En couverture

Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran

26 février 2017

THÉÂTRE /
CRITIQUE
★★★★ 
Texte : Élie Castiel

FUSIONS PARALLÈLES

Nous sommes convaincus que pour Eric-Emmanuel Schmitt, incarner soi-même  les deux principaux personnages de son écrit relève de la déclaration politique (en anglais, ça résonne bien plus fort, soit, political statement). Oui, bien entendu, il y a les événements pas trop lointains de Charlie Hebdo et deux jours plus tard, de l’Hyper Cacher. Gestes terroristes contre un Occident libre et laïc, mais en même temps comportement antisémite. Et puis, un courant islamophobe sans précédent, montrant la vraie face d’une population terriblement appeurée par la différence. Le monde a changé. Et pour Schmitt, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, écrit pourtant en 1999, et qu’il jouait sur scène le soir Charlie Hebdo à Paris, devenait pour un ainsi dire essentielle aux yeux du monde.

Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran_01

L’épicier du coin, psychologue populaire et pour ainsi dire, privé (© Courtoisie TNM)

Sur les planches du TNM, deux ans plus tard, il nous emporte, nous faisant oublier les quelques petites failles de micro tant les mots sont si simples et pourtant évocateurs d’ouverture d’esprit, de tolérance, de partage et de valeurs familiales, par les temps qui courent effritées par un quelconque égocentrisme probablement issu du capitalisme sauvage ou du confort que suscite le manque de compromis.

Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran est le récit d’initiation d’un adolescent fort épris du sexe opposé vers son passage à l’âge adulte ou disons-le plus psychologiquement, à la maturité. Comme psychologue populaire et surtout privé, dû aux cirsonstances, l’épicier du coin, le seul Arabe dans une rue de Paris, essentiellement peuplée de gens de confession juive, ne fait que suivre la tradition orale de certains peuples du Maghreb et du Moyen-Orient.

Quel beau et lucide texte que celui de Monsieur Ibrahim
et les fleurs du Coran
. Il nous interpelle, nous surprend
et nous libère tendrement de notre torpeur actuelle.

Entre les deux personnages, notamment en ce qui a trait à Momo (Moïse dans la vraie vie), un doute et une appréhension, vite contrecarrés par les paroles de Monsieur Ibrahim, parlant de la vie, de l’amour et de l’entente entre les peuples, donnant des conseils à Momo pour aller « aux putes », se comportant comme un ami par son ouverture d’esprit et comme un père par ses conseils et son côté protecteur.

Les chansons de l’époque, dont le célèbre Non ho l’età de la jadis célébrissime Gigliola Cinquetti, chanté en français, évoque avec nostalgie un début des années 60 beaucoup moins agressif qu’aujourd’hui. La mise en scène fera référence à Brigitte Bardot qui tourne dans les parages une scène du Mépris de Jean-Luc Godard. À notre connaissance, ce remarquable film a été tourné à Italie, entre autres, dans les studios de Cinecittà. S’agissait-il peut-être du Repos du guerrier, avec toujours, Brigitte Bardot? Qu’importe, car comment résister aux quelques paroles de l’actrice et à la musique de George Delerue?

Détails que nous sommes prêts à oublier tant le propos de Schmitt résonne encore de nos jours. L’islamophobie est un cancer, comme l’a été et l’est encore l’antisémitisme. Ce n’est donc pas par hasard si les deux personnages de la pièce partagent ces deux croyances millénaires, pourtant si proches l’une de l’autre par les codes et les lois qui régissent leur quotidien.

© Courtoisie TNM

Errer sur la scène du TNM comme un lieu de la mémoire, un espace vital… (© Courtoisie TNM)

Et puis, il y a la mise en scène d’Anne Bourgeois, dynamique, laissant Schmitt, le comédien, errer sur la scène du TNM comme un lieu de la mémoire, un espace vital où raconter au monde certaines vérités. En 2004, l’émouvant film de François Dupeyron, qui nous a laissés trop tôt, racontait ce récit avec maints détails. Momo, son père, la star et d’autres personnages n’étaient plus des personnages qu’on raconte, mais des vrais, incarnés par des vedettes. Ça, c’est la magie du cinéma.

Mais sur scène, il y a une autre magie, celle de se laisser séduire par le minimalisme des décors, par la présence d’une seule voix qui, par ses gestes, passe d’un personnage à l’autre. Autre mode de la représentation qui suit ses propres codes et nous n’en sommes que plus persuadés.

Soulignons que la collaboration aux éclairages de Pierre Saint-Amand et Nico Labbé s’ajuste magnifiquement bien à l’état d’esprit du comédien, devenant pour ainsi dire des sortes de revêtements psychologiques. Quel beau et lucide texte que celui de Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran. Il nous interpelle, nous surprend et nous libère tendrement de notre torpeur actuelle.

Auteur : Eric-Emmanuel Schmitt – Mise en scène : Anne Bourgeois – Directeur de production – Pierre Saint-Amand – Éclairages : Pierre Saint-Amand, Nico Labbé – Distribution  : Eric-Emmanuel Schmitt – Production : Didier Morissonneau | Durée : 1 h 50 approx. (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 4 mars 2017 – TNM.

MISE AUX POINTS
★★★★★  Exceptionnel.  ★★★★  Très Bon.  ★★★  Bon.  ★★  Moyen.   Mauvais.  ½ [Entre-deux-cotes]

sequences_web

2024 © SÉQUENCES - La revue de cinéma - Tous droits réservés.