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La Danse de mort

21 novembre 2012

CRIS ET COMPASSION

>> Élie Castiel

Elle, Alice. Lui, Edgar. Un couple en proie au déchirement même si des années de vie commune les empêchent néanmoins de se séparer, par habitude ou sans doute même par compassion. Et puis Kurt, un énigmatique cousin, un ancien ami de la famille, qui vient bouleverser ce qui ressemble à une improbable rupture.

L’œuvre d’August Strindberg repose sur une notion particulière de la symbolique. Les mots sont forts, stridents, plaçant les personnages dans des sphères extradiégétiques dépassant la réalité, les obligeant à se surpasser, à assumer leur corporalité  et à exprimer leurs émotions de façon singulière. Du moins, c’est ce qu’on ressent après presque deux heures passées en compagnie de trois grands noms de la scène, fébrilement séduits par un metteur en scène d’un rare intellect qui saisit sur le vif tout ce qui a affaire aux rapports humains et aux correspondances des sentiments.

Et puis un décor, surréaliste, là où théâtre et cinéma se confondent et s’unissent pour mieux capter l’instant, se l’approprier, forçant les acteurs de ce drame intimiste à s’acclimater à un univers qui les dépasse. Sur scène, Proulx, Gravereaux et Ahmarani expérimentent toutes sortes de sensations et s’adonnent à toutes espèces des comportements : amour, haine, désir, volupté, violence, passion, insubordination. Ils crient, se calment, se déchirent, se réconcilient. Car avant tout, La Danse de mort est une œuvre sur l’inconscient, sur ce côté indicible de l’âme que le metteur en scène expose paradoxalement dans toute sa nudité, parfois même pour ne pas dire souvent, évoquant le grand Ingmar Bergman dans tout ce qu’il possède de magnifique dans sa description du face-à-face humain. Devant les spectateurs, les trois personnages livrent leur cœur, substituent leurs âmes à ce qui ressemble à la vie et, mine de rien, s’adressent aux spectateurs comme s’ils faisaient partie de ce moment intime et bouleversant.

Si à l’intérieur d’un décor d’une blancheur infinie alliant baroque et surréalisme Denis Gravereaux se jette corps et âme dans un précipice sans fin et que tout de bruit et de fureur Paul Ahmarani joue  la carte de la versatilé, Danielle Proulx entame magistralement une carrière sur la scène de La Veillée , tragique, indomptable, souveraine. Avec La Danse de mort, Gregory Hlady confirme avec un imaginaire contagieux que le théâtre expérimental peut être à la fois sensuel, affirmatif et déchirant.

DRAME | Auteur : August Strindberg – Traduction : Michel Vittoz – Mise en scène : Gregory Hlady –– Bande sonore : Nikita U – Scénographie : Vladimir Kovalchuk – Éclairages : Émilie Proulx-Bonneau – Costumes : Vladimir Kovalchuk – Comédiens : Danielle Proulx (Alice), Denis Gravereaux (Edgar), Paul Ahmarani (Kurt)  | Durée : 1 h 55 (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 15 décembre 2012 – Théâtre Prospero.

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