Entrevues

Mona Achache

15 mai 2015

« Le regard sur la liberté de la femme n’est pas du tout le même que sur celle d’un homme … »

Propos recueillis par Sami Gnaba

À l’occasion du dernier festival Paris Cinéma, nous avons longuement discuté avec Mona Achache, coscénariste et réalisatrice de la comédie