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La Danse de la réalité

25 mars 2014

À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU

Texte : Élie Castiel

Alejandro Jodorowsky : l’iconoclaste, le marginal, le rebelle, le chantre invétéré d’un certain surréalisme bretonnien au cinéma, mais dans le même temps, un humaniste, un artisan des images en mouvement, dont les diverses métaphores politiques et l’esthéthique empreinte d’un symbolisme à la fois outrancier et mesuré transcendent le cinéma. Quel que soit le regard que nous portons sur lui, nous faisons face à son tout dernier film, La Danse de la réalité, titre on ne peut plus biographique, rassemblant toutes ces images inventées depuis les débuts d’une vie.

Car La Danse de la réalité est avant tout une enquête, une investigation documentée (voire illustrée) d’un cinéma qui a été inventé de toutes pièces, voire même construit à partir d’une base intellectuelle réfléchie, en avance de son époque, situant ses récits absurdes, fous et parlant surtout de la condition humaine, de sa perennité dans l’Histoire, de sa survie, ses rêves éclatés, ses cauchemars fascinants, son immense diversité, sa chute et sa rédemption.

Car, aussi, Alejandro Jodorowsky est un poète, un démiurge de la pensée, un philosophe de la folie, un conteur mélancolique. Mais nous nous devons de revenir à la réalité. Présenté comme film de clôture au dernier Festival du nouveau cinéma, La Danse de la réalité a divisé la critique et sûrement les cinéphiles. Un permier clan était déçu. Verdict : aucune raison donnée. Nous soupçonnons qu’il ne reconnaissent pas le Jodorowsky qui les a habitués à un cinéma de l’excès, des extravagances parfois jouissivement manipulatrices. Il s’agit sans doute des nostalgiques des remarquables El Topo (1970) et La Montagne sacrée (La montaña sagrada) tourné en 1973. Un deuxième clan a reconnu le côté sournoisement autobiographique de l’œuvre en question; avouons que l’auteur n’a rien perdu de son élan, mais qu’il s’agissait, dans ce cas, d’un « chant du cygne ».

En attendant que le réalisateur tourne un nouveau film selon son approche habituelle, nous réfutons ces mots de mauvais augure et préférons voir en cette étourdissante et sublime Danse de la réalité un film gigogne, une pause, permettant à l’auteur de réfléchir sur soi-même car, ici, ce sont des souvenirs, des images d’un passé éloigné qui se mêlent et s’entrecroisent les unes aux autres, les unes sur les autres, formant un tout imaginé, rêvé, sans aucune précision claire. Et pourtant, malgré son côté non-linéaire, La Danse de la réalité est le plus accesible de ses films, sans doute grâce à son étrange poésie, son élégante liberté et – surtout et avant tout –son détachement assumé.

Retrouver Jodorowsky, c’est retrouver une idée du cinéma, un rapport au corps tout à fait particulier, un regard sur le monde submergé d’images contradictoires et soudain en parfaite harmonie avec la nature. Cet amalgame de sensations est sans doute dû à la personnalité multiforme du cinéaste.

Chilien, exilé, Juif, subversif. Ces fragments identitaires constituent dans La Danse de la réalité les divers éléments d’un rituel païen marqué paradoxalement par le fatalisme et l’ouverture. Jodorowsky, c’est aussi le mari, le père, le grand-père, l’éternel métèque qui, de film en film, a su s’exposer lui-même par le biais d’une galerie de personnages étranges, des bêtes de foire, des suceurs de sang, presque des extraterrestres…

Texte complet : Séquences (nº 289, p. 29-31), suivi d’une entrevue avec Alejandro Jodorowsky (p. 32-33).

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