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Sharon Ibgui

31 octobre 2017

RENCONTRE
| Théâtre |

Propos recueillis
par Élie Castiel

HYBRIDITÉ ET INDENTITÉ…OU
L’ESPACE DE TOUS LES POSSIBLES

Elle est volubile, répond à nos quelques questions avec une clarté rare. Se sent chez elle ici, puisqu’elle y est née. Ses doubles racines ne signifient pas grand-chose. Il faut foncer, aller de l’avant et cesser de se poser des questions. Elle s’appelle Sharon Ibgui et elle joue l’un des trois personnages féminins dans Antioche, la nouvelle création théâtrale à l’espace Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier. Rencontre dans un café cool du Village.

TH_Entrevue. Sharon Ibgui

Mounia Zahzam (à gauche), Sharon Ibgui (à droite) >> © TDP

Vos doubles racines, même si vous êtes née à Montréal vous permettent sans aucun doute de composer divers personnages. Vous pourriez aussi bien jouer une Québécoise d’origine italienne, portugaise, grecque ou même juive.
Effectivement, même si mon parcours, dès le début a été plutôt insulaire. ? Dès mes débuts, j’ai été entouré de Québécois et j’ai constaté, je dois l’avouer, que j’étais la seule issue d’une autre communauté qui faisait du théâtre. En fait, ce débat, de plus en plus présent aujourd’hui, me dérange un peu. Pour la simple raison qu’il me fait sentir que je viens d’ailleurs. Mes origines sont autres, oui c’est vrai. Je n’ai pas vraiment été obligée d’épouser la culture québécoise ; c’était un fait. Par exemple, mon amoureux est Québécois. La preuve, quand je suis avec des Québécois, j’ai l’accent, naturellement, québécois. Au contraire, quand je suis avec des Français, naturellement aussi, je conserve l’accent français. La même chose arrive lorsque je me retrouve avec des Juifs marocains.

Mais n’empêche que pour certains rôles, ça vous donne la possibilité de pratiquer votre métier de comédienne plus souvent.
Oui, c’est bien vrai. Une façon comme une autre de représenter les Nations unies de l’art d’interprétation au Québec (rire). Mais au fond, j’assumer entièrement ma québécitude, trait de langue aussi riche qu’original.

Mais vous êtes aussi l’autre, n’est-ce pas ?
Oui, comme je l’ai déjà mentionné, je peux être l’autre, sans faire d’efforts. Comme un individu hybride qui comprendrait différentes manières de parler et de se comporter. Je crois que personnellement, c’est vachement enrichissant, n’est-ce pas ?

Sans révéler les détails du récit, il est question de
religion, de foi, de terrorisme, de contemporanéité,
de détermination, je ne vous en dis pas plus.

Oui, je le crois. Car c’est mon cas aussi, mais dans une autre discipline. Par ailleurs, les minorités ne sont pas uniquement ethniques. On parle aussi de groupes comme les LGBTQ, les Autochtones.
Oui, en effet, cela manque tant au cinéma qu’à la télévision et au théâtre, même si des efforts sont faits de temps en temps. En fait, les codes  de la représentation se basent le plus souvent sur des modes consensuels. Il faut plaire à la majorité, du moins cela semble la contrainte qu’on retrouve le plus souvenrt.

Effets de la mondialisation (et du populisme) sans doute ?
En fait, oui, car aujourd’hui, chacun semble suivre ce qui l’intéresse, nonobstant de l’endroit du monde où il se trouve. Et je suis persuadée que ce phénomène suit également un courant économique.

Comme les films ethniques dans certaines salle de cinéma à Montréal ?
Oui, c’est une question de marché.

Antioche, c’est une pièce moderne sur la femme. En fait trois femmes d’aujourd’hui qui se cherchent : Jade, Antigone et Inès, comme de héroïnes sorties droit des tragédies grecques.
Oui, on parle d’Antioche, près de la Syrie, mais là n’est pas la question. L’idée de départ pour ses trois femmes est de sortir d’une prison intérieure et d’aller de l’avant. C’est là la vision des auteurs. Sans révéler les détails du récit, il est question de religion, de foi, de terrorisme, de contemporanéité, de détermination, je ne vous en dis pas plus.

L’intimité de la salle (Fred-Barry) rend sans doute l’expérience encore plus trépidante et essentielle.
Sans aucun doute. Cela a aussi à voir avec la proximité entre les comédiens et les spectateurs. La concentration est la seule façon d’échapper aux moments de distraction : vivre son personnage tout en étant conscient qu’on nous regarde, mais en même temps, jouer le jeu de la représentation avec franchise.

Belle figure de style que ce « jeu de la représentation », comme s’il fallait porter un masque, le conserver pendant le spectacle, pour ensuite le retirer jusqu’à la prochaine fois.
C’est là la magie du théâtre. Vivre perpétuellement la vie.

Antioche
Texte :
Sarah Berthiaume
Mise en scène : Martin Faucher

Théâtre Denise-Pelletier
(Espace Fred-Barry)

Du 7 au 25 novembre 2017

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