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Mathieu Denis

3 mars 2015

Devoir de mémoire

Entrevue menée par Élie Castiel et Luc Chaput
Propos recueillis par Luc Chaput

Mathieu DenisPour le numéro en cours, nous avons décidé d’un commun accord de placer en exergue le nouveau film de Mathieu Denis, Corbo, son premier long métrage en mode solo après une brillante coréalisation (avec Simon Beaulieu), à la fois méditative et esthétiquement superlative. Nous l’avons rencontré puisque ce nouveau film parle d’une époque charnière de l’Histoire du Québec, aujourd’hui un peu oubliée en raison des préoccupations économiques et sociales que nous imposent les différents gouvernements qui se succèdent, mis à part quelques voix qui s’expriment de temps en temps. Sur ce point, Corbo nous semble un point d’ancrage sur lequel il serait bon de se recueillir, ne serait-ce que pour alimenter la réflexion. Rencontre à trois.

CASTIEL : Dans ton film précédent Laurentie, coréalisé avec Simon Lavoie, le personnage principal Louis, interprété par Emmanuel Schwartz, est atteint d’immobilité politique. Dans celui-ci, ta mise en scène plus directe permet à Jean Corbo de devenir un personnage à la fois documentaire et fictionnel, impliqué directement dans un mouvement nationaliste militant. Comment peux-tu expliquer cette différence entre les deux films ?

Jean est l’autre côté d’une même médaille que Louis. Plus de quarante ans les séparent. Le Québec a changé profondément entre ces deux périodes. Au cœur du drame intérieur de Jean, son histoire n’est pas seulement une anecdote historique mais aussi un film qui parle du Québec d’aujourd’hui. Jean est écartelé entre ses appartenances italienne et québécoise pendant son adolescence au moment où il construit son identité. Son implication dans ce mouvement fait que cet épisode se passe aussi au moment de la vague de fond de la décolonisation. Certains Québécois se voient colonisés et s’abreuvent aux œuvres de Frantz Fanon, Albert Memmi et Che Guevara. Ils considèrent qu’ils doivent promouvoir cette affirmation nationale par les armes.

CHAPUT : L’esclandre avec le professeur à propos de l’emprisonnement des Italo-Canadiens est rapide. Pourrais-tu donner plus d’information à ce sujet ?

Corbo_Entrevue

Le grand-père, le père et les deux fils Corbo sont pour moi quatre cas de figures, qui se répondent dans le film, sur le drame vécu par tout immigrant qui se pose la question sur comment s’intégrer sans oublier ses origines. Le grand-père Achille était tailleur. Il a été arrêté par la G.R.C. et envoyé dans un camp de concentration à Petawawa. Il y est resté deux ans sans que sa famille ne sache où il était. Son épouse en est morte de chagrin. Il a perdu son commerce et sa maison. Donc, après la guerre, il s’est dit : « Le Canada ne m’a pas bien traité, m’a humilié, alors je reste italien. »

Nicola, le père, a aussi été emprisonné, même si ce n’était qu’un an. Il a décidé que la seule façon que cela ne se reproduise plus, c’est de faire des études de droit, de devenir un pilier de sa communauté avec des contacts politiques et, donc, être un citoyen respecté. Le cheminement de l’intégration est terminé avec les deux fils. Ils considèrent qu’ils font partie de la société québécoise et veulent prendre part à son évolution.

Texte complet : Séquences (nº 295, pp. 6-8)

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