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Porgy and Bess

27 janvier 2014

LA PART DE DIEU ET LA PART DU DIABLE
Élie Castiel
CRITIQUE : ★★★

Pourquoi un titre d’article aussi prophétique ? Pour la simple raison que Porgy and Bess s’inscrit dans un rituel narratif axé sur les voies du destin et de la perte de l’âme. Fils d’immigrants juifs originaires de Russie, George Gershwin suit un carrière musicale qui le conduit dans les sphères de la renommée. D’abord conçue comme comédie musicale, Porgy and Bess entre dans le firmament restreint de l’Opéra, côtoyant les grands compositeurs  italiens, allemands et français

Mais ce qui étonne le plus, c’est l’esprit d’observation de Gershwin, son aptitude à déceler les tourments de la négritude. Les années 20 aux États-Unis connaissent plus que jamais une discrimination raciale qui va se perpétuer dans les décennies à venir. Le livret de Dubose Heyward et Ira Gershwin (frère de George) capte bien la tradition noire, l’esprit de famille, les paradoxes sociaux d’une communauté prise entre l’amour du spirituel, les plaisirs des sens et l’amour de la famille, sans compter sur quelques marginaux qui donnent au clan une certaine touche d’exotisme. Mais plus que tout, la foi en Dieu (ici le Christ) domine, donnant l’espoir, la rédemption et la volonté de continuer à vivre.

Ces éléments sont présents dans la version de l’Opéra de Montréal, non seulement sur le plan narratif, mais musical également. Ce mélange de variations classiques et de moments de jazz s’avèrent maîtrisés, suaves pour certaines oreilles, irritants pour d’autres, notamment les puristes de l’une des deux formes employées. En chef d’orchestre, Wayne Marshall s’adapte aux membres de l’Orchestre symphonique de Montréal et profite bien des accords du Montreal Jubilation Gospel Choir, tous d’un enthousiasme contagieux. On dira tout le bien du décor de Kenneth Foy, dont les transitions entre un milieu et un autre traversent la scène délicatement. Même chose pour les costumes de Judy Dearing, admirablement conçus pour l’époque, les années 20, les célèbres Roaring Twenties (les « années folles »).

Il y a une part de nostalgie que provoque Gershwin ; ce fils de parents venus d’ailleurs semble comprendre l’autre, son assimilation difficile à une terre peu accueillante. Sa judaïcité est présente dans ces chants à la gloire de Dieu, même si le rituel est chrétien. Cet amalgame bienheureux de confessions conduit Porgy and Bess vers une sorte d’épiphanie spirituelle qui ne peut qu’engendrer l’entente entre humains.

Le reproche est dans la mise en scène de Lemuel Wade, un peu chaotique par moments. Si les quelques duos respirent le bonheur et la sérénité et montrent la fusion parfaite entre les personnages, parfois même provocant l’émotion, les scènes d’ensemble entraîne une foule de personnages sur scène et on a parfois de la difficulté à reconnaître les principaux protagonistes. L’opéra, c’est aussi diriger les participants dans un espace géographique harmonieux, faisant en sorte que des éléments importants du récit ne se perdent parmi la foule. Car l’opéra, c’est aussi du théâtre.

Ce léger reproche fait, on peut ajouter que Porgy and Bess aurait mieux fonctionné comme comédie musicale que comme opéra. Ou peut-être que nous sommes trop habitués aux grands classiques de Mozart, Verdi, Wagner, Puccini et autres grands dignitaires de la grande musique. Quoi qu’il en soit, la réaction du public à la première archicomble s’est soldée par une longue ovation debout, sans doute méritée.

MÉLODRAME MUSICAL | Compositeur : George Gershwin – Livret : Dubose Heyward, Ira Gershwin, d’après la pièce Porgy de Dubose Heyward et Dorothy K. Heyward, tiré du roman éponyme de Dubose Heyward – Direction musicale : Wayne Marshall / Orchestre symphonique de Montréal / Montreal Jubilation Gospel Choir – Mise en scène : Lemuel Wade – Décors : Kenneth Foy – Costumes : Judy Dearing – Éclairages : Anne-Catherine Simard-Deraspe – Chanteurs : Kenneth Overton (Porgy), Measha Brueggergosman (Bess), Lester Lynch (Crown), Jermaine Smith (Sportin’ Life), Larry D. Hylton (Robbins), Marie-Josée Lord (Serena), Michael Preacely (Jake), Chantale Nurse (Clara), Catherine Anne Daniel (Maria) | Durée : 3 h (incluant 1 entracte) | Prochaines représentations : Mardi 28 et jeudi 30 janvier, ainsi que le samedi 1er février et le lundi 3 février, à 19 h 30 / Place-des-Arts (Salle Wilfrid-Pelletier).

COTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Remarquable. ★★★ Très bon. ★★ Bon. Moyen. Mauvais. ☆☆ Nul … et aussi 1/2 — LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.

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