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Mon héros Oussama

3 avril 2019

CRITIQUE
| théâtre |
Élie Castiel

★★★

PERSONNAGES EN QUÊTE D’AUTEUR

De deux choses l’une, ou on adhère à cette proposition qui n’en est pas une, ou au contraire, on tente de s’immiscer dans la tête de ces cinq personnages en quête d’auteur. Ce qui ne les empêche pas de parler, trop parler, de se disputer pour tout et pour rien, de passer du coq à l’âne comme si de rien n’était, de ne pas hésiter à embrouiller les pistes. Bien entendu, le verbe est présent, trop présent, ne cessant d’envahir l’espace exigu de la salle intime du Prospero, un des hauts lieux de toutes les expérimentations théâtrales.

Oussama, inutile de vous rappeler ce nom. Danger, refuge du mal, précurseur d’un après 11 septembre insoutenable qui a changé la donne politique à jamais et créé une nouvelle phobie, l’islamophobie.

… le verbe est présent, trop présent, ne cessant d’envahir l’espace exigu de la salle intime du Prospero, un des hauts lieux de toutes les expérimentations théâtrales.

Pour Dennis Kelly, l’auteur de Osama the Hero, traduit ici textuellement par Jean-François Rochon, Mon héros Oussama, un cratère d’explosion, une idée sortie d’une féconde imagination qui ne demande qu’à s’exprimer. D’où des paroles tenant de l’absurde, du néant des situations, de perversités morbides entre la nourriture (ou sa préparation) et la torture, entre le désir de la chair et son refus, entre l’Homme et la Femme. Entre la politique et le quotidien.

Nous sommes tous des assassins et tous aussi en danger, semble dire calmement Kelly, ne reculant devant rien pour, justement, enfreindre les codes de la dramaturgie en soulignant à gros traits les enjeux de la provocation. On ne cesse de crier et les comédiens semblent improviser. Ils n’ont guère le choix devant un texte aussi hétéroclite, anti-écriture, anarchique, rebelle.

Crédit photo : © Cannelle Wiechert

Suite

Au gré du vent

30 mars 2019

| COURT MÉTRAGE |

Lucidité passagère

Élie Castiel

Sa page Facebook indique qu’il a étudié à l’UdeM et qu’il travaille chez EJTstudio, sa propre boîte de production. Montréalais d’origine libanaise où il a également étudié le cinéma, il signe, avec Au gré du vent (By the Wind), un court métrage qui confirme un talent de faiseur d’images. Peu de dialogues, dire seulement ce qui est nécessaire, des mots par qui les psychologies se dévoilent « au gré du temps ». Pour qu’on ne retienne que l’essentiel. Un beau travail sur la temporalité.

Le Nord québécois, la neige, le vent, l’air pur hors des grandes villes. Et une maison aux couleurs brunes au bord d’un lac gelé, évidemment de ton blanc-neige. Une femme qui vit là en s’occupant de son fils Marc-André, autiste, déjà jeune adulte. Il ne dit pas un mot, sauf pour dire vers la fin « Maman, es-tu korek? ». Quelques paroles bouleversantes, parce que dites avec toute la sincérité et la tendresse du monde, inconditionnellement. Quelques moments de lucidité, de calme, de symbiose entre la mère et le fils. Avant cela, et dans ses moments de crise, il dérape, sa vision du monde est effacée, l’environnement est néfaste à ses yeux. Plus tard, à l’extérieur, il sourit, déambulant en plein paysage enneigé, en entendant les bruits de la nature sauvage et de l’eau. Deux réalités de sa condition.

