23 novembre 2017
Dès les premiers instants, Martin McDonagh installe une atmosphère qui nous rappelle les frères Cohen, dont le réalisateur de In Bruges se débarrasse cependant assez vite et fort adroitement. En alliant cinéma de genre et critique sociale, McDonagh parvient à mettre sur pieds un polar percutant et original, qui, même s’il est moins déjanté que Seven Psychopaths, déploie quand même une bonne dose d’humour pince-sans-rire. Toutefois, au détour d’un scénario riche en rebondissements, on relève une étude beaucoup plus sombre de l’état dans lequel se retrouve l’Amérique d’aujourd’hui. Les rapports humains sont marqués de problèmes intergénérationnels, les élites locales sont corrompues, et le racisme ordinaire se teinte encore de cette Amérique qui n’en finit plus de trimballer ses démons. Des sujets déjà vus, bien sûr, mais que McDonagh sait utiliser avec dextérité.
Dans un rôle taillé à sa mesure, Frances McDormand excelle. Fragile et forte à la fois, elle offre un portrait de femme en colère, réclamant à corps et à cris que justice soit enfin faite. Et que dire de la prestation de Sam Rockwell dans la peau d’un flic pourri, ingrat et inculte, mais finalement très professionnel. En face d’eux, Woody Harrelson parvient à livrer une performance nuancée, dont on ne mesure jamais vraiment le mystère. On devrait reparler de ces comédiens lorsqu’il sera question des prochains Oscars. Certes, on pourra reprocher à McDonagh d’avoir forcé le trait, et d’avoir arrondi les angles à quelques reprises en enchaînant sans trop de difficultés des développements et coïncidences faciles. Mais c’est peut-être pour mieux laisser éclater ce beau bazar hystérique teinté de vengeance sur le destin. Jusqu’à la toute dernière minute, Three Billboards Outside Ebbing, Missouri se savoure comme un thriller épique qui a beaucoup de chien.
Genre : Comédie dramatique – Origine : États-Unis / Grande-Bretagne – Année : 2017 – Durée : 1 h 56 – Réal. : Martin McDonagh – Dist. : Fox Searchlight.
Horaires/Info.
@ Cineplex
Classement
Interdit aux moins de 13 ans
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
Il faut saluer le courage de Marc-André Thibault de parler de la communauté juive, thème, mis à part quelques rares exceptions, quasi proscris dans le cinéma et le théâtre québécois francophone. S’immiscer dans la vie d’un couple, ce n’est déjà pas facile, et lorsqu’il s’agit d’une union mixte, en l’occurrence un catholique et une juive, les enjeux prennent des allures dramatiquement irréconciliables. Et qu’il s’agit aussi d’une minorité invisible. Pour une fois, bravo !
François-Simon Poirier (au lit), Stéphanie Jolicoeur et Alexis Lemay-Plamondon >> © Hugo B. Lefort
D’une part, on constate le manque d’intérêt de la majorité à ne pas essayer de comprendre l’autre (ici, il s’agit des Juifs, mais il pourrait s’agir de n’importe quelle autre minorité), ses us et coutumes, sa mouvance dans la cité, ses apports à la communauté, sa connaissance de la langue française très souvent non reconnue ; d’autre part, la propension du minoritaire à dramatiser toutes les situations et à se victimiser sans cesse. Comment réagir alors à cette pièce sincère, parfois excessive, créant des scènes où les mots ne sont plus censurés, participant à un dialogue provocant, mais en même temps enrichissant pour les deux parties en cause.
Tous ont tort et raison, semble dire Thibault, intéressé, il est bien évident, à connaître cette réalité juive montréalaise, une toute autre dimension sociale pour le groupe majoritaire. Étrange situation : le père de la mariée est issu de parents rescapés des camps et réfugiés au Maroc, pour ensuite s’établir au Québec. En Afrique du Nord, il a appris, par défaut, la langue française qu’il a léguée à sa fille.
Si la distribution comprend des noms québécois, tous des comédiens hors-pair, on aurait pu puiser dans le bassin de comédiens juifs-francophones, pas nombreux, il faut l’avouer, mais présents, soulignant une fois pour toutes l’accès des minorités au théâtre québécois.
La petite salle du Prospero, intime espace de poche, sert de lieu à un décor aussi vaste que la place réservée aux spectateurs ; à tel point qu’on croit faire partie du spectacle. Tel semble être le parti pris de l’auteur et metteur en scène. Vivre les situations, essayer de les comprendre et, pour le critique, jeter des regards furtifs de temps en temps, pour deviner ce qui se cache derrière la tête des membres de l’assistance.
Jean-François Casabonne >> © Hugo B. Lefort
20 novembre 2017
Hatef Alimardani fait partie de ces réalisateurs iraniens contemporains qui osent s’exiler loin de la capitale téhéranaise pour filmer un « ailleurs », poser un autre regard sur une frange alternative méconnue de ce grand pays de plus de 80 millions d’habitants, un peu même à la manière d’Abbas Kiarostami qui n’a jamais hésité à s’égarer volontairement à travers les villages les plus reculés de l’Iran (par exemple à Koker et au nord du pays).
En effet, l’on retrouve chez Alimardani une certaine influence inconsciente ou non-avouée de la fresque cinématographique kiarostamienne. Ainsi, le film Aba jan a pour toile de fond la ville de Zanjan, située dans le nord-ouest de la capitale iranienne, menant vers la route de la ville de Tabriz et de la Turquie. Nous nous retrouvons rapidement dans le contexte de la violence de la guerre Iran-Irak des années 80 et ses impacts sur ses habitants qui se trouvent à environ 800 km de Bagdad (Irak).
Hatef Alimardani
À cette époque et aujourd’hui encore, la province de Zanjan reste majoritairement rurale et Azérie [1] (langue appartenant au groupe des langues turques de la famille des langues altaïques). D’ailleurs à l’écoute de la bande originale, on y attend la sonorité mélodieuse de l’élégante langue azérie.
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