En couverture

La Déprime

2 novembre 2014

TERMINUS VOYAGEUR

Élie Castiel
THÉÂTRE
★★★ 1/2

À La Licorne, en 1981, La Déprime crée la surprise avec, sur scène, trois de ses auteurs, Julie Vincent, Denis Bouchard et Raymond Legault. À cette époque, la questions économiques, sociales, politiques et culturelles du Québec avaient besoin de cette rencontre parodique inopinée entre l’actualité et le théâtre ; pour le public, c’était comme s’il s’agissait de voir son propre visage devant un miroir sans tain, un sage reflet de ses propres aspirations du quotidien. L’année d’après, au Centre national des arts à Ottawa, quatre comédiens dominent l’espace scénique. En 1983, la présence de Suzanne Champagne réunit cette fois-ci cinq comédiens. Dans la version Rideau-Vert 2014, Denis Bouchard a retravaillé ce classique du théâtre populaire québécois en espérant lui donner un souffle nouveau. Qu’en est-il en fait ?

Entre les années 80 et aujourd’hui, quatre décennies se sont écoulées. Le Québec, plus ouvert au monde, assimilé lui aussi aux paradigmes d’une certaine mondialisation en matière de culture, a transformé son rapport aux arts constamment en éveil de la représentation. Faut-il pour cela rejeter La Déprime de Bouchard ? La réponse est non : la nostalgie gagne du terrain à l’heure où les baby-boomers semblent envahir certains domaines de la culture, une façon comme une autre de ressaisir avec une douce mélancolie quelques instants d’un temps révolu, alors sans gadgets modernes, comme les cellulaires et les iPods.

Sur ce point, sans être fondamentalement du théâtre d’aujourd’hui, La Déprime se savoure tout de même assez bien. On peut, à la rigueur, émettre quelques réserves quant à la durée de chaque sketch, bien trop brefs à notre avis, ne faisant pas totalement écho sur les spectateurs. Mais malgré leur fausse artificialité, les mots sont cinglants, bien travaillés, rythmés à une cadence d’enfer, maintenant un nombre incroyable de personnages constamment en alerte.

Qu’il s’agisse d’Anne-Élizabeth Bossé, de Pascale Desrochers, de Bernard Fortin ou encore d’Éric Paulhus, ils sont tous admirablement intégrés à ce territoire théâtral d’un autre temps. Il est clair qu’ils s’emparent de la scène avec une aisance déterminée et qu’ils sont guidés de main de maître par un Denis Bouchard judicieusement inspiré. En 24 heures, le Terminus Voyageur de Montréal devient l’endroit de tous les petits drames de la vie et pour nous, spectateurs, le miroir d’une certaine société.

Tout compte fait, la carte de la nostalgie opère admirablement bien. On sourit, on rit de bon cœur, on partage les petits tracas de ces citoyens d’ici et d’ailleurs ; parmi eux, le « futur marié » demeure l’un des plus émouvants du spectacle, rappelant cette douce tendresse ordinaire du Québécois, si présente dans le années 80 et qui a cédé la place, aujourd’hui, comme ailleurs dans le monde, à un cynisme généralisé.

Le public embarque, le critique met volontairement au vestiaire son côté ironique et cède de bon gré à la sensation de jouir d’une randonnée urbaine grand public, véritable tranquillisant, parfait pour calmer les esprits, ne serait-ce que le temps que dure cet agréable spectacle.

[ COMÉDIE À SKETCHS ]
Auteurs : Julie Vincent, Denis Bouchard, Rémy Girard, Raymond Legault – Mise en scène : Denis Bouchard – Décors : Pierre Labonté –Accessoires : Alain Jenkins –Éclairages : Maxime Bouchard –Costumes : Suzanne Harel –Musique : King Melrose – Comédiens : Anne-Élisabeth Bossé, Pascale Desrochers, Bernard Fortin, Éric Paulhus | Durée : 2 h 05 approx. (1 entracte)  –Représentations : Jusqu’au 16 novembre 2014 Théâtre du Rideau Vert.

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Moyen) (Mauvais) 1/2 (Entre-deux-cotes)

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