27 avril 2017
Il fut un temps où les films d’anticipation ou de speculative fiction, qui projetaient nos angoisses sur la technologie envahissante dans un futur proche, mettaient en cause des ordinateurs hors de contrôle (The Forbin Project, Demon Seed, 2001: A Space Odyssey), des robots meurtriers (Saturn 3, Terminator) ou des sociétés manipulées ou contrôlées par une oligarchie toute puissante (1984, THX 1138, Logan’s Run). Dans ces films, le héros ou l’héroïne réussissait à détruire la source du danger ou à s’extirper du contrôle exercée sur lui ou elle par les maîtres du pouvoir. Il s’agissait de la victoire de l’individu sur l’envahisseur technologique.
Dans The Circle, la menace ne provient pas uniquement des dirigeants de cette multinationale éponyme superpuissante qui fusionne ensemble Facebook, YouTube, Google et Apple en un gigantesque conglomérat. Après tout, ce que veulent Bailey (Tom Hanks en charmeur véreux) et son complice Stenton (Patton Oswalt), c’est d’augmenter les profits et les tentacules de leur compagnie comme tout bon capitaliste amoral qui se respecte. La menace ici vient de l’intérieur, de l’abdication volontaire par la population mondiale de ses droits à la vie privée, à l’intimité, à la libre pensée individuelle, à la faculté de raisonner par soi-même sans l’intervention insidieuse des émotions et de l’affect instantané monitorés par une technologie omniprésente et omnisciente. Au lieu de servir de chien de garde ou de prise de conscience sur cet abandon pervers, notre héroïne se montre encore bien pire.
Mae Holland (Emma Watson, très concentrée) possède un nom plutôt révélateur : il sonne phonétiquement comme « Me Hollow » (« je suis vide »). En effet, Mae vit modestement avec son père atteint de multi-sclérose (le regretté Bill Paxton dans son dernier rôle) et sa mère trop joviale (la touchante Glenn Headly, qui se fait trop rare à l’écran). Elle travaille pour une compagnie de recouvrement quelconque avant d’être recrutée par le Circle qui lui offre un poste en or. Une fois installée, elle est rapidement avalée par la connexion constante avec tous les autres employés. Elle voit de moins en moins ses parents. Puis, après un incident fâcheux, elle accepte d’être en ligne, en direct, 24 heures sur 24 à la Truman Show. C’est à ce moment que, pour le spectateur attentif, l’angoisse s’installe.
Le réalisateur James Ponsoldt (The Spectacular Now) prend bien le temps de nous expliquer l’envahissement de plus en plus permissif de la compagnie sur la vie privée de Mae, dans de longues scènes de dialogue (elles-mêmes accaparantes) et dans des échanges confus de tweets qui se multiplient à l’écran sans qu’on puisse avoir le temps de les lire, parfois même inscrits à l’envers. D’amples mouvements de steady-cam nous entraînent nulle part. Les employés anonymes du Circle sont beaucoup trop souriants pour être sincères. Pourtant, Mae semble ne pas comprendre ce que le spectateur est subtilement en train de réaliser : toute vie privée, toute forme d’intimité et toute possibilité de penser posément disparaissent sous nos yeux impuissants. Il s’exerce alors une grande frustration dans la naïveté et l’insouciance de Mae. Elle participe à « See Search » (Voir Tout) avant de proposer elle-même « Soul Search », qui est tout sauf une recherce d’âme, car cette technique vise à retrouver n’importe qui n’importe où sur la Terre en moins de dix minutes. C’est Big Brother à l’envers : Nous, le peuple, vous observons !
