucoup plus que la superficialité de la majorité de ceux qu’ils côtoie. Et Renaud Lacelle-Bourdon, honnête dans son jeu, enthousiaste face à son personnage, l’incarne avec une grâce sans pareille, jusqu’à en devenir non seulement attachant et bouleversant, mais également porteur d’un magnétisme lumineusement innocent, et on pourrait ajouter Francis Ducharme, qui ne joue pas Parfione Rogojine, mais se l’approprie avec un mélange de sournoiserie opportuniste et de virilité acquise. Les comédiennes, sont toutes à l’épreuve du feu dans une mise en scène qui méritait d’être encore plus vigoureuse.

Texte : Étienne Lepage, d’après le roman de Dostoïevski – accompagnement dramaturgique / mise en scène : Catherine Vidal – assistance à la mise en scène et régie : Alexandra Sutto – décor : Geneviève Lizotte – Costumes : Elen Ewing – éclairages : Alexandre Pilon-Guay – musique originale : Francis Rossignol – distribution : Paul Ahmarani (Lebedev), Frédéric Blanchette (Général Épanchine) Evelyne Brochu (Nastassia), Henri Chassé (Prince Totski), Francis Ducharme (Rogojine), Renaud Lacelle-Bourdon (Prince Mychkine), Simon Lacroix (Gania), Dominique Leclerc (Varia), Macha Limonchik (Lizaveta), Paul Savoie (Général Ivolgine), David Strasbourg (Hippolite), Rebecca Vachon (Aglaia) – production : Théâtre du Nouveau Monde.

Durée
2 h 30 approx. (1 entracte)

Représentations
Jusqu’au 14 avril 2018
TNM.

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes]

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