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Ils étaient tous mes fils

30 octobre 2015

À L’OUEST… RIEN DE NOUVEAU

Élie Castiel
THÉÂTRE
★★★★

Il y a quelque chose proche du théâtre d’Ibsen dans l’adaptation québécoise de All My Sons, une des pièces phares du grand dramaturge américain Arthur Miller. Quelque chose qui a à voir avec la famille, avec les liens qu’entretiennent chacun des membres avec la vie et la société. Il est souhaitable de penser que les origines juives de Miller y sont pour quelques chose : importance de la cellule familiale, perennité des traditions et des valeurs, contraditions, paradoxes, fidélité sincère envers la terre d’accueil.

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Benoît McGinnis, Michel Dumont et Louise Turcot (© Caroline Laberge)

Une telle loyauté envers le nouveau pays, encore jeune en comparaison avec la vieille Europe, s’explique par l’enthousiasme que les codes économiques d’un territoire foncièrement capitaliste suscitent chez ces arrivants. Sur ce point, Ils étaient tous mes fils, titre d’autant plus inclusif, est également un essai dramatique politique. Miller en est conscient et a construit des dialogues parmi les plus percutants de la dramaturgie anglophone nord-américaine. On parle de famille, d’argent, d’affaires, de liens amoureux qui ressemblent à des transactions financières. Mais ces paradoxes finissent par se juxtaposer les uns aux autres pour proposer un portrait saisissant et contradictoire de l’humain.

La traduction en québécois de David Laurin surprend au début. Pourquoi n’avoir pas utilisé le français dit « universel » ? Est-ce pour que la majorité des spectacteurs d’aujourd’hui puissent s’identifier ? Pour une question purement nationale ? Quoi qu’il en soit, les mots percutent dans notre mémoires parce que proches de nous, parce qu’ils contribuent à nous situer parmi les vivants quelle que soit notre classe sociale.

L’écrit de Miller est un récit sur l’abandon, sur la déchéance d’une société prise entre les devoirs qui nous unissent à la famille et ceux personnels, institutionalisés par le mouvement capitaliste ambiant. Miller n’a jamais été aussi décapant dans ses mots et son jugement, même si au fond, tous sont gagnants et surtout perdants.

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Louise Turcot (© Caroline Laberge)

Et il y a une façon d’identifier ces personnages. C’est par l’entremise d’une pleïade de comédiens, dont un Michel Dumont impeccable, dominant la scène avec une stature et une autorité absolues. Et Louise Turcot, d’une sensibilité à fleur de peau, lumineuse dans son élan parfois étourdissant dû aux circonstances.

La mise en scène de Frédéric Dubois, dont on se souviendra du très beau Le roi se meurt (2013, TNM) oscille entre l’humour et le sérieux, entre le réalisme social et la touche poétique, entre l’emphase sur les mots et les non-dits révélateurs ; finalement entre une direction de comédiens contrôlée et une tendance qui varie entre le subordonné et l’autonome. Ce début chez Duceppe s’avère définitivement aussi intelligent que cartésien.

Et une histoire d’amour qui se définit selon le hasard des choses et des événements. D’amour entre parents et enfants, entre un homme et une femme, entre la réussite et l’échec. Cela se passe en 1947, en Amérique, après la victoire sur l’ennemi allemand. Mais c’est une histoire qui ressemble tellement à celle d’aujourd’hui, alors que rien ne semble briller à l’horizon devant les conflits armés et les discordances économiques.

Car tout cela nous ramène aux sources de notre civilisation occidentale, qui, qu’on le veuille ou pas, prend racine dans les méandres psychologiques de la tragédie grecque. Ils étaient tous mes fils brille par la sincérité de son propos.

 

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Évelyne Rompréet Benoît McGinnis (PHOTO : © Caroline Laberge)

revuesequences.org

Auteur : Arthur Miller – Traduction : David Laurin – Mise en scène : Frédéric Dubois – Décor : Olivier Landreville – Éclairages  : André Rioux – Musique : Pascal Robitaille – Costumes : Linda Brunelle – Comédiens  : Michel Dumont (Joe Keller), Benoît McGinnis (Christian Keller), Gary Boudreault (Paul Finley), Simon Dépôt (Frank Lubey), Xavier Loyer (Albert Lubey), Vincent-Guillaume Otis (George Deever), Évelyne Rompré (Annie Deever), Julie Roussel (Suzie Finley), Louise Turcot (Kate Keeler) | Durée : 1 h 55 approx. (sans entracte)  – Représentations : Jusqu’au 5 décembre 2015 – Duceppe (Place des Arts).

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. Mauvais. ½ [ Entre-deux-cotes ]

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