Entrevues

Danae Elon

23 mars 2017

Propos traduits de l’anglais
par Élie Castiel

LES DEUX DIASPORAS

En 1947, après le mandat britannique en Palestine, les Nations unies proposent un partage de la terre entre Juifs et Arabes. La ligue des états arabes refusent. Quelle est votre position à ce sujet ?
Ma position réside dans le fait que si un État palestinien avait été créé côte à côté d’un État israélien en 1947, la réalité serait différente aujourd’hui. Mais les faits sont, en réalité, plus complexes que de dire « les gouvernements arabes de l’époque avaient refusé toute partition ». En fait, nous reprenons en quelque sorte le dialogue sur les relations entre les Juifs et les Arabes en Palestine, avant la vague d’immigration juive massive dans la région. Je préfère voir cela comme une double tragédie : celle d’un peuple qui a eu pour base la création de l’État d’Israël, et celle d’un peuple, les Palestiniens qui a été déplacé de sa terre natale à cause de ce qui est arrivé aux Juifs, en Europe. Ces deux tragédies coexistent dans une même forme de narration, à l’intérieur des deux histoires, deux histoires qui se contredisent et qui ne peuvent coexister que si l’une et l’autre acceptent ses propres tragédies. Il ne s’agit pas lequel des deux peuples a tord ou raison, car dans les deux cas, il s’agit, selon l’époque, d’exil et de déplacement, d’un droit de retour. Pour les Juifs, celui d’avoir un territoire où ils se sentiraient en sécurité ; pour les Palestiniens, reprendre ce qu’ils avaient auparavant et qu’ils ont perdu.

Danae Elon

Danae Elon

Votre film propose la thèse selon laquelle l’État d’Israël, du moins, des dernières décennies, se démarque par une politique d’apartheid. Vision que l’establishment Juif dément. Quelles sont les arguments qui alimentent votre proposition.
En effet, les similarités entre ce qui se passe en Israële/Palestine aujourd’hui ressemble à s’y méprendre à ce qui se passait en Afrique du Sud, durant les années apartheid. Mais dans le cas qui nous concerne, la réalité est tout autre, et l’establishment profite de l’occasion pour justifier leurs idéologies. En Israël, même si les lois sont différentes pour les deux groupes, contrairement à l’ancienne Afrique du Sud, de nombreux arabes-israéliens ont quand même réussi admirablement bien, même si de façon limitée. Car en fait, il y des lois pour les Palestiniens et des lois pour les Colons, et ces lois sont dictés et protégées par le mécanisme principal de la démocratie : la Cour suprême.

Philip, votre compagnon, ne semble pas avoir d’opinion, ou du moins semble s’auto-censurer. J’ai constaté que votre caméra, intimement et politiquement, le colonise à sa façon. Qu’avez-vous à dire à ce sujet.
Je ne sais vraiment pas pourquoi vous pensez ainsi. D’une part, il n’est pas le narrateur du film, et de l’autre, à un moment donné, il a un long et émouvant monologue. Son héritge judéo-algérien le rend d’autant plus véridique et vibrant. Quelle est la dernière fois que vous avez entendu un Juif de la région dire qu’il n’avait pas besoin d’Israël pour exister ? Lorsqu’il lit la pancarte « Jews Love Jews » (les Juifs aiment les Juifs), sa pensée devient totalement claire et se définit selon une approche critique.

Philip, encore une fois, est d’expression française. Pourquoi ne pas avoir eu recours à cette langue ? Idem pour les enfants. Parlent-ils le français ? Pourquoi cette question : une raison d’identification complète.
Je le répète, Philippe est Juif d’origine algérienne. Il a grandi en France, avec tout ce que cela pouvait impliquer que d’être Juif dans les temps de l’indépendance en Algérie. Lorsqu’il est arrivé en France, on le prenait pour un Arabe. Il s’est toujours senti déplacé. C’est là où nous nous sommes connus et avons partagé les mêmes difficultés, mais pour des raisons différentes. S’identifiant à la Naqba (la Catastrophe), ça lui rappelait qu’en Algérie, il était du côté pour l’indépendance.

le petit Tristan

Le petit Tristan

Les enfants sont partie intégrante du film dans la mesure qu’ils racontent, avec leur regard candide, l’histoire de la région au quotidien. Je suis d’avis qu’ils représentent un futur souhaité entre les deux peuples.
Les enfants représentent le futur puisque dans les deux cas, ils refusent la notion d’identité, ne réléguant leurs espoirs que sur la cohabitation. Tristan, mon fils, et Luai, son camarade palestinien, naviguent ensemble dans cette réalité en essayant de lui donner un véritble sens.

Mais Philippe dans toute cette histoire ?
Philippe est tout ce que je ne suis pas. Il sera toujours un Juif errant, soit celui qui a besoin de se définir vis-à-vis d’Israël. Devra-t-il retourner en Algérie pour retrouver ses véritables racines, comme d’ailleurs moi-même dans le cas d’Israël ? Il ne s’agit pas d’une déclaration politique, mais de quelque chose qui à voir avec leur cœur, la mémoire et le souvenir. Dans un sens, c’est quelque chose que nous partageons tous.,

Finalement, vous devez vous sentir comme persona non grata dans votre propre pays. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?
J’ai eu, en ce qui me concerne, la possibilité de partir. Ce qui me chagrine, c’est de ne pas pouvoir me battre de l’intérieur. Dommage parce que j’aime la terre où je suis née, composé d’Arabes et de Juifs.

Philip

Philip

[ Critique du film ici. ]

Séquences_Web

2024 © SÉQUENCES - La revue de cinéma - Tous droits réservés.