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Critiques de la raison

4 février 2011

Comme jadis on annonçait la mort du cinéma, le milieu médiatique prévoit la fin de la critique, non pas celle qui s’est immiscée sans crier gare dans le mastodonte univers du virtuel, si propice aux délires d’une démocratie mal assumée, mais au contraire, la critique écrite, celle des formats imprimés, celle qui partage avec le lecteur la connaissance et l’apprentissage d’un cinéma qui se comporte en art, qui innove avec les formes et la technique, qui s’interroge sur un monde en gestation comme jamais auparavant.

Fritz Lang a déjà dit que … le critique est une sorte de psychanalyste. Il trouve certaines choses que l’auteur lu-même ne connaît pas. J’avais l’habitude de rire quand les gens me disaient ce que je voulais dire dans mes films; mais plus tard, il m’est venu à l’idée qu’il existe peut-être une manière inconsciente de faire certaines choses et qu’un critique pourrait leur trouver une signification même si l’on n’est pas très sûr soi-même de ce que l’on veut dire.[1] Cette citation ne renferme-t-elle pas, en partie, l’idée qu’on peut se faire du vrai travail de critique : percer les mystères derrière une œuvre.

Avec la naissance d’Internet, on n’a jamais autant assisté à l’émergence d’une nouvelle race d’homo sapiens : les critiques internautes. Ils arrivent de partout, à l’improviste, s’inventent des sites parfois ingénieux et déclarent tout haut que le moment est venu de donner la parole à tous, au nom de la démocratie, pour la pluralité des voix.

Consciemment ou inconsciemment, cela a pour effet de créer une culture de masse qui non seulement gagne de plus en plus de terrain, mais qui aussi s’insurge contre la critique d’auteur en la dépossédant de sa véritable mission. Les promoteurs de films (soient les distributeurs et encore plus, les exploitants) ne croient plus tellement au pouvoir des anciens critiques, plus friands à l’idée de rallier les internautes promotionnels dans leur rang.

Mais malgré tout,  il y a un bon côté dans le pouvoir d’Internet. C’est celui de donner la possibilité à certains créateurs de sites de diffuser leurs connaissances cinématographiques avec passion, inconditionnellement, sans arrière-pensée, sans tenir compte des contraintes commerciales imposées par l’industrie, sans rien à cacher, et, avant tout, de parler des œuvres que les médias traditionnels ignorent, soit pas complaisance, ou bien encore, pour mieux servir un lectorat peu enclin à voir ce genre de films.

Et bien entendu, il reste quand même, bien qu’à une petite échelle, les quelques revues de cinéma spécialisées qui ont, malgré tout, survécu au tourbillon anti-critique de ces dernières années et conservent toujours leurs fidèles lecteurs.

>> Élie Castiel (rédacteur en chef)

[1] Gilles Jacob : Le Cinéma moderne| Paris : Serdoc, 1964, page de présentation

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