En salle

Nadia, Butterfly

17 septembre 2020

Briser le geste

Jason Béliveau

Passé la gloire et les médailles, les commandites lucratives et les voyages à travers le monde, que peut encore accomplir l’ex-athlète ? Dans la fleur de l’âge, bien que dinosaure aux yeux d’une discipline où les champions peuvent avoir à peine 20 ans, peut-il encore opérer un changement draconien­ de carrière, troquer les haltères et les shakes protéinés pour les livres et les bancs d’école ? Après des années consacrées au même sport, voire au même geste précis répété ad nauseam jusqu’à la parfaite maîtrise, les plus récalcitrants se recycleront en commentateur sportif ou en entraîneur. Les autres tenteront de s’investir ailleurs avec le même brio, et forcément la même compétitivité inculquée, intériorisée. Cette monomanie jadis célébrée, se mesurant au millième de seconde, peut-elle s’accorder au monde « réel », aux platitudes du neuf à cinq et du métro-boulot-dodo, où les plus grands triomphes ne sont plus la montée du podium et l’adulation de tous, mais la petite tape dans le dos de son supérieur immédiat ?

Ces questions tangibles autour de l’abandon d’un univers où l’intensité et la compétitivité sont la norme ne cadrent pas forcément avec le tracé classique du film sportif. Vous savez, ce cliché du challenger (ou de l’équipe) auquel personne ne croit et qui rêve d’être champion, les entraînements intensifs (montage !), les obstacles rencontrés puis surmontés et, finalement, la victoire sous les applaudissements. C’est ce moment, celui où se met à défiler le générique de fin sur une musique inspirante, que Nadia, Butterfly utilise comme point d’amorce.

Les médailles ont été décernées, les hymnes nationaux entonnés, la foule a quitté l’amphithéâtre. Nadia demeure, début vingtaine, imprécise, le regard triste même si elle vient de remporter une médaille de bronze aux Jeux olympiques de Tokyo de 2020. Avant même d’avoir entamé ce dernier relais quatre nages avec ses trois coéquipières, c’était gravé dans le béton : il s’agissait de sa dernière compétition. Ce que personne ne semble réellement comprendre, notamment son entraîneur depuis une dizaine d’années (Pierre-Yves Cardinal). Nadia est talentueuse, mais également caractérielle et boudeuse, et entretient une relation ambiguë avec son sport, au point de considérer tous les nageurs comme des êtres égoïstes qui ne pensent qu’à leur succès. Est-ce pour cette raison qu’elle préfère tout laisser tomber pour aller étudier la médecine ? Nadia a le physique de l’emploi, nul doute, mais pas la volonté ni l’attitude, cette chose intangible que tous les profs d’éducation physique qualifient, à grand renfort de solennité,d’esprit sportif.

Nadia préfère la brasse

Lui-même ancien nageur de compétition, Pascal Plante a dû laisser murir patiemment l’histoire de Nadia, Butterfly, le temps de se bâtir une expérience de metteur en scène et d’assembler un budget conséquent pour rendre crédible cet univers de la nage professionnelle aux codes bien précis. Son premier long métrage, Les faux tatouages, avait doucement préparé le terrain, creusant une veine intime et minimaliste qui persiste, tout en se parant ici d’une abstraction tirant parti d’effets purement cinématographiques, des ralentis sous l’eau aux jeux de lumière impressionnistes, à l’utilisation de la pièce Space Song de Beach House, aux pulsations vaporeuses, évoquant le roulement des vagues, la sensation d’apesanteur et d’abandon sous l’eau. Et il y avait, d’un point de vue purement logistique, ces Jeux olympiques à recréer, l’effervescence et le brouhaha qu’ils présupposent. Rétrospectivement, sachant aujourd’hui qu’ils ont été repoussés d’un an pour cause de COVID-19, leur présence fictionnalisée ajoute à cette sensation de n’être nulle part, sinon dans une sorte d’antichambre existentielle qu’arpente douloureusement Nadia. Couplés à ce tournage nécessaire à Tokyo, les éléments de gestion (les critiques en parlent rarement, mais c’est ici qu’entre en jeu le travail crucial d’une productrice comme Dominique Dussault) démarquent toute l’entreprise de l’usuel drame intimiste à petit budget. Cela dit, malgré une scène de compétition époustouflante en amorce, privilégiant l’emploi de plans séquences et un travail minutieux sur la bande-son (cris de foule, commentaires télévisuels en langues étrangères, etc., le tout signé par Olivier Calvert), malgré l’excitation en crescendo rappelant n’importe quel film hollywoodien, Nadia, Butterfly délaisse rapidement le spectaculaire pour se concentrer sur son personnage éponyme, interprété par la nageuse olympique Katerine Savard (médaille de bronze à Rio en 2016).

