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Le songe d’une nuit d’été

23 mars 2018

CRITIQUE
| SCÈNE |
Élie Castiel

★★★★

LA CERTITUDE DES POSSIBLES

Aimer sans perdre la raison, mais sans éviter les faux pas, les grattements du cœur, ces sentiments inexplicables qui nous affligent, nous faisant altérer notre équilibre. Des éléments que l’on retrouve dans cette brillante adaptation de la comédie dramatique de Shakespeare, A Midsummer Night’s Dream, devenu, comme il se doit, Le Songe d’une nuit d’été, l’article indéfini de l’original devenant défini en français. Car il s’agit d’un rêve éveillé, le songe de tous les possibles, une pause de l’univers terrestre qui nous conduit dans un au-delà où la mort n’existe guère, ou au contraire, côtoie la vie dans toutes ses exigences et ses aspérités.

Avant-plan : Karine Gonthier-Hyndman, Steve Gagnon / Arrière-plan : Adrien Bletton, Olivia Palacci, Jean-Philippe Perras > Crédit photo : © Gunther Gamper

Trouver ce qu’on appelle « l’âme sœur » ou encore mieux, cet être qui va partager notre vie, pour le bien et plus souvent pour le mal. C’est ainsi, semble dire un Shakespeare investigateur de ses contemporains. Les gens aiment qu’on leur fasse la morale, mais ils sont absolument incapables de la suivre. Pour diverses raisons : fierté (surtout), amour propre (souvent), et pire encore, paresse (pour faire parfois le mal sans vraiment le vouloir).

Paradoxes d’une humanité qui, dans l’œil de Steve Gagnon et de Frédéric Bélanger prennent des proportions gigantesques lorsque l’espace dramatique devient le lieu de tous les possibles et impossibles, jusqu’à crever des plaies ou des abcès, faisant de l’humain un terrain d’expérimentation presque caricaturale. C’est ça l’art du théâtre. Déconstruire la réalité pour la rendre encore plus vulnérable, parce que c’est en fin de compte, notre triste destinée.

Avec le décor de Francis Farley-Lemieux qui évoque par moments celui de Dean Tavoularis dans One from the Heart (1981) le film si incompris de Francis Ford Coppola, le songe shakespearien est aussi celui du rêve perdu de l’Amérique, un endroit qui n’existe plus ou n’a jamais existé. Il ne reste qu’un langage commun : celui de l’amour, du rapprochement, de la symbiose. Et la mise en scène de Bélanger ne fait que cela : lier les corps, les défaire, créer des correspondances entre les vivants, établir des concevables même si ceux-ci paraissent infranchissables. La scène occupe alors un espace extra-terrestre fait de victoires, de défaites et de réconciliations.

La citation de Cocteau dans le programme de la soirée est d’une vérité qui nous tenaille.

Le verbe aimer est difficile à conjuguer : son
passé n’est pas simple, son présent
n’est
qu’indificatif, et son futur est toujours
conditionnel.

Jamais mots n’auront été aussi proches de l’esprit, comme quoi, notre être, notre machine humaine, réunit autant de pièces mécaniques qui nous font agir de telle ou telle façon. Mais Shakespeare (et Cocteau), autant que Bélanger et (Steve) Gagnon nous rappellent qu’il faut simplement « savoir écouter ».

Ils le font grâce à un dialogue d’une richesse intellectuelle rarement atteinte dans la comédie, mais également à une mise en scène décomplexée, riche en variations, et qui assume sa liberté en guidant les spectateurs à voir par le grand bout de la lorgnette.

Comme ce chœur grec de la fin, didactique (il était temps), moralisateur (il nous faut un peu de ça aujourd’hui, ère des plus incertaines), mais en fin de compte, comptant sur une proposition qui tient de la survie de l’espèce.

Et puis les comédiens… évitons ce cliché. Toutes et tous envahi(es) par quelque chose qu’on n’explique pas, mais qu’on possède en soi : l’amour inconditionnel de la scène.

Jean-Philippe Perras, Maude Guérin, Adrien Bletton, Olivia Palacci (debout) > Crédit photo : © Gunther Gamper

Texte : William Shakespeare (A Midsummer Night’s Dream) – adaptation : Steve Gagnon, Frédéric Bélanger – assistance à la mise en scène et régie : Julie tessier – scénographie : Francis Farley-Lemieux – Costumes : Sarah Balleux – concept sonore : Sébastien Watty Langlois – concept vidéo : Alexis Laurence – éclairages : Julie Basse – chansons : Audrey Thériault – chorégraphies : Annie Saint-Pierre – distribution : Steve Gagnon (Démétrius), Adrien Bletton (Graine de moutarde), Dany Boudreault (Puck), Gabrielle Côté (Hermia), Karine Gonthier-Hyndman (Helena), Maude Guérin (Titania), Hubert Lemire (Lysandre), Oliviaa Palacci (Snout) Jean-Philippe Perras (Bottom), Étienne Pilon (Obéron) – production : Théâtre Denise-Pelletier / Théâtre Advienne que pourra.

Durée
1 h 45 (sans entracte)

Représentations
Jusqu’au 18 avril 2018
TDP

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes]

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