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Festival du cinéma israélien de Montréal

29 mai 2014

PROMESSE DE CHANGEMENTS

Élie Castiel
ÉVÉNEMENT

Évitons le ton cynique ou dévastateur et soyons plutôt constructifs en optant pour l’objectivité. Comment se fait-il que les médias québécois (du moins selon nos observations) étaient absents à ce festival ? Était-ce une des conséquences des séries finales de hockey ? Le beau temps peut-être ? Ou encore dû à une absence de publicité adéquate de la part des organisateurs ?

Toujours est-il que la 9e édition fu FCIM s’est déroulé malgré tout dans une atmosphère conviviale, en toute simplicité, d’autant plus que le programme était parsemé de productions fort intéressantes aussi bien sur le plan formel que celui narratif. Intentionnellement, nous ne couvrirons pas le très inventif The Congress d’Ari Folman et le satisfaisant Le Métis de Dieu d’Ilan Duran Cohen, deux productions qui ne reflètent pas la réalité israélienne. D’ailleurs que faisaient ces deux films dans la programmation ?

Si l’on en juge par les autres productions proposées, les fictions israéliennes reflètent une réalité en métamorphose, présentant un pays en voie d’un changement imperceptible, qu’on imagine à peine, mais qu’on devine en filigranes dans toutes les couches de la sociéte de cette région du monde. L’omniprésente et incontournable occidentalisation de la société israélienne se heurte à un orientalisme qui n’a aucune intention de se laisser envahir par un quiconque modèle social d’ailleurs. Si d’une part, on assiste à une fusion des deux tempéraments et modes de vie, les malentendus se heurtent entre eux en sourdine, en sous-entendus, parfois même provoquant des flammes.

Mais les tares de la société israélienne se vivent au jour le jour ; les protagonistes de ces récits parallèles se comportent comme des êtres en transition. Chaque jour apporte son lot de mutations. Les films reflètent magnifiquement bien ces contraditions. Pour survivre et, éventuellement, mieux vivre, l’Israélien utilise toutes sortes de stratagèmes narratifs : l’arrogance, le mépris, le sens particulier de l’humour, la fausse indifférence envers l’autre, le je-m’en-foutisme délirant. Mais ces failles ne sont que les ingrédients qu’utilisent les cinéastes pour alimenter leurs fictions.

Car côté documentaire, nous avons droit à un Israël kibboutznique, là où l’entraide est manifeste, quelles que soient la religion et les classes sociales. La preuve, nous l’avons avec le moyen métrage Frères de cœur d’Esther London. Récit émouvant d’un jeune arabe qui reçoit le cœur d’un jeune soldat juif tué par un camarade de chambrée. Sur un ton qui évite à tout prix l’approche mélodramatique, London convie le spectateur à une sorte de road-movie de l’acceptation de l’autre. Ici, le symbole se fait aide, la métaphore paix. En même temps qu’un regard sur le phénomène des dons d’organes, Frères de cœur demeure un plaidoyer, sans doute un peu romantique, mais tout autant essentiel pour une possible paix dans la région.

Toujours dans le documentaire, les deux parties de 1973, Journal de guerre de Vincent de Cointet, est une brillante analyse volumineusement documentée sur cette guerre, dans un sens, sans vainqueurs ni vaincus, du moins si l’on en juge et observe bien les propos des intervenants. Mais la richesse du document réside surtout dans les films d’archives utilisés.

À notre avis, Bureau 106 de Yoav Halevy est l’un des plus beaux essais sur le procès d’Adolf Eichmann : minutie dans la recherche, emploi objectif de la caméra, incertitudes des enquêteurs, procès d’une teneur dramatique insoupçonnée. Un moment de grande émotion.

Côté fiction, nous parlerons des films qui nous ont le plus marqués. De Joseph Pitchhadze, israélien d’origine géorgienne, Sweets (Sukaryot) possède tout l’humour du cinéma de l’Est qui, petit à petit, transforme ou plutôt ajoute une touche originale aux fictions israéliennes, désormais assujetties aux diverses manifestations ethniques. Ici, le conflit territoriale entre l’Arabe et le Juif n’est pas d’ordre politique, mais économique. Qui des deux dominera le marché. Par ailleurs, nous avons droit à des performances magnifiques de la part de tous les comédiens, totalement investis dans de rôles de composition.