Marc-André Casavant > © La Distributrice de Films

Brillant exercice de la part de Tahchi, qui permet à Marc-André Casavant, comédien de théâtre, de se prononcer sur le jeu d’acteur par le biais du mouvement et de l’expression faciale. Il est cinémagénique, pour dire autrement photogénique. La direction photo de Simran Dewan le capte amoureusement, ainsi que Margot Bussières, la mère, prise entre son devoir maternel et une solitude inexplicable, victime du temps qui passe. Cette comédienne est intègre et se donne à ces moments difficiles à contenir. Dans le cas de Casavant, il mériterait une plus grande place dans le milieu, autant au cinéma qu’au théâtre. Dans Fontaine (voir ici), pièce de théâtre plutôt fringe (hors-normes), sa performance dépassait les limites du jeu et nous étions très favorable quant au côté ludique de l’entreprise. D’autant plus qu’elle était présentée dans un bar du centre-ville de Montréal, qui la rendait encore plus expérimentale.

Dans une séquence dans Au gré du vent , Marc-André prend dans sa main un VHS et non pas un DVD ou autre support, sans doute discours du cinéaste sur les images en mouvement et référence à l’âge de la mère dans le film, la soixantaine. Pour le spectateur d’aujourd’hui, un chaleureux regard sur un passé pas si lointain où le nombre des années ne semblait pas se compter et les changements technologiques se voyaient de très loin.

Et une finale prévisible, certes, mais au même temps annonçant un espoir perceptible. Comme si autant Eli Jean Tahchi, Margot Bussières et Marc-André Casavant défiaient le temps pour simplement le retenir, ne serait-ce que pour qu’ils puissent repartir à zéro.

Des moments subtilement douloureux dans ce court métrage, mais atténués par la musique de Martin Ferguson. Le spectateur est là, totalement intégré au récit, comme dans un rêve éveillé, un nuage qui disparaîtra sans qu’il s’en aperçoive. Et une finale prévisible, certes, mais au même temps annonçant un espoir perceptible. Comme si autant Eli Jean Tahchi, Margot Bussières et Marc-André Casavant défiaient le temps pour simplement le retenir, ne serait-ce que pour qu’ils puissent repartir à zéro.

Oui, recommencer par ses propres moyens. En faisant des recherches sur Tahchi, sa maison de production lui permet, en tant qu’artiste né « ailleurs » de s’assurer un avenir dans le milieu. Belle entreprise de sa part qui, par les temps qui courent, devrait inciter les créateurs des diverses diasporas. C’est autant une question d’équité que de survie intellectuelle et, pourquoi pas, personnelle.

FICHE TECHNIQUE

Origine
Québec [ Canada ]

Langue(s)
V.o. : français / s.-t.a.
By the Wind

Année : 2016 – Durée : 15 min.

Réal.
Eli Jean Tahchi

Scén.
Eli Jean Tahchi

Int.
Margot Bussière

Marc-André Casavant

Images
Simran Dewan

Son
Julia Innes

Montage
Eli Jean Tahchi

Dir. art.
Christine Rezk

Cost.
Christine Rezk

Musique
Martin Ferguson

Prod.
Marina Khoury

Dist. @
La Distributrice de Films

Britannicus

CRITIQUE
| SCÈNE |

★★★★

L’ÉTRANGE FACULTÉ DE LA DYSTOPIE

Élie Castiel

Oser prendre des risques quitte à désorienter certains spectateurs peu habitués aux classiques, même si la mise en scène s’applique à moderniser le propos jusqu’à le rendre apparent. Autre défi de taille, aujourd’hui impensable : conserver la langue en vers, comme l’avais écrite Racine. Et comme dans toute tragédie qui se respecte, des amours impossibles, assassines, meurtrières. Regard sur notre présent? Peu importe puisque la mise en scène magistrale de Florent Siaud assure une (in)temporalité soumise aux caprices des Dieux et des Humains.

Evelyne Rompré (Junie) et Éric Robidoux (Britannicus) > Crédit photo : © Yves Renaud

Passé, présent et futurs obscurs se juxtaposent dans un jeu scénique hallucinant, un décor où le mur/rideau sur fond de scène en couleur or se transforme en une sorte de teinte neutre entre le gris et le blanc pâle. Non pas par hasard, mais grâce à un jeu d’éclairages qui explique les états d’âme d’un groupe d’individus pris entre la force du vrai amour et l’envie de posséder. Suite

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