En salle

Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau

2 février 2017

RÉSUMÉ SUCCINCT
Déçus de l’échec des manifestations du Printemps érable, quatre jeunes marginaux décident de poursuivre la lutte.

CRITIQUE
★★
Texte : André Caron

CEUX QUI FONT LES FILMS À MOITIÉ
NE FONT QUE SE CRÉER UN FARDEAU

Je sens que je vais me faire des ennemis, surtout à Montréal où la réception critique de ce très long métrage de Mathieu Denis et Simon Lavoie a été dithyrambique (seul Éric Moreault du Soleil a eu l’audace de faire bande à part, à ma connaissance) et à Toronto, où il s’est même mérité le prix du Meilleur film canadien au TIFF en septembre dernier (ce qui en dit long sur le reste de ce cinéma divisé par les deux solitudes…). Certes, le projet se veut provocateur par son sujet, ambitieux sur le plan formel, audacieux dans le traitement des personnages. Mais le dynamique duo ne parvient qu’à moitié à atteindre son but tellement le sujet s’étiole, la forme devient complaisante et les personnages antipathiques, caricaturaux et désagréables. Un lourd fardeau à porter pour les spectateurs.

Il y a beaucoup de courage dans ce film, beaucoup de
poésie aussi. Il n’y manque que la cohérence du propos.

En 1959, quand Jean-Paul Belmondo se tourne vers le public dans À bout de souffle et l’envoie se faire foutre, il y a eu un réel choc dans la salle, car c’était la première fois qu’une telle chose se produisait. Il s’agissait d’un acte formel vraiment révolutionnaire qui a propulsé la Nouvelle-Vague et Jean-Luc Godard sur la scène mondiale. Tout le cinéma des années 1960 fut provoquant, ambitieux et audacieux (Psycho, L’année dernière à Marienbad, L’eclisse, 8 ½,  et Persona, 2001). Tout le cinéma de Pasolini fut renversant et politiquement engagé. Mais il y avait un propos fort dans ces films. Où se cache-t-il dans Ceux qui font les révolutions…? De quelle révolution s’agit-il? Contre quoi luttent les quatre jeunes militants? Quel est leur objectif? Sur quelles idées se base ce combat? On n’en sait rien. Les maoïstes, les trotskistes et les marxistes-léninistes savaient pourquoi ils se battaient avec des 2X4 et des barres de fer dans les manifestations. Pourquoi Tumulto (Laurent Bélanger) et Ordine Nuovo (Emmanuelle Lussier-Marinez) lancent-ils des cocktails molotov (au ralenti, en plus) dans la vitrine d’un restaurant? Pourquoi Giutizia (Charlotte Aubin) vole-t-elle les fusils de son père? Pourquoi le quatuor s’en prennent-ils à la mère inoffensive d’Ordine?

Ceux qui font les révolutions...

Et surtout, pourquoi Klas Batalo (Gabrielle Tremblay) agresse-t-elle son père? Il exprime pourtant à son enfant un point de vue sensé bien qu’ultraconservateur et réactionnaire. Il l’implore de réagir, d’argumenter, mais ne sachant quoi dire, elle le poignarde! Conclusion : pas de substance, pas d’arguments, donc je frappe. Il s’agit ici d’une charge égocentrique, narcissique, complaisante et réductrice. Les personnages s’apitoient sur leur sort, s’autoflagellent (à coup de poing, rien de moins!) et discourent à vide. Au début, Ordine dit à Giutizia qui la caresse : « On a dit qu’on ne faisait plus ça; nous sommes en guerre ». En guerre contre quoi? Pourtant, plus tard, les quatre anarchistes dorment nus ensemble et se caressent. Ce n’est pas l’unique contradiction. Klas gagne de l’argent en se prostituant et ramène le montant à ses camarades sans emploi, qui deviennent par le fait même proxénètes. Est-ce moral, ça? Ils sont un peu comme le Québec en ce moment : ils n’ont pas de véritable projet de société à défendre. Ils se vautrent dans leur révolte artificielle.

Si dans ce constat résident les intentions de Denis et Lavoie, le message ne passe pas et se voit contredit par les nombreuses citations qui tapissent l’écran. Il y a bien ici et là quelques étincelles brillantes : le très (trop?) long travelling qui suit Klas sur une passerelle alors qu’elle est soudainement dépassée par un cycliste (ce qui me rappelle le Possession d’Andrzej Żuławski), la puissante juxtaposition des cérémonies religieuses d’antan avec les manifestations du printemps érable, le plan admirable sur le corps nu de Gabrielle Tremblay (au jeu très sensible) à la fois homme (son pénis) et femme (ses cheveux, son visage, ses petits seins), qui exécute une chorégraphie sensuelle et provocante. Il y a beaucoup de courage dans ce film, beaucoup de poésie aussi. Il n’y manque que la cohérence du propos.

Sortie :  vendredi 3 août 2017
V.o. :  français

Genre :  DRAME SOCIO-POLITIQUE – Origine :  Canada [Québec]  –  Année :  2016 – Durée :  3 h 04  – Réal. :  Mathieu Denis, Simon Lavoie – Int. : Charlotte Aubin, Laurent Bélanger, Emmanuelle Lussier-Mastinez, Gabrielle Tremblay – Dist./Contact :  K-Films Amérique.
Horaires : @  Cinéma BeaubienCineplex

CLASSEMENT
Interdit aux moins de 16 ans
(Érotisme)

MISE AUX POINTS
★★★★★  Exceptionnel★★★★  Très Bon★★★  Bon★★  Moyen★  Mauvais½  [Entre-deux-cotes]  –  LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.

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