En couverture

Berlinades 2015 (I)

8 février 2015

En direct du Festival de Berlin, notre correspondante en Allemagne, Anne-Christine Loranger s’est donnée comme mission de rapporter ses impressions sur un des événements cinématographiques les plus en vue de la planète.

Son approche, pour le moins directe, contribue à une compréhension subjective de ce qui se passe de ce côté de l’Atlantique en matière de cinéma à surveiller. Et quoi de mieux que d’aborder les films selon une approche coup-de-cœur, instinctive, impulsive, sans préjugés aucun, se basant sur le moment, quitte à citer, dans certains cas, des propos de cinéastes importants. Ces interventions serviront de guides pour des films que nous attendons ici, avec impatience.

Quoi qu’il en soit, le numéro de Mai-Juin 2015 de notre revue en format papier, contiendra, comme chaque année, un rapport analytique sur le festival, toujours signé Anne-Christine Loranger.

la Rédaction

Nobody Wants the Night
Nadie quiere la noche
(Espagne / Bulgarie / France / Norvège 2015)
Drame > Isabel Coixet

DE GLACES ET DE PEAUX
Texte : Anne-Christine Loranger
Cote: ★★ ½

Bien connue de la Berlinale, l’Espagnole Isabel Coixet nous entraîne pour le film d’ouverture dans le monde des expéditions polaires du début du 20e siècle, du point de vue de deux femmes. Joséphine Peary (Juliette Binoche), épouse du célèbre explorateur Robert Peary, est bien décidée à rejoindre son mari parti depuis des mois trouver une route pour rejoindre le Pôle Nord. Malgré sa détermination et son expérience du monde arctique, elle néglige cependant les conseils des explorateurs qui cherchent à la dissuader de s’embarquer à l’approche de l’hiver. Ayant rejoint le camps de base de son mari, elle refuse de repartir et choisi de l’attendre. Allaka (Rinko Kikuchi), une jeune femme Eskimo, choisi d’attendre Peary avec elle. Malgré les mondes qui les séparent, les deux femmes devront s’allier pour survivre aux longs mois de nuit polaire.

Nobody Wants the Night

Nobody Wants the Night d’Isabel Coixet

Il y a deux films dans le film d’Isabel Coixet : un très moyen et un très bon. Alors que la première moitié, dirigée comme une pièce de théâtre avec des dialogues trop politiquement correct pour être crédibles, nous montrent une Juliette Binoche attifée telle un paon et incapable de rendre son personnage de femme coincée au milieu d’un village eskimo. La deuxième partie, alors que Joséphine se voit affronter les mois d’hiver seule au milieu des neiges en compagnie d’Allaka, révèle des échanges troublants de vérité et d’empathie entre les deux femmes, tournés avec une caméra qui colle à leurs peaux. Si Binoche nous rend alors la Juliette que nous aimons, sa performance reste dans l’ombre de celle, remarquable, de l’actrice japonaise Rinko Kikuchi. Excellent film à voir l’hiver: les -20º de nos climats paraissent bien mièvres en comparaison du monde des glaces.

Taxi
(Iran 2015)
Docufiction Jafar Panahi

LE TRIOMPHE DE LA VOLONTÉ
Texte : Anne-Christine Loranger
Cote :  ★★★★

Interdit en 2010 de filmer pour les 20 prochaines années, de donner des entrevues et de voyager à l’extérieur de l’Iran, Jafar Panahi n’en continue pas moins de tourner des films. Après This is not a film (In film nist, 2011) et Closed Curtain (Pardé, 2013), il revient en force avec Taxi, troublant microcosme de la société iranienne filmé à partir d’un taxi équipé d’une caméra.

Dans le but de défendre la liberté de tourner, Panahi n’a pas craint de troquer son statut de réalisateur pour celui d’humble chauffeur de taxi.

Taxi

Taxi de Jafar Panahi

Au fil (et film) des conversations entre les clients, entre lui et sa petite nièce de 10 ans qui, caméra en main, s’apprête à tourner son premier film, entre ceux qui le reconnaissent et ceux qui le houspille, l’Iran se dévoile dans ses règles de politesse, sa tendresse, ses complicités, son marché noir de CDs et de DVDs, mais surtout la dureté de son système politique. Fidèle à une tradition du cinéma iranien qui fait parler les petites filles plutôt que les femmes, Panahi utilise sa nièce pour exprimer la difficulté de filmer selon les règles de la censure. Bien déterminée à distribuer son film, la petite, ayant en effet besoin de tourner des images morales et acceptables qui s’abstiennent de montrer la « réalité sordide », se voit confrontée à un véritable casse-tête.

Clin d’œil politique truffé de références à ses propres films, le film donne lieu à des scènes aussi drôles que touchantes qui, on le déplore, ne seront jamais montrées sur les écrans iraniens, le film n’ayant pas obtenu l’approbation du Ministère de la culture de l’Iran.

« Je suis un réalisateur » annonce Panahi dans le dossier de presse, seule déclaration publique qu’il lui est possible de faire. « Je ne peux faire autre chose que de tourner des films. Le cinéma est mon mode d’expression ainsi que le sens de ma vie. Rien ne peut m’empêcher de faire des films comme d’être pousser dans les recoins ultimes. C’est là que je reconnecte avec moi-même. C’est dans ces espaces privés qu’en dépit de toutes les limites, la nécessite de créer devient une urgence. Le cinéma en tant que forme d’art est ma préoccupation essentielle. C’est la raison pour laquelle je dois continuer à faire des films dans toutes les circonstances, pour présenter mes respects et me sentir vivant. »

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Moyen) (Mauvais) ½ (Entre-deux-cotes)

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