Peu verbeux, le film laisse les corps parler, en action bien sûr, mais également dans les moments de repos et d’attente, le physique robuste de Nadia devenant une matière insondable, un bloc réfractaire au regard de la caméra. Car il faut bien l’admettre qu’elle est une jeune femme trouble et complexe, sensible et touchante, soit, mais parfois caractérielle, cherchant noise à ses collègues nageuses, vivant dans une angoisse constante, celle d’abandonner une bonne fois pour toutes ce qui la définit entièrement. Plante laisse alors graduellement son film décanter, se concentrant sur de petits moments significatifs (Nadia qui s’empiffre de bonbons lors de son premier entraînement « postcarrière »). C’est dans sa deuxième moitié que Nadia, Butterfly risque d’égarer son public, refusant la sursignification, illustrant tranquillement une errance dans un Tokyo curieux et impersonnel, lieu propice à l’introspection, à l’image du Lost in Translation de Sofia Coppola. Ce ralentissement conscient et appliqué, bien que contraire aux constructions narratives d’usage, s’accorde parfaitement au processus de deuil en cours, qui mènera lentement Nadia vers l’acceptation et la paix qu’elle recherche. 

Va, vis et reviens

La vie ordinaire. En revenir des temps records et des sacrifices. En 2008, le tandem Anna Boden et Ryan Fleck a réalisé le magnifique et délicat Sugar, au sujet d’un lanceur de baseball d’origine portoricaine, Miguel, gravissant les échelons qui mènent à la Ligue majeure de baseball. Aux deux tiers du film, le jeune homme décide de tout abandonner et de se construire autrement, en tant que travailleur manuel immigrant aux États-Unis, anonyme mais fier, prêt à saisir l’avenir.

À divers moments de Nadia, Butterfly, les deux mascottes officielles des Jeux se révèlent à Nadia, fantômes dignes du cinéma d’Apichatpong Weerasethakul, et la saluent silencieusement, de façon bienveillante, l’air de lui  dire : « Ça va bien aller, la vie continue ». L’après reste toujours à construire, et à considérer les deux premiers films de Plante, l’ambition et la chaleur qui les animent, la justesse de leur regard, soyons convaincus que le meilleur est encore à venir.

Le jeune Ahmed

14 juillet 2020

Intégrer l’intégrisme

Guillaume Potvin

C’est d’un pas rapide et maladroit qu’Ahmed traverse son environnement, comme pour échapper aux regards et s’isoler le plus vite possible. C’est pénible de le regarder : il courbe le dos, garde la tête basse et perd constamment ses lunettes. À 13 ans, il est coincé dans ce moment inconfortable entre l’enfance et l’âge adulte et la vulnérabilité saisissante avec laquelle Idir Ben Addi incarne ce personnage rend son mal de vivre palpable. On éprouve donc facilement de l’empathie lui, mais il est difficile d’en dire autant pour sa rhétorique et ses actions; tous deux sont déterminées par une haine nébuleuse instrumentalisée par un imam prônant le jihad.

Étant témoins du mode de vie d’Ahmed — sa mère monoparentale, ses soeurs « occidentalisées » — on imagine facilement ce qui est si attrayant dans l’islam fondamentaliste. À l’âge où il cherche un sens à sa vie, le rituel offre la possibilité de transcender la banalité des gestes quotidiens, la foi permet d’échapper aux blessures laissées par ses conditions matérielles. Cela nous est montré efficacement grâce à une caméra mobile — bougeant beaucoup trop précisément pour être décrite comme nerveuse — qui nous donne des indices quant à la compréhension du monde qui prend forme chez l’adolescent. Le regard quasi documentaire typique des frères Dardenne accorde autant d’attention aux gestes routiniers d’Ahmed qu’à ses gestes ritualisés et ses gestes clandestins. C’est la fiction, la logique interne du scénario, qui détermine l’intensité dramatique de ceux-ci et, par le fait même, leur attrait ou leur insipidité respective.

