En couverture

The Dybbuk

18 août 2015

L’AMOUR EN VERS ET CONTRE TOUS

Élie Castiel
THÉÂTRE
★★★★

Shloyme Zanvl Rappoport, plus connu sous le pseudonyme de Sh. Anski, de sa naissance à sa mort, entre une fin de XIXe siècle étourdissante et un début de XXe centré sur les innovations, et dans la littérature juive européenne, sur un yiddish triomphant, une façon de vivre, une culture qui s’éclate au grand jour et produit des perles rares de beauté.

Pour Anski, après une enfance juive traditionnelle, un pas vers la réalité sociale russe de son époque, des filiations de gauche et pour son jeu avec l’écriture, un questionnement divin par le biais de la mystique, de la croyance en l’au-delà, envers ces fantômes venus de la mort pour éterniser l’amour et la passion.

The Dybbuk (Shaune Bonaduce)

Shaune Bonaduce (PHOTO : © Andrée Lanthier)

Plus proche de la tragédie d’Orphée et d’Euridyce de la pensée grecque que du Shakespeare de Roméo et Juliette, l’incontournable The Dybbuk étonne par la simplicité du récit et la complexité de ce qu’il a à offrir comme réflexion sur l’existence, sur la religion et surtout sur la pensée juive, du moins en ce qui a trait à la culture ashkénaze.

Croire ou ne pas croire, se questionner ou encore s’y abstenir, se confondre aux communs des mortels ou accéder à une sorte de spiritualité à la fois déique et terrestre. Comment combiner les deux ?

C’est ce qui ressort de la magistrale mise en scène du duo Bryna Wasserman/Rachelle Glait, totalement investies dans un projet dont le mysticisme se perd dans la nuit des temps. Car le temps que dure The Dybbuk, le spectateur plonge dans un univers expressionniste que la scénographie de John C. Dinning transforme en hommage respectueux au Fritz Lang de M. et autres créateurs-penseurs de l’époque.

TH_The Dybbuk (Ben Gonshor et Shauna Bonaduce)

Shaune Bonaduce et Ben Gonshor (PHOTO : © Andrée Lanthier)

Car ce qui étonne dans cette adroite version-Segal d’une belle histoire d’amour, c’est le minimalisme employé, la distanciation avec les personnages-clé (une Laya envoûtante menée à cœur battant par Shauna Bonaduce, magnifique dans sa parrure blanche, et Khonen, un Ben Gonshor, tout de noir vêtu, qui, tout en quittant la scène trop tôt, ne cesse de nous hanter pendant le spectacle).

Stratégie de mise en scène, stratégie de direction des comédiens, charisme des personnages. Tout est là pour laisser les spectacteurs ébahis par ces histoires anciennes de revenants qui, dans le monde d’aujourd’hui, sont remplacés par des anges de mauvaise augure, terriens ceux-là.

Œuvre à message, comme il devrait en exister plus ; pièce travaillée et écrite avec une pensée respectueuse envers le lecteur ou le spectateur, The Dybbuk est sans doute le spectacle plus intéressant de la saison 2014-2015 au Centre Segal.

La judaïcité n’est pas un concept conflit israéo-palestinien, comme on se complaît à l’externaliser aujourd’hui, mais une pensée sur la dynamique intrinsèque d’une entité culturelle, entre la religieux et le mystique, entre l’égocentrique et la partagé, entre l’amour interdit et celui imposé.

Bryna Wasserman et Rachelle Glait imposent leurs idées, ne reculent devant rien pour combler des lacunes avec des concepts stratégiques bien encadrés (comme ces références analogiques à notre vécu contemporain). Écrit théâtral d’une autre époque, maintes fois revus et corrigés, mais qui suggère ici une approche contemporaine, non pas par le concret, par ce que l’on voit sur scène, mais encore plus intéressant, par l’intellect, faculté de moins en moins utilisé de nos jours. Avec The Dybbuk, Wasserman et Glait osent confronter le spectateur en lui imposant une réflexion participative tout le long que dure le spectacle. Jamais religion des premiers temps et organisée ne fut aussi fortement interrogée que par cette pièce à la fois horizontalement linéaire et circulaire dans son début et sa fin. The Dybbuk aurait dû être présenté durant la saison théâtrale régulière et non pas en plein été alors que la majorité des spectateurs potentiels déferlent hors-Montréal.

Laya (Shauna Bonaduce) — Accéder à l'amour par l'au-delà (PHOTO :  Andrée Lanthier)

Laya (Shauna Bonaduce) — Accéder à l’amour par l’au-delà (PHOTO : © Andrée Lanthier)

Et comment ne pas souligner la caractère guttural du yiddish qui nous dépayse mais dans le même temps nous surprend agréablement tant chaque mot, chaque syllabe nous emporte dans un au-delà aussi terrestre qu’aérien. Et la musique de Josh Dolgin (aka SoCalled), dont les airs contemporains se marient aux tonalités ancestrales, certainement balkaniques, rappelant sans cesse celles utilisées par Eleni Karaindrou et ses multiples collaborations avec le regretté cinéaste Theo Angelopoulos. Une sorte de clin d’œi tendre et chaleureux à la diversité musicale.

revuesequences.org
Auteur
 : Sh. Anski – Adaptation : Myriam Hoffman– Mise en scène : Bryna Wasserman, Rachelle Glait – Scénographie : John C. Dinning – Éclairages  : Renaud Pettigrew – Musique : Josh (Socalled) Dolgin – Costumes : Louise Bourret – Chor. : Jim White – Son : Jesse Ash – Comédiens  : Yariv Barsheshat, Mark Bassel, Pinchas Blitt, Shauna Bonaduce, Stephen Booth, Raizel Candib, Maxime Carignan, Cynthia Fish, Paula Wolfman Frank, Aron Gonshor, Ben Gonshor, James Gutman, Betty Kis Marer, Jesse Krolk, Edit Kuper, Bryan Libero, Burney Lieberman, Sam Stein, Stanley Unger| Durée : 1 h 45 approx. (incluant entracte)  – Représentations : Jusqu’au 27 août 2015 – Centr
e Segal.

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel). ★★★★ (Très Bon). ★★★ (Bon). ★★ (Moyen). (Mauvais). ½ [ Entre-deux-cotes ]

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