En couverture

Berlinades 2015 (III)

10 février 2015

Anne-Christine Loranger, notre correspondante attitrée à Berlin, continue son séjour cinéphile. De surprises en surprises, de déceptions en déception, elle constate que les grands noms ne produisent pas nécessairement les grands films. Elle s’est donc donné comme objectif de nous faire découvrir les films qui l’ont marquée.

45 YEARS
(Grande-Bretagne 2015)
Drame > Andrew Haigh

VOLCAN SUR LES PLAINES DU NORFOLD
Texte : Anne-Christine Loranger
Cote: ★★★ ½

Avec ce portrait d’un couple en crise à l’orée des célébrations de leur 45e anniversaire de mariage, le cinéaste britannique Andrew Haigh déclenche sur les brumeuses plaines du Norfolk un volcan d’émotions brillamment contenues. Enseignante à la retraite, Kate (Charlotte Rampling) mène une vie heureuse tout en s’activant à préparer la fête de son anniversaire de mariage, quand son mari Geoffrey (Tom Courtenay) reçoit une lettre lui annonçant la découverte du corps de Katya, son premier amour, disparue dans une fissure au milieu des montagnes suisses cinquante ans plus tôt. La réminiscence de ce premier amour fera plonger Geoffrey dans le monde de ses souvenirs et de ses espoirs de jeune homme. Pour Kate, la découverte de la relation que son mari avait eue avant la leur ouvre une brèche sous ses pieds d’où confusion et ressentiments s’échappent comme autant de vapeurs toxiques.

45 Years

45 Years

La campagne du Norfolk et ses longues landes plates est propice à la mélancolie et à la réflexion. C’est dans ce décor de brumes et de pluies qu’Andrew Haigh nous entraine au sein d’une histoire à mille lieues des blockbusters. Nous le suivons volontiers, séduits que nous sommes par la subtilité des tensions entre deux personnages joué par des acteurs au sommet de leur art. Tandis que de jour en jour les rapports se déglinguent au sein de ce couple jadis heureux, on observe une Kate couver une jalousie de plus en plus manifeste. Tom Courtenay est brillant en type gentiment naïf, qui réinvente les souvenirs de son premier amour au fil des jours sans se rendre compte de la montée de lave qu’il suscite chez sa femme. L’interaction entre ces deux grands acteurs explore une large gamme de sentiments humains, dans toute leur complexité. Librement adapté du roman de David Constantine In Another Country, le film est replacé dans un contexte moderne et cherche à montrer des soixantenaires encore pleinement actifs, au lieu des personnes du quatrième âge de l’histoire originale. Des hits des années soixante tels que Happy together et Young girl forment un excellent contrepoint pour rappeler aux personnages le temps d’avant les souvenirs. Délicieux !

 IXCANUL
(Volcan)
(Guatemala 2015)
Drame > Jayro Bustamante

MAYAS MODERNES
Texte : Anne-Christine Loranger
Cote: ★★★★

Le monde tourne depuis plusieurs années son regard sur les populations indigènes de la Terre, leurs langues, leurs coutumes et leur spiritualité. Centré sur le monde des Maya habitant les hauts-plateaux du Guatémala, le premier long-métrage du jeune cinéaste guatémaltèque Jayro Bustamante se situe donc dans une tendance bienvenue du cinéma mondial. La Berlinale fait d’ailleurs la place belle aux peuples indigènes avec deux films sur ce sujet en Compétion ainsi que la section NAtive, qui leur est consacrée.

Ixcanul

Ixcanul

Maria, jeune fille de langue et de culture maya, habite avec ses parents dans une plantation de café situé sur les flancs d’un volcan en activité. Un mariage arrangé avec Ignacio, le contremaître de la plantation, l’attend. Mais Maria cherche à fuir sa destinée et séduit Pepe, un jeune garçon qui planifie de quitter la plantation pour partir aux États-Unis. Mais lorsque Pepe l’abandonne enceinte, il ne reste alors à Maria que peu d’options.

Tourné avec des acteurs amateurs, Ixanul surprend par la maturité de son écriture, la profondeur de ses thèmes, la qualité de ses acteurs et la splendeur de ses images. C’est une rare occasion d’entendre une langue maya et d’observer les relations qu’entretient la population avec les animaux et les puissances de la nature. Car tout est sacré chez les Mayas, du volcan qui gronde aux serpents qui tuent. Vie et la mort se côtoient, s’interpellent et s’interpénètrent au sein de ce film impeccablement tourné. Si la discrimination et l’isolement qui forment le quotidien des populations mayas éloignées des grands centres, la joie et qualité des relations y tiennent une grande place. Une des grandes joies du film est de voir des personnages féminins d’une force étonnante, tels que le cinéma nous en offre rarement. Puissant !

LE BOUTON DE NACRE
(El botón de nácar)
(Chili 2015)
Documentaire > Patricio Guzmán

MASSACRES ET DÉFERLEMENTS
Texte : Anne-Christine Loranger
Cote: ★★★★

La plus grande frontière du Chili est maritime : avec 4 000 kilomètres de côtes et le plus grand archipel au monde, ce pays entretient un rapport étroit avec l’eau. Pour le documentariste Patricio Guzmán, la mer recèle toutes les voix de la Terre ainsi que celles venant de l’espace puisque l’eau reçoit la force des astres et la transmet aux êtres vivants. La mer chilienne recèle aussi dans ses profondeurs le secret d’un mystérieux bouton de nacre qui fait le lien entre deux thèmes abordés par le cinéaste : celui des peuples natifs du Chili, le « peuple de l’eau », dont il ne reste aujourd’hui que 20 représentants ainsi que les victimes de la dictature chilienne dont les corps furent jetés par centaines à la mer.

Le Bouton de nacre

Le Bouton de nacre

Immense documentariste dont les films sur les victimes du gouvernement Pinochet sont mondialement connus, Guzmán nous entraine ici du macrocosme au microcosme. Des phénoménales réserves d’eau que contiennent certaines planètes, comètes et systèmes de notre galaxie, il effectue un bond cosmique pour plonger au sein des mers chiliennes et nous ramener un petit bouton de nacre, symbole des êtres humains tombés au Chili, tant sous le coup des colons du 18e siècle que sous les baïonnettes des soldats. Guzmán nous fait entendre la voix des indigènes de la Patagonie, celle des premiers navigateurs anglais et celle des prisonniers politiques. Certains disent que l’eau a une mémoire. Ce film montre qu’elle a aussi une voix.

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Moyen) (Mauvais) ½ (Entre-deux-cotes)

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