En salle

Jeune et jolie

5 juin 2014

LE FILM DE LA SEMAINE

PRIX TVE OTRA MIRADA (François Ozon)
Festival du film de San Sebastían 2013

En quelques mots

Texte : Aliénor Ballangé
Cote : ★★★★

Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs1. Voie de déviation au réel, le cinéma dessine une page blanche sur laquelle on projette ses fantasmes. Avec Jeune et jolie, et en écho à Dans la maison, François Ozon poursuit son exploration génétique du fantasme, de la naissance du désir à son accomplissement dans le passage à l’acte.

Dans le premier cas, un lycéen profite d’un exercice littéraire et scolaire pour détourner la réalité : il s’extrait de son monde réel d’enfant d’ouvrier pour pénétrer un espace clos (« dans la maison ») et autonome, où il construit de toutes pièces une fable aux contours flous. Là où Ozon radicalise sa démarche, c’est que Claude, contrairement au spectateur, ne se contente pas de fantasmer sur ce monde qui s’accorde à ses désirs : Claude l’actualise, au sein même de la réalité. Et c’est précisément ce pouvoir proprement cinématographique consistant à montrer le passage à l’acte que nous donne à voir Ozon.

La démarche est similaire dans Jeune et jolie. Une adolescente, dont le désir sexuel se révèle être avant tout le catalyseur épiphanique vers l’(auto)fiction, décide de se prostituer pour vivre l’extrémité de ses fantasmes. En vraie héroïne ozonienne, Isabelle, ou plutôt en l’occurrence Léa, ne peut se satisfaire d’imaginer, comme tant d’autres adolescents, des fictions sexuelles destinées à demeurer des fantasmes; elle doit passer à l’acte. C’est seulement en allant au bout de ses désirs, en les vivant effectivement, dans sa chair et non plus uniquement dans son esprit, qu’elle devient capable de s’extraire de son moi social (l’enfant de ses parents, l’adolescente de la société, la jeune et jolie bourgeoise) pour se regarder et se faire son propre cinéma, ce fameux monde qui épouse ses désirs de désir.

1 Jean-Luc Godard (citant Hervé Bazin), Le Mépris, 1963. Sous une forme légèrement différente, voir Michel Mourlet dans un article intitulé « Sur un art ignoré », publié dans le n° 98 des Cahiers du cinéma.

Texte complet : Séquences (nº 288, p. 46-47)

Sortie : Vendredi 6 juin 2014
V.o. : français
S.-t.a. – Young and Beautiful

[ DRAME PSYCHOLOGIQUE ]
Origine : France – Année : 2013 – Durée : 1 h 33 – Réal. : François Ozon – Int. : Marine Vacth, Laurent Dalbecque, Johan Leysen, Géraldine Pailhas, Frédéric Pierrot, Charlotte Rampling – Dist. / Contact : Métropole | Horaires / Versions / Classement : Beaubien Cineplex – Excentris

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Moyen) (Mauvais) 1/2 (Entre-deux-cotes) – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.

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