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Moi, Feuerbach

16 février 2014

EN ÉTAT D’URGENCE

Élie Castiel
CRITIQUE
★★★★

Comment décrire une telle œuvre si ce n’est qu’en abordant l’art de l’interprétation. Dans Moi, Feuerbach, tout repose sur le jeu d’acteur, sur le rapport que ce dernier entretient non seulement avec la scène, mais avec les spectateurs. La pièce de Tankred Dorst est avant tout une mise en abyme d’une rare intelligence, un essai théâtral qui remet en question les codes mêmes de la mise en scène, un voyage à l’intérieur d’une âme qui cherche un sens à sa profession, à sa vie sans doute.

Jouer, convaincre du bien fondé de sa performance, prendre en charge l’espace scénique comme si c’était une question de vie ou de mort. Gabriel Arcand (Feuerbach) possède cette charge électrique, ce rapport viscéral entre lui-même et le rôle qu’il interprète. Il y a aussi l’assistant metteur en scène, incarné par un Alex Bisping, pariant avec divers registres à la fois. Entre ces deux personnages, un rapport de force égal à celui que tout metteur en scène doit avoir avec ses comédiens.

La tension se crée, le doute, l’angoisse, l’espoir. Feuerbach invente un temps, celui d’auditionner pour un rôle alors qu’il n’a pas joué depuis de très nombreuses années (pour cause de maladie ?). Il exige que ce rôle lui soit attribué, à lui et à personne d’autre. C’est ainsi que Moi, Feuerbach se transforme en quête existentielle sur l’homme et le monde qui l’entoure. La pièce de Tankred Dorst est farouchement une proposition sur la vulnérabilité d’être, d’exister, de se compromettre. Lorsque Feuerbach dit tout haut à l’assistant « M. l’Assistant, est-ce que nous n’inventons pas nous-mêmes notre Dieu, là haut ? », c’est toute l’essence de l’œuvre qui est là : comment choisir un rôle ? Comment y croire ? De quelle façon convaincre le public que l’expérience sur scène dépasse la réalité ? Jusqu’à quel point oser donner son âme ? Et Dieu dans tout cela ? Tonkred suppose que nous le créons de toute pièce en accord avec nos désirs et nos aspirations. Dans ce rapport entre nos propres créations et le divin, une complicité singulière, un espace tantôt clos, tantôt ouvert à toutes les possibilités, mais toujours sacré et ambigu.
Avec Moi, Feuerbach, Tankred signe une œuvre, certes difficile, exigeante par son minimalisme,  mais totalement touchée par la grâce que défend avec brio un comédien exceptionnel qui devrait se retrouver au Palmarès des prix d’interprétation masculine de l’année. C’est sans aucun doute l’un des spectacles de théâtre des plus innovateurs et originaux de la saison. Lorsque l’espace théâtral assume son intransigeance face aux spectateurs, on ne peut que lever son chapeau. Tankred Dorst signe ici une pièce totalement libre et qui ose s’aventurer dans des voies admirablement parallèles.

ESSAI DRAMATIQUE | Auteur : Tankred Dorst – Traduction : Bernard Lortholary, en coll. Avec Ursula Ehler – Mise en scène : Téo Spychalski – Décors : Téo Spychalski – Assist. aux costumes : Marie-Pierre Poirier – Mont. son et vidéo : Nikita U – Éclairages : Mathieu Marcil – Film : Jean-Louis Frund – Interprétation : Gabriel Arcand (Feuerbach), Alex Bisping (L’assistant), Ginette Chevalier (La femme)| Durée : 1 h 20 (Sans entracte)  – Prochaines représentations : Dimanche 18 mai (16 h 00) et Lundi 19 mai 2014 (20 h 00) – Prospero (Salle principale).

COTE
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Remarquable. ★★★ Très bon. ★★ Bon. Moyen. Mauvais. ☆☆ Nul … et aussi 1/2 — LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES

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