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Albertine, en cinq temps

20 mars 2014

ELLE SE SOUVIENT

Élie Castiel
CRITIQUE
★★★

Trente ans après sa création, Albertine, en cinq temps renaît avec une nouvelle mise en scène, celle d’une Lorraine Pintal qui joue beaucoup plus sur la carte de la nostalgie que sur une vision actualisée de la célèbre pièce de Michel Tremblay. Nul doute que la rendre au goût du jour aurait été un exercice périlleux tant les mentalités ont changé, et particulièrement en ce qui a trait à la femme.

Mais lorsque Monique Miller entre en scène, sans dire un seul mot, l’émotion nous serre la gorge. Quelques pas légers, quelques mouvements sont suffisants pour confirmer qu’il s’agit là d’une comédienne exceptionnelle. Et puis se déroule l’histoire d’une femme à travers quelques décennies. À l’hiver de sa vie, approchant le voyage final, Albertine se souvient d’une existence vécue dans la solitude, le néant, les drames personnels, toutes ces choses qui marquent une vie. Pour se réconcilier avec elle-même, elle tente d’amadouer les cinq Albertine qu’elle a été.

Le texte, d’une force dramatique extraordinaire, tant par son naturel que par sa symbolique, renvoie à un autre Québec, un territoire qui se cherche, qui ne s’assume pas entièrement, qui revendique inconsciemment son identité nationale. Mais Albertine, en cinq temps, c’est aussi une réflexion profonde sur la langue, sur ce qu’elle a été et avec le recul, ce qu’elle est devenue.

La mise en scène est techniquement bien maîtrisée, décors aidant. Mais les cinq interprètes incarnant Albertine à chacun des âges sont si différentes l’une de l’autre qu’on a de la difficulté à leur apposer le personnage unique qu’elles représentent : différences physiques, réparties, tonalités. Et surtout et avant tout, un manque de rythme qui se remarque dès le début.

Qu’importe ces faiblesses, car le texte de Tremblay demeure d’une importance capitale dans son œuvre. Les complaintes musicales, qui auraient pu noyer certaines séquences dramatiques ne le font pas ; au contraire, elles sont assez brèves et ont comme fonction d’appuyer le propos et de nous rappeler que nous sommes après tout au théâtre. Même si au fond, le théâtre de Michel Tremblay ne jure que par son réalisme poétique.

Entre le prénom du titre et le reste, une virgule, comme si ce signe de ponctuation devait être une halte, une pause, une opportunité de réfléchir sur soi avant de partir pour ne plus revenir. Le titre de la pièce évoque à lui-même non seulement sa profonde éthique, mais confirme une fois de plus l’esprit observateur d’un des plus grands dramaturges-ethnographiques du théâtre québécois.

DRAME
Auteur :
Michel Tremlbay – Mise en scène : Lorraine Pintal – Scénographie : Michel Goulet – Éclairages : Denis Guérette – Musique : Jorane – Costumes : Sébastien Dionne – Comédiennes : Monique Miller, Émilie Bibeau, Éva Daigle, Marie Tifo, Lise Castonguay, Lorraine Côté | Durée : 1 h 35 (sans entracte)  – Représentations : Jusqu’au 11 avril 2014 – Théâtre du nouveau monde.

Cotes

★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Remarquable. ★★★ Très bon. ★★ Bon. Moyen. Mauvais. ☆☆ Nul … et aussi ½ — LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.

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