Fidèles à eux-mêmes, c’est un humanisme teinté de valeurs judéo-chrétiennes qui guide à nouveau ce 11e scénario de fiction des réalisateurs belges. Force est donc de constater que c’est cette idéologie qui domine leur filmographie, quoique Deux jours, une nuit injectait une bonne dose d’analyse socioéconomique à son chemin de croix symbolique. Bien que cela rend leurs films intéressants, telle une prolongation des préoccupations de Robert Bresson par exemple, cela n’est pas sans ses problèmes. Le caractère arbitraire des valeurs sous-jacentes de leurs films est facilement invisibilisé par le style réaliste dont ils sont devenus maîtres, comme si elles allaient de soi. On pourrait parler de normalisation par l’esthétisme. Les Dardenne proposent un cinéma social, ancré dans des problématiques contemporaines, certes, mais Le jeune Ahmed, peut-être plus que n’importe quel autre de leurs films d’ailleurs, mérite d’être vu avec un regard sceptique. Puisque l’idéologie que critique leur scénario est virtuellement interchangeable avec n’importe quelle forme d’extrémisme haineux (antiféminisme, racisme, nationalisme, etc.), il vaut la peine de considérer les idées reçues que perpétue le film.

Mad Dog & The Butcher – Les derniers vilains

12 décembre 2019

Quand la lutte était vraie

Jason Béliveau

Pour quiconque ayant un intérêt, même marginal, pour la lutte professionnelle, la famille Vachon revêt des allures royales. Maurice, Paul, Vivian et Luna, sur près de 60 ans, ont gravi les échelons de cet univers concurrentiel pour atteindre des sommets rarement égalés. Le cliché veut que le lutteur perde au change : contre son intronisation au temple du spectacle factice (question fondamentale : la lutte est-elle vraie ?), il renonce à sa santé, mentale et physique, et à une vie familiale conventionnelle. Il s’agit là d’un filon riche en drame exploré il y a une dizaine d’années par Darren Aronofsky dans The Wrestler, où un Mickey Rourke boursouflé par les stéroïdes et les abus décide de retourner dans l’arène une dernière fois, ivre des applaudissements de ses fans. Dans un registre plus ludique, le court métrage québécois Bleu tonnerre, de Jean-Marc E. Roy et Philippe David Gagné, illustrait lui aussi les revers de ce métier ingrat et exigeant.

Mad Dog & The Butcher – Les derniers vilains se concentre sur le dernier survivant de la famille Vachon, Paul « The Butcher ». À bientôt 80 ans, Paul survit comme il peut. Après plusieurs cancers et une chirurgie à cœur ouvert, il parcourt l’Amérique avec sa femme, Dee, de convention en convention, se remémorant ses meilleurs souvenirs accompagnés des siens, allant à la rencontre de celles et ceux qu’il a subjugués dans les années 1960 à 1980, souvent en compagnie de son grand frère Maurice « Mad Dog », figure légendaire intronisée au Temple de la renommée de la WWE, plus grande organisation de lutte professionnelle. Une carafe de café noir à portée de main, il pousse sa marchette à travers la foule, le sourire aux lèvres, heureux du chemin qu’il a parcouru.  

Le documentariste de Québec Thomas Rinfret a suivi Vachon et sa femme durant près de cinq ans afin de tourner un film à la hauteur du mythe autoconstruit par le lutteur. Au lieu de s’en tenir au strict minimum, à une formule classique, il accumule les effets, utilise un grand livre d’histoire, « Les derniers vilains », conférant à son film l’aspect d’un conte surréel, narré à la première personne. Ce dernier vilain est aujourd’hui le seul pouvant encore témoigner de l’invraisemblable sur lequel il a fait son beurre et sa gloire. Mais Rinfret réserve aussi de belles minutes à Vivian et à Gertrude « Luna » Vachon, la sœur et la fille adoptive de Paul, lutteuses d’exception, toutes deux décédées dans des circonstances tragiques.

