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Coup de cœur | UN PROPHÈTE de Jacques Audiard

19 février 2010

Le fil du rasoir

Grand Prix du jury au dernier festival de Cannes, Un prophète1 renoue avec le cinéma choc, un cinéma qui ne laisse pas indifférent, qui ose franchir des pas, même si parfois un peu trop vite. Film accessible au grand public, le nouvel opus de Jacques Audiard contient suffisamment d’éléments sur le plan du récit pour satisfaire également une grande partie de la critique.

Le personnage principal, c’est un jeune loup  qui se retrouve en prison, se soumet aux multiples humiliations, survit dans un environnement social pourri, corrompu et perverti, et finit par gravir les échelons, peut-être bien à une vitesse incroyable (oui, bien sûr, mais nous sommes au cinéma), mais qui demeure crédible sur le plan du scénario, d’une écriture qui respecte la parfaite symétrie sur le plan du dialogue (comme c’est toujours le cas, on sent ici aussi Audiard-père), sa spontanéité, son humour, sa poésie même.

Certes, Un prophète aura aussi ses détracteurs, qui, à leur tour, s’acharneront, en autres, sur une mise en scène trop évidente et manipulatrice. Mais force est de souligner l’impact émotionnel que le film procure. Avec Un prophète, nous sommes devant un cinéma qui nous oblige à laisser de côté certains critères (préjugés) critiques normalement associés à d’autres films pour qu’en simples spectateurs, nous nous laissions totalement emporter par ce qui se passe sur l’écran. Car il s’agit d’un film équilibré, se balançant sur une corde raide, intentionnellement provocateur, un film où réalisme et incursions dans le domaine du fantastique (apparitions du fantôme de la première victime du héros, devenu, paradoxalement, une sorte d’ange gardien) dominent les différents espaces, s’acharnent à les déconstruire et les bousculent sans cesse.

Si le cinéma français renoue de plus en plus avec les codes de la sacro-sainte Nouvelle Vague (et tant mieux, puisque le cinéma doit avant tout demeurer multiple dans ses formes) il n’en demeure pas moins que certains cinéastes, comme c’est le cas de Jacques Audiard, s’aventurent dans le domaine grand public avec une réjouissante pugnacité, octroyant à un (anti)héros ordinaire ses lettres de noblesse et sa dignité.

Et que dire de Tahar Rahim, une des plus belles découvertes masculines du cinéma hexogonale. Ses premiers phrasés hésitants se transforment peu à peu en silences persuasifs ou en courtes phrases expressives. La séquence finale en prison, qu’on ne dévoilera pas, demeure un des plus éloquents constats sur la nouvelle dynamique sociale en terroire français.

Élie Castiel | rédacteur en chef

1 Sortie prévue à Montréal : le 26 février 2010.

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