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HA ha!

19 novembre 2011

LE CHARME ASSASSIN DU DÉSESPOIR

>>  Élie Castiel

Deux couples, un seul appartement. Quatre êtres humains qui vont jouer à essayer d’exister, à revendiquer chaque geste maladroit du quotidien, à réinventer les lois du désir, de l’amour et du rapport à l’autre, faisant semblant que ces sensations essentielles à la survie de l’espèce existent encore.

Et cela se passe dans la langue  jouissivement cryptique de Réjean Ducharme, auteur-clé énigmatique de la littérature et du théâtre québécois à qui, dans sa 60e saison, le TNM rend un vibrant hommage pour célébrer également les 70 ans du dramaturge. Il s’agit ici de la métaphore cruelle d’un certain Québec des années 70, territoire géographique pris entre les rouages à la fois incertains et stimulants d’un projet de pays tant souhaité et la lutte acharnée pour la réappropriation d’une langue qu’on ne cesse de revendiquer. Dans HA ha!, aucun geste politique direct, aucun lien avec la vraie rebellion sociale, aucun signe de changement. Et c’est justement dans ce refus de réagir, dans ce silence bruyant, dans ce vacarme apolitisé, que surgit toute la férocité et la grandeur de la pièce. Car tout dans HA ha! n’est qu’impulsions massives, effets de foudre, reflexes maladroits, enfantillages viscéraux, improvisation de la vie.  Des décennies après sa première présentation sur scène, l’œuvre de Ducharme résonne encore comme un cri de désespoir, comme une mélopée de l’engorgement social, comme une lutte à n’en plus finir et un combat acharné contre la stagnation. Et c’est réussi grâce à la mise en scène de Dominic Champagne, hautement inspiré par le désordre psychotronique des mots incongrus et savoureux et par les gestes violents et saccadés des personnages tragi-comiques de Ducharme. Quatre individus nés du désespoir transformés par des comédiens qui se livrent intentionnellement corps sans âme dans le duel surréaliste de la vie. Magnifique et bouleversant.

DRAME TRAGI-COMIQUE | Auteur : Réjean Ducharme – Conseiller dramaturgique : Paul Lefebvre – Mise en scène : Dominic Champagne – Décors : Michel Crête – Musique : Michel Smith – Éclairages : Étienne Boucher – Costumes : François Barbeau – Comédiens : Marc Béland (Bernard), Anne-Marie Cadieux (Sophie), Sophie Cadieux (Mimi), François Papineau (Roger) | Durée : 2h45 (incluant 1 entracte) –  Représentations : Jusqu’au 10 décembre 2011, au TNM (Théâtre du Nouveau Monde).

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