En salle

Que ta joie demeure

3 avril 2014

En quelques mots

Texte : Anne-Christine Loranger
Cote : ★★★

L’étymologie du mot formidable nous apprend qu’il est dérivé du latin formido signifiant « qui est de nature à susciter une très grande crainte ». Force est d’admettre qu’il y a quelque chose de formidable à observer, tel que Denis Côté nous pousse à le faire, des machines en pleine action dans leur vacarme naturel. La crainte, couverte de cambouis, transforme la machine en objet de désir et le spectateur en pornographe d’usine. Filmée dans son intimité, la machine se découvre, se déhanche, se dévoile, se met à poil. Alternant plans fixes et zooms alanguis, la caméra de Jessica Lee Gagné fait ici œuvre d’érotisme.

L’impression d’intimité, à la limite du voyeurisme, ne regarde pas que les machines. Dans une première scène troublante, Que ta joie demeure nous montre en plan serré une jeune femme en bleu de travail qui, regardant derrière son épaule, s’adresse à un nouveau travailleur. Nous ne verrons jamais ce travailleur; nous ne verrons qu’elle, son profil tandis qu’elle pose ses limites au boulot, son regard coulé en œillade alors qu’elle explique qu’il « faudra qu’on se fasse confiance » parce qu’en bout de ligne, elle n’est « pas une machine ». On pourrait presque s’imaginer une travailleuse du sexe avec un jeune client. Les nombreux plans fixes d’ouvriers – surtout ceux montrant des femmes dans une buanderie d’hôpital – gagnent, grâce à cette première scène, une qualité intime et touchante malgré la laideur des lieux.

L’une des forces de Denis Côté est de confronter des univers parallèles tout en les restituant. Ici, l’environnement essentiellement rébarbatif et bruyant des manufactures se peuple petit à petit de visages immobiles, de pauses cigarettes, de portes ouvertes sur la nature et d’échanges parfois surréalistes entre acteurs et travailleurs. L’être humain envahit lentement l’espace, jusqu’à dépasser la machine et même la sublimer dans une scène finale aussi réjouissante qu’inattendue.

Sortie : Vendredi 4 avril 2014
V.o. : Français

ESSAI DOCUMENTAIRE
Origine :
Canada [Québec] – Année : 2014 – Durée : 1 h 10 – Réal. : Denis Côté – Avec : Guillaume Tremblaym, Emilie Sigouin, Hamidou Savadogo, Olivier Aubin, Cassandre Emmanuel – Dist. / Contact : EyeSteelFilm| Horaires / Versions / Classement : Excentris

Mise aux points
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Remarquable. ★★★ Très bon. ★★ Bon. Moyen. Mauvais. ☆☆ Nul. ½ (Entre-cotes) — LES COTES REFLÈTENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.

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