Après le très réussi et poignant The Matchmaker (Paam Hayiti), le vétéran Avi Nesher se met à l’air du temps dans The Wonders (Plaot), là où comédie et mystère se côtoient sans complexes. Ces aventures du jeune rabbin Shmaya Knafo sont drôles, énigmatiques, dramatiques, donnant au cinéaste la possibilité de jongler avec le genre, lui octroyant toutes les facettes possibles. L’intégration non abusive de l’animation donne au film un ton particulier qui résonne vrai, faisant de la fiction le support narratif le plus apte à l’imaginaire. L’auteur du magnifique film lesbien, Secrets (Ha-sodot) livre ici un essai concluant.

Justement, en parlant d’homosexualité, bon an mal an, Israël produit au moins un film sur ce thème. Avec Le Jardin des arbres morts (Shablulim Ba’geshem), Yariv Mozer met en relief les soubresauts à la fois sublimes et inquiétants d’un coming-out improbable. En employant les techniques de l’homoérotisme (nudité, baisers volés, regards, fantasmes), le jeune cinéaste privilégie les codes du queer-cinema en les déconstruisant. Malgré les apparences, la fin n’est pas un véritable retour « à la normale », mais une pause, une trêve avant de se retrouver et d’assumer sa propre orientation sexuelle. De tous les cinémas du Moyen-Orient, Israël est le plus engagé dans ce thème. Et les cinéastes l’abordent toujours avec une subtilité magnétique.

Nous avons été conquis par Bethlehem (Beit-Lehem) de Yuval Adler, déjà sorti en salle. Le premier long métrage de Yuval Adler brille par la précision du scénario, coécrit avec Ali Wakad, journaliste palestinien. Sur ce point, les deux coscénaristes refusent catégoriquement l’apitoiement, la vision politique au premier degré, évacuée, sans réfléchir. Ils proposent au contraire un regard original sur le conflit israélo-palestinien qui montre jusqu’à quel point les deux camps se battent tous les deux pour défendre des droits tout à fait légitimes. Mais dans le même temps, Bethlehem démontre également que ce combat est mené entre la force militaire et organisée de l’un et la résistance brouillonne et conflictuelle de l’autre. Cette entreprise bicéphale pour le moins inusitée constitue la pierre angulaire d’un thriller politique d’une étonnante virtuosité.

Entre Razi, l’agent israélien des services secrets, et Sanfur, jeune collaborateur palestinien, une étrange relation père/fils. Point de héros dans ce récit qui se déroule à tout haleine et dont les conséquences sur chacun des groupes montre toute l’absurdité du conflit. Qu’il s’agisse des Services secrets israéliens ou des résistants palestiniens, les membres de chacun des camps n’arrivent pas à transiger, prouvant que ce conflit qui s’éternise possède autant de zones d’ombre que d’incompréhensions.

Mais notre coup de cœur du festival demeure sans doute Paradise Cruise (Ha-Bilti Nishkahim) de Matan Guggenheim. Clin d’œil cinéphilique, particulièrement à la célèbre Nouvelle Vague française, le film de genre, le drame psychologique et le suspense politique, et dans le même temps hommage à des cinéastes comme Wim Wenders et Jim Jarmusch, le premier long métrage de Guggenheim bénéficie d’une sublime mise en scène qui trace plusieurs discours narratifs par le biais d’un drame à la fois sentimental et existentiel. Il est question de séduction, d’attrait physique, d’amour, d’étreintes, d’angoisses intimes, de politique, du conflit israélo-palestinien. Les effets formels, d’une rare force d’expression s’assemblent, se défont, se réorganisent et se transforment dans une sorte de chorégraphie filmique qui bouleverse la notion même de cinéma, car cet essai sur le pouvoir du doute est en fait une déclaration d’amour pour le 7e art.

Par le biais de son cinéma, Israël montre sans doute l’instabilité sociale et politique qu’il traverse, mais dans le même temps, les cinéastes offrent des solutions possibles pour s’en sortir. Ils le font en ne se prenant pas toujours au sérieux, le plus souvent avec humour, mais toujours nourris d’un vorace appétit de vivre, donnant la parole à tous les concitoyens quelles que soient leurs origines ethniques ou religieuses.

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