En couverture

Jean dit

24 février 2018

CRITIQUE
| SCÈNE |

★★★★
TOUTE VÉRITÉ SERA CHÂTIÉE
ÉLIE CASTIEL

Le milieu attendait la pièce d’Olivier Choinière impatiemment, comme pris par les rumeurs qui circulaient autour du personnage principal, absent de la scène, mais si présent dans ce récit politico-social où la forme volontairement sensationnaliste et criarde vaut le détour. Si Jean dit (pourrait-on plutôt dire « j’en dis »?) parle surtout de manipulation, l’œuvre demeure l’essence même de l’illusion, véritables tours de prestidigitation qui verront chacun des personnages (et des spectateurs) prisonniers d’un débat sur la notion de « vérité », sa fausse pudeur, son absence depuis que le monde est monde.

Comme un puissant analgésique de conscience désinformée. © Valérie Remise

Mais s’en prendre aux prix Nobel, aux scientifiques, aux érudits de la science, des arts et de la littérature, c’est opter pour la radicalité. Car le texte de Choinière part dans tous les sens, respire le je-m’en-foutisme souverain, brise intentionnellement (et tant mieux!) les règles de la bienséance pour montrer l’être nu, décomplexé, s’ouvrant à toutes les possibilités. L’anarchie, quoi! Car pour l’auteur, le discours social est si encombrant qu’il n’est plus possible de se retrouver et on ne sait plus à quel saint se vouer. Dans un Québec à la tradition latine, mais imprégné de culture nord-américaine où la prudence a toujours été de mise, une pièce comme Jean dit place l’homo quebecus dans des sphères autres à l’intérieur desquelles il n’est pas habitué.

Mais pour les personnages de Choinière, le « pure laine » a disparu pour accéder à une multitude de voix et de voies. Tous les êtres s’assemblent, se ressemblent et ne suivent plus que la voix leur maître, le pouvoir. Véritable acte de courage et de noblesse en quelque sorte; mais le spectateur n’est-il pas lui-même manipulé? Il aurait fallu, par exemple, que des gens de l’assistance s’expriment sur la notion du mensonge et de la vérité. La ligne de démarcation entre la scène et le public n’est donc pas brisée alors que les intentions étaient sans doute de le faire.

La mise en scène démoniaque et la musique hallucinante inventent
de vrais moments de pur paroxysme théâtral, disons-le, détonateur.

Par ailleurs, Le groupe Jean Death aux accents Death métal, rappelant les êtres du futur vus dans les terres sauvages parcourues par les divers Mad Max, affiche la colère, donc la vie, mais la mort aussi et s’annonce comme un puissant analgésique de conscience désinformée.

Et ce pénis gigantesque au milieu du plafond, signe patriarcale tel un Veau d’or biblique qui attend inconsciemment les Tables de la loi, prêt à se lancer vers les spectateurs (non, rien de tel n’arrivera) comme si la vérité n’était après tout que la somme de tous les mensonges, des inventions qu’on se fait, des tours de notre imagination et, indubitablement, des multiples promesses non tenues. La mise en scène démoniaque et la musique hallucinante inventent de vrais moments de pur paroxysme théâtral, disons-le, détonateur. Au bout du compte, on se rend compte qu’après tout, l’Homme est un animal comme les autres.

Texte : Olivier Choinière – mise en scène : Olivier Choinière assisté de Stéphanie Capistran-Lalonde, également à la régie – scénographie : Elen Ewing – éclairages  : Marie-Ève Pageau – musique : Groupe Jean Death – vidéo : Dominique Hawry – costumes : Elen Ewing – comédiens (par ordre alphabétique) : Leo Argüello, Sylvie De Morais-Nogueira, Sébastien Dodge, Lévi Doré, Éric Forget, Émilie Gilbert, Johanne Haberlin, Sébastien Rajotte, Noémie Leduc-Vaudry, Didier Lucien, Julie Tamiko Manning, Lesly Velázquez – création : Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.

Durée
1 h 50 (sans entracte)

Représentations
Jusqu’au 17 mars 2018
CTd’A (Salle principale)

Classement
Aucune limite d’âge précisée
(Nudité passagère / Langage crue)

MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel  ★★★★ Très Bon  ★★★ Bon  ★★ Moyen  Médiocre ½  [Entre-deux-cotes]

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