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Le Vertige

11 septembre 2014

LE FASCISME ORDINAIRE

Élie Castiel
THÉÂTRE
★★★★★

Communisme, trotskisme, socialisme, sans aucune allégeance politique. Telles sont les idéologies auxquelles adhèrent les détenues qui, en fin de parcours, après une dizaine d’années passées en prison, se retrouvent finalement aux travaux forcés. Dans le cas de Evguénia S. Guinzbourg, elle ne sera réhabilitée qu’en 1955, après la mort de Staline.

Née à Moscou en 1904 dans une famille juive, Guinzbourg adhère très vite au idées intellectuelles et politiques de son pays. Principalement connue pour avoir raconté son expérience des prisons du NKVD (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures) et du Goulag, elle livre ici un témoignage compatissant, sensible et percutant.

Dans Le Vertige, le texte, d’une rare rigueur intellectuelle, traverse la scène d’Espace Go comme s’il s’agissait d’un personnage en soi. Pour les 30 ans du groupe théâtral l’Opsis, ce cadeau est d’autant plus prestigieux qu’il coïncide avec l’actuelle crise entre la Russie et l’Ukraine. Les questionnements que le texte de cette grande dame soviétique politiquement engagée ne font-ils pas écho aujourd’hui ?

Toujours est-il que nous assistons à une formidable mise en scène dont le mot d’ordre est la complicité entre toutes ces comédiennes, une trentaine de femmes hautement politisées ou en devenir. Sans liberté, sans influencer la société par ses paroles, ses idéaux, son idéologie, sa façon humaniste de voir et de comprendre le monde, le vécu n’a plus aucun sens derrière les murs d’une prison. De la part de toutes ces femmes sur scène, une harmonie malgré les différences, un appui moral dans la souffrance, une approche collective de la survie et surtout et avant tout, une lueur d’espoir.

Car l’écrit érudit de Guinzbourg trouve toute sa signification dans la traduction claire, spontanée, sans ambages, circulaire, voire même d’une linéarité triomphante émanant de la plume d’Anne-Catherine Lebeau, russophone accomplie.

Le décor d’OIivier Landreville suscite l’émoi et ses contours carrés en forme de prison éveillent notre conscience ; les éclairages de Jocelyn Proulx suscitent notre adhésion, voir colère et résignation ; même les costumes de Caroline Poirier renvoient à une époque grise de l’âme humaine. Et la mise en scène de Luce Pelletier brille surtout par sa luminosité et sa précision à contrôler tous ces mouvements et gestes émanant de plus d’une trentaine de personnages.

Tout compte fait, Le Vertige est une œuvre essentielle, fulgurante et hautement sophistiquée qui nous obligent à nous réappropier deux devoirs fondamentaux de l’existence qui, par les temps qui courent, avons parfois la négligence d’oublier : la pensée critique et l’engagement politique.

Nous ne sommes qu’au tout début de la saison théâtrale 2014-2015, et déjà Le Vertige s’impose indubitablement comme un pièce essentielle, farouchement politique, en dialogue réfléchi et interrogateur avec le temps présent, une œuvre d’une étonnante richesse morale.

[ DRAME POLITIQUE ]
Auteure :Evguénia S. Guinzbourg – Adaptation : Alexandre Getman – Traduction : Anne-Catherine LebeauMise en scène : Luce Pelletier – Scénographie : Olivier LandrevilleSon : Catherine GadouasCostumes : Caroline Poirier – Éclairages : Jocelyn Proulx – Comédiennes : Louise Cardinal (Evguénia Guinzbourg) et, entre autres, Ève Gadouas, Anne-Catherine Lebeau, Myriam DeBonville, Caroline Lavigne, Manon Lussier, Pascale Montreuil, Adèle Reinhardt, Isabelle Miquelon, Monique Spaziani, France Parent, Katrine Duhalme, Sasha Migliarese, Jean-François Casabonne, Olivier Morin – Production : Le Théâtre de l’Opsis | Durée : 1 h 50 (sans entracte)  – Représentations : Jusqu’au 4 octobre 2014 – Espace Go.

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Passable) (Mauvais) 1/2 (Entre-cotes)

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