D’ailleurs, le film prend rapidement une tournure élégiaque, au-delà de la force centripète du ring. L’émotion est palpable, notamment lors d’une réunion familiale en Alberta, où Paul rencontre un fils qu’il connaît à peine. Rinfret tient sa caméra à distance, mais ose aller questionner le fils quelque peu amer, pour offrir une autre image de l’homme vieillissant, nous laissant mesurer les revers d’une vie passée à parcourir le monde et à faire la fête. De petites perles sont autrement parsemées çà et là, rendant hommage au caractère narratif de la lutte, laissant Paul raconter sa vie à des inconnus rencontrés au hasard de ses voyages. Il pousse parfois le bouchon, par exemple lorsqu’il annonce sans broncher qu’un combat qu’il a mené contre un charismatique Afro-Américain, alors qu’il incarnait le rôle du méchant Russe Nikolaï Zolotoff, aurait « brisé la ségrégation entre les Noirs et les Blancs dans tout le Texas et dans une bonne partie de l’Amérique aussi. » Et, à l’entendre, gorgé d’enthousiasme, nous raconter ses exploits, une seule envie nous prend, celle de le croire sur parole.

Paul vit ses derniers jours dans une résidence pour personnes âgées qu’il a baptisée « Valhalla », lieu de repos dans la mythologie nordique pour les guerriers morts au combat. « Vieillir, c’est pas pour les peureux », philosophera-t-il. En lutteur ou en père Noël de centre d’achats derrière sa marchette, le désir est le même, celui de divertir, d’émerveiller, de créer un monde où l’impossible est tangible. Thomas Rinfret a signé le portrait fascinant d’un homme plus grand que nature, à l’image du bûcheron légendaire Paul Bunyan, dont les racines seraient apparemment canadiennes-françaises, avec une révérence qui n’exclut jamais la critique. Le résultat tient en haleine comme un match opposant Gilles « The Fish » Poisson et André le Géant au parc Jarry en 1973.

Dolemite Is My Name

14 octobre 2019

Semaine 41
du 11 au 17 octobre2019

RÉSUMÉ SUCCINCT
Rudy Ray Moore, employé d’un magasin de musique de Hollywood le jour, agit comme maître de cérémonie dans une boîte de nuit fréquentée par des membres de la communauté afro-américaine. Inspiré par la verve de vagabonds poètes de son quartier, il se crée un personnage de proxénète flamboyant, qu’il baptise Dolemite. Suite

Fiddler: A Miracle of Miracles

Semaine 41
du 11 au 17 octobre2019

RÉSUMÉ SUCCINCT
À sa sortie en 1964, Fiddler on the Roof fait un tabac à Broadway. Depuis, cette comédie musicale bénéficie d’une popularité internationale. Des créateurs, interprètes et admirateurs de la production discutent de son processus d’écriture, de son succès et de ses répercussions sociales. Suite

Gemini Man

Semaine 41
du 11 au 17 octobre2019

RÉSUMÉ SUCCINCT
Henry Brogan, un assassin d’élite, est soudainement ciblé et poursuivi par un jeune et mystérieux agent qui semble être en mesure de prévoir chacun de ses gestes. Suite

Jexi

Semaine 41
du 11 au 17 octobre 2019

RÉSUMÉ SUCCINCT
Phil est un gars intelligent, drôle et aimable, mais complètement obsédé par son téléphone intelligent. Dès qu’il se lève et jusqu’au moment où il s’endort, son cellulaire régit sa vie. Lorsqu’il est obligé de changer de téléphone, il découvre Jexi, l’assistante personnelle programmée, sa nouvelle amie virtuelle utile et attentionnée…

Primeur
SANS
COMMENTAIRES

FICHE TECHNIQUE
Sortie
Vendredi 11 octobre 2019

Réal.
Jon Lucas
Scott Moore

Genre(s)
Comédie

Origine(s)
États-Unis

Année : 2019 – Durée : 1 h 25

Langue(s)
V.o. : anglais / Version française

Jexi

Dist. @
Les Films Séville

Classement
Interdit aux moins de 13 ans
[ Langage vulgaire ]

En salle(s) @
Cineplex

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