Même un drame terrible ne parvient pas à sortir Mae de sa torpeur. Elle propose : si tout le monde vote par l’entremise du Circle, c’est la volonté instantanée du peuple qui se manifeste. Erreur : c’est le pathos insidieux qui prend le contrôle et toute décision devient par le fait même irréfléchie. L’abîme dans lequel elle s’enlise troublera le spectateur qui prendra le temps de s’investir dans ce récit. Car The Circle est en fait le remake d’Invasion of the Body Snatchers, l’original réalisé par Don Siegel en 1956. Les spores extraterrestres sont ici remplacées par des caméras-billes qui voient tout et sont acceptées par tous. Ceux et celles qui les rejettent seront aussitôt dénoncées par la majorité tonitruante. Comme à la fin du film de Siegel, les derniers individus libres penseurs se tourneront vers nous et crieront : « You’re next ! You’re NEXT ! »
Genre : Drame – Origine : États-Unis / Émirats Arabes Unis – Année : 2017 – Durée : 1 h 58 – Réal. : James Ponsoldt – Int. : Emma Watson, Tom Hanks, Karen Gillan, John Boyega, Bill Paxton, Patton Oswalt – Dist. : Entract Films.
Horaires
@ Cinémathèque québécoise
Classement
Tout public
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
Genre : Comédie – Origine : Russie – Année : 2017 – Durée : 1 h 50 – Réal. : Anton Fedotov – Int. : Dmitry Nazarov, Dmitry Nagiev, Oleg Tabakov, Anfisa Chermyh, Max Bogetyev, Valeria Fedorovich – Dist. : KinoFilm Corp.
Horaires
@ Cineplex
Classement
Tout public
Genre : Drame de mœurs – Origine : Canada – Année : 2016 – Durée : 1 h 20 – Réal. : Ashley McKenzie – Int. : Andrew Gillies, Bhreagh McNeil, Kyle M. Hamilton, – Dist. : La Distributrice de films.
Horaires
@ Cinémathèque québécoise
Classement
En attente
20 avril 2017
L’amitié entre écrivain et artiste visuel a souvent été fructueuse pour les uns et les autres. Picasso et Neruda, Simenon et Fellini en sont la preuve. Mais le duel d’amitié entre Cézanne et Zola, entre le père de l’art moderne et le chef de file du naturalisme tel que décrit par Danièle Thompson, en nous offrant un portrait déconstruit sous forme de rencontres en pièces détachées de leur temporalité, égare plus qu’il ne fascine.
Si le sujet du film de Thompson est porteur, il pèche par excès de gourmandise. Tout est là, en jolis fatras filmés avec un souci du détail, mais sans réelle inventivité : rencontres, batailles aux Beaux-Arts où les impressionnistes comme Cézanne sont rejetés par l’intelligentsia de l’époque, disputes, réconciliation et re-disputes à propos de femmes (Zola épousera l’une des maîtresse de Cézanne), se succèdent sans que le film ne touche à l’essentiel. Que Zola ait écrit L’oeuvre, un roman inspiré de la personne et de la vie de Cézanne, semble irriter le Cézanne du film tout autant que le spectateur. Le peintre, en réalité, a loué le roman de Zola dans laquelle il lisait la beauté «éternelle et changeante» de la vie. Si ces deux hommes s’admiraient, c’est qu’ils étaient unis par une passion commune pour représenter le réel.
Ils n’auront de cesse, toute leur vie, que faire et refaire les mêmes portraits : la société française dans ses plus infimes détails pour Zola, les natures mortes et les paysages de Provence, particulièrement la montagne Ste-Victoire, pour Cézanne. Privés de cette substantifique moelle, on en reste à une longue série de belles images de la vie française, le monde bourgeois qui célébrera Zola et la vie de bohème recherchée par Cézanne. C’est à la fois trop et trop peu.
Genre : Drame biographique – Origine : France – Année : 2016 – Durée : 1 h 57 – Réal. : Danièle Thompson – Int. : Guillaume Canet, Guillaume Gallienne, Alice Pol, Déborah François, Sabine Azéma, Gérard Meylan – Dist. : Unobstructed View.
Horaires
@ Cinéma Beaubien
Classement
NC
(Non classé – Exempté)
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
Le cinéaste espagnol Nacho Vigalondo signe un film vraiment désarçonnant avec Colossal. Il alterne constamment entre deux ou trois genres en même temps, passant sans crier gare de la comédie de mœurs au film fantastique matiné de monstres « kaiju » à la sauce coréenne pour bifurquer inopinément vers le drame psychologique avec un bref détour vers les western spaghetti de Sergio Leone. Ceux qui ont eu la chance de voir ses films précédents dans le circuit des festivals, Timecrimes et Extraterrestre, savent que Vigalondo adore brouiller les cartes et insérer des éléments fantastiques dans ses récits. Avec Colossal, il parvient à les faire coexister dans le même univers tout en explorant les travers peu reluisants et les lacunes majeures des personnages. Il prend le temps nécessaire pour leur donner forme et consistance avant de faire de même avec les deux monstres qui s’en prennent à Séoul en Corée du Sud.
Le film s’ouvre sur une intrigue banale que l’on a vue des centaines de fois au cinéma et à la télévision américaine. Une jeune femme portant le prénom glorieux de Gloria se retrouve à la rue quand son copain Tim la chasse de son appartement parce qu’elle ne cesse de boire et de gâcher sa vie. Elle retourne dans la maison familiale inhabitée et refait sa vie avec un ami d’enfance, Oscar, qui l’a toujours aimée et qui lui offre un emploi dans son bar. C’est du moins ce qui nous attendrait s’il s’agissait d’un film standard, ce qui est loin d’être le cas. Les retrouvailles prennent une tournure malsaine quand Oscar laisse poindre le côté sombre de sa personnalité en essayant de dominer Gloria. Deux autres loques humaines, l’idiot de service et le junkie du coin, se greffent à cette famille reconstituée complètement disfonctionnelle. Quand Tim se présente, inquiet pour Gloria, l’affaire risque de franchement tourner au vinaigre. Et c’est dans cette déchéance qu’interviennent les monstres… colossaux.
Le premier monstre est apparu il y a 25 ans à Séoul et voilà qu’il sème à nouveau la terreur. Il ressemble à un croisement entre Godzilla et Gorgo (allez, un effort de mémoire!) et il mime exactement les mouvements de Gloria de l’autre côté de la Terre en Amérique, à précisément 8 h 05 le matin, dans le parc des enfants de l’école. Puis, un robot géant, une sorte de « Jaeger » comme dans Pacific Rim, sème à son tour la panique aux côtés de l’autre et il semble bien qu’Oscar en soit l’avatar (tant qu’à y être…). Pourquoi 8 h 05 le matin? Pourquoi dans ce parc? Pourquoi eux? Voilà qui relie directement le passé d’Oscar et de Gloria à un traumatisme commun dont les monstres seraient la manifestation. Jung se mélange à Freud dans ce symbolisme psychique. C’est à ce moment que le drame psychologique à la Shining intervient. Oscar devient carrément effrayant et il revient au talent de Jason Sudeikis de nous faire croire au changement progressif de son comportement. Tout un tour de force que de réussir à nous surprendre à chaque nouvelle bifurcation que prend ce personnage déçu de la vie et envieux de Gloria. Grâce à son charisme attendrissant. Anne Hataway parvient à engager notre sympathie pour cette femme déglinguée qui semble totalement dépourvue de volonté, mais qui réussit peu à peu à s’affirmer jusqu’à une entourloupe finale qui la rachète complètement.
Nacho Vigalondo adopte pour ces scènes du quotidien un style visuel très sobre, tout en retenu, les conversation étant filmées en champ/contrechamp presque comme dans un sitcom. Tout un contraste avec la démesure des scènes à Séoul avec les monstres gigantesques, les édifices qui s’écrasent et la foule qui hurle en essayant de leur échapper. Sauf que lors de l’affrontement crucial entre Oscar et Gloria, le cinéaste se met soudainement à les cadrer comme s’ils étaient eux-même devenus des monstres : échange de regards sur le divan à la Leone, contre-plongée en grand angle, ralenti, une bibliothèque qui s’apparente à un immeuble s’écroulant sur le monstre Oscar. Il s’agit vraiment d’une scène magistrale, qui nous prépare pour une finale désarmante, prenante et… monstrueuse.
Genre : Drame fantastique – Origine : Espagne / Canada – Année : 2016 – Durée : 1 h 49 – Réal. : Nacho Vigalondo – Int. : Anne Hathaway, Jason Sudeikis, Dan Stevens, Tim Blake Nelson, Austin Stowell, Agam Darshi – Dist. : Métropole Films.
Horaires
@ Cineplex
Classement
Tout public
(Déconseillé aux jeunes enfants)
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
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