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Shin Godzilla

16 octobre 2016

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Shin Godzilla

RÉFLEXION
Texte : Alain Vézina

TU N’AS RIEN VU À FUKUSHIMA

En dépit de l’accueil triomphal que le public japonais a réservé à Shin Godzilla l’été dernier, le film divise la critique et les fans depuis sa sortie limitée en Amérique du Nord et son passage dans certains festivals, dont celui de Sitges, en Espagne. S’agit-il véritablement d’une renaissance du notre saurien atomique (comme le premier titre envisagé – Resurgence – le suggérait) ou bien d’une entreprise qui, à trop vouloir se singulariser par rapport aux films précédents, en vient à s’égarer dans les méandres de ses ambitions formelles et thématiques. Malheureusement, force est d’admettre que ce nouveau Godzilla se situe plus près de la dernière proposition.

Shin Godzilla constitue l’antithèse de l’avant-dernier film de la série, Godzilla Final Wars sorti en 2004. Alors que le film de Ryuhei Kitamura n’était qu’une longue suite de combats déjantés – pour le meilleur et pour le pire – le nouvel opus de la série nous plonge dans les coulisses d’une cellule de crise mise en place par le gouvernement nippon suite à l’apparition de Godzilla. Cette approche peut en soi se révéler intéressante, d’autant plus qu’elle fait écho à la gestion déficiente des autorités face aux conséquences de la tragédie de Fukushima en 2011. Or, le problème consiste à bâtir un film de deux heures majoritairement centré sur des tergiversations bureaucratiques et un ballet diplomatique filmés avec une surenchère de gros plans. La multiplication de personnages inconsistants et de scènes verbeuses a tôt fait de lasser le spectateur.

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Godzilla Final Wars

En outre, contrairement à ce que certains critiques voudraient nous faire croire, ce nouveau Godzilla ne redéfinit en rien les contours thématiques du genre. L’imbroglio constitutionnel relatif au déploiement des Forces d’auto-défense nippones a déjà été mis en lumière dans la série des Gamera de Shusuke Kaneko de manière beaucoup plus caustique. Le rôle des Américains dans la défense de l’archipel et leur volonté d’en finir avec Godzilla à coups d’armes nucléaires sont au centre des discussions diplomatiques dans The Return of Godzilla de Koji Hashimoto (1984). Les velléités néo-nationalistes teintaient déjà le propos de plusieurs kaiju eiga des années 1990 et 2000 comme Godzilla Against Mechagodzilla (M. Tezuka, 2002), tout comme les aspirations à une activité militaire affranchie de la contraignante tutelle américaine (Gamera 3 en 1999 et Tokyo S.O.S en 2003). Paradoxalement, le film évoque aussi les dérives du nationalisme militaire (la référence à la Marine impériale et les trois millions de morts japonais).  Enfin, le souhait d’une coopération internationale pour contrer la menace était un sujet de prédilection d’Ishiro Honda, réalisateur de plusieurs films de la Toho et l’un des créateurs de Godzilla. Toutefois, à trop vouloir aborder plusieurs thèmes, le récit ne fait que les diluer à travers des personnages caricaturaux (la palme revient à Kayoko Anne Patterson, l’agente américaine de liaison) et des répliques sentencieuses et laisse, incidemment, une impression de confusion dans son discours.

En plus de son rythme laborieux, l’un des problèmes majeurs de Shin Godzilla réside dans son incapacité à susciter la moindre empathie chez le spectateur. La catastrophe qui s’abat sur l’archipel nous laisse à peu près indifférents, à tel point que l’ancrage émotionnel entre le film et le public est irrémédiablement compromis. La faute en incombe principalement à ce regard clinique et froid posé sur les événements, à la limite d’une approche documentaire principalement axée sur une gestion de crise nationale (les personnages fixant la caméra, les images retransmises par la télévision ou par portables accentuent l’esthétique documentaire). Les conséquences sur la population sont sommairement évoquées au détour de quelques plans de fuite et d’évacuation. En limitant son regard sur des dirigeants falots, le film ne tisse aucune trame émotive susceptible de toucher le public. Sans verser dans des excès mélodramatiques, le récit aurait eu avantage, à l’instar de celui de Gojira sorti en 1954 (dont il reprend cependant des motifs musicaux et les bruits de pas du monstre), à dépeindre la souffrance de la population civile afin de brosser le portrait complet d’une nation aux prises avec une catastrophe sans précédent. À ce titre, il faut lire l’ouvrage poignant de Kota Ishii, Mille cercueils, pour mesurer toute la détresse des proches des victimes du tsunami de 2011. Ce n’est certes pas en filmant des photocopieuses, des verres de café en styromousse vides ou encore des discussions sur des odeurs nauséabondes de chemise que le réalisateur Hideaki Anno parvient à faire prendre conscience au spectateur de toute l’ampleur d’une crise nationale. Le récit souffre de cette fâcheuse propension à s’enliser dans les détails anecdotiques au détriment d’une vue d’ensemble qui aurait pu générer un tableau véritablement dantesque des événements.

Ces dialogues interminables des politiciens et conseillers laissent bien peu de temps à Godzilla pour incarner totalement la menace qu’il a déjà été dans les films précédents, sans compter que son aspect frise parfois le ridicule. Sa première apparition, pourtant émaillée de plans évoquant le tsunami de 2011, est gâchée par son apparence rappelant les monstres loufoques des pires kaiju eiga des années 1960. Pour peu, avec les ondulations de son corps ainsi que ses yeux démesurés et globuleux, on croirait voir une danse de dragon des cérémonies du Nouvel An chinois. Une fois son processus évolutif entamé, il affiche certes un air plus féroce, mais sa rigidité lui enlève toute vitalité et personnalité. Le monstre est ainsi à l’image de tous les protagonistes : fade et dépourvu de vie. Mais là où le bât blesse, c’est dans le climax risible (la façon dont on neutralise le monstre en laissera plus d’un pantois…) qui ne parvient guère à tirer le spectateur de sa torpeur. Mais faut-il s’en étonner dans la mesure où le récit dans son entier peine à poser les échelons d’une véritable montée dramatique ? Rompant avec la tradition de la suitmation (un homme dans un costume de monstre) en privilégiant l’usage de l’animation numérique, le film comporte toutefois son lot de scènes apocalyptiques impressionnantes.

Bref, le public occidental risque de se montrer réfractaire à ce retour tant attendu pour relancer la franchise au Japon. Toutefois, il ne faudrait pas pour autant en conclure que cette réserve s’explique nécessairement par un manque de repères sociohistoriques pour un public non-japonais. Godzilla ne sera jamais un personnage hermétique, car il s’est toujours défini en tant que métaphore accusatrice de la prolifération nucléaire et comme une force de la nature. Même si Shin Godzilla ne déroge pas à cette symbolique, il lui manque un aspect essentiel et universel : le défi que pose la venue de la créature, à l’image de tout cataclysme, ne doit pas seulement être relevé par la classe dirigeante mais bien par tous les hommes.

 

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Shin Godzilla

Séquences_Web

Origine : Japon – Année : 2016 – Réal. : Hideaki Anno, Shinji Higuchi
Durée : 2 h – V.o. : japonais, multilingue ; s.-t.a. | Titre original : Shin Gojira

Prochaines représentations : mercredi 19 et lundi 24 octobre 2016 / 19 h. Info. : Cineplex.

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