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As is (Tel quel)

13 mars 2014

SAINE ITINÉRANCE

Élie Castiel
CRITIQUE
★★★
½

Comme c’est le cas dans la plupart des théâtres indépendants, la scène du Théâtre d’aujourd’hui a ceci de particulier qu’elle peut être transformée selon la nature de la pièce présentée. C’est le cas de As is (Tel quel) , texte et mise en scène de Simon Boudreault. Créée à partir de souvenirs vécus lorsqu’il avait 18 ans, la pièce se situe dans un centre de triage de cossins de l’Armée du Salut. Son alter ego, Saturnin, étudiant en musique et en philosophie, va se confronter à une galerie de personnages , bien sûr moins éduqués, mais des humains avec leurs faiblesses et leurs qualités.

Pour les besoins de la transposition, Richard Lacroix présente une scène où une montagne accumulant dans le désordre le plus total toutes sortes d’objets s’impose comme si rien n’était devant les spectateurs, totalement ébahis, si l’on en juge par le soir de la première. Entre ces derniers et les protagonistes de cette comédie douce-amère, un dialogue rocailleux avec les classes sociales dans le milieu ouvrier, un discours sur la trahison, la jalousie, l’envie, mais aussi sur valeurs démodées du partage. Pour incarner ces personnages, tous, sans exception, remarquables, sept comédiens totalement investis dans des rôles de composition qui leur offrent la possibilité d’étaler leur savoir-faire. D’un naturel désarmant, il vivent l’espace scénique comme s’il s’agissait d’une seconde nature.

Pour eux, les spectateurs ne sont que les témoins d’une situation sociale dont on parle peu : quel que soit l’espace ambiant dans lequel on vit, celui-ci se conforme le plus souvent à des règles sociales bien établies depuis des lustres : hiérarchie, soumission, rébellion, prise de conscience, remise en question, questionnement sur le système, estime de soi.

Il y a Saturnin, le philosophe venu du monde intellectuel que constitue l’université et qui osera changer les choses ; et puis Diane, une ex-junkie-prostituée qui tente de refaire, parfois maladroitement, sa vie ; et celui qu’on appelle Pénis, qui cherche à améliorer son existence ; ensuite Johanne, enceinte de son quatrième enfant, le plus souvent perdue ; et Suzanne, trieuse depuis près de quarante ans, qui a fini par accepter les choses tout en souhaitant parvenir à un meilleur poste.  Sans oublier Tony, le patron, ex-danseur au 281, mais qui n’a plus la forme pour continuer et manifeste son pouvoir de p’tit boss avec une virilité hormonale assumée.

Le texte de Boudreault est incisif, sans compromis, usant les mots avec une totale liberté, intransigeants, intentionnellement vulgaires, comme c’est le cas dans ce milieu. Ça ressemble à du Michel Tremblay, mais encore plus terre-à-terre, presque litigieux. Quelle que soient nos prises de position, ces mots se reçoivent comme des coups de poings en pleine face. Et tant mieux, parce qu’ils visent à secouer notre confort quotidien. Pour aider, il faut aller au-delà des bonnes intentions. Il faut, à l’instar de Saturnin, davantage participer, semble dire un Simon Boudreault éclairé, farouchement citoyen et dramaturge à haute tension.

COMÉDIE (DOUCE-AMÈRE) | Auteur : Simon Boudreault – Mise en scène : Simon Boudreault – Scénographie : Richard Lacroix – Éclairages : Frédéric Martin – Arrangements musicaux : Michel F. Côté, en collaboration avec Claude Fradette et Philippe Lauzier. – Costumes : Suzanne Harel – Interprétation : Jean-François Provonost (Saturnin), Denis Bernard (Tony), Geneviève Alarie (Diane), Félix Beaulieu-Duchesneau (Richard), Patrice Bélanger (Pénis), Marie Michaud (Suzanne), Catherine Ruel (Johanne) | Durée : 2 h 05 (sans entracte)  – Représentations : Jusqu’au 5 avril 2014 – Théâtre d’Aujourd’hui (Grande Salle)

COTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Remarquable. ★★★ Très bon. ★★ Bon. Moyen. Mauvais. ☆☆ Nul. ½ (Entre-cotes) — LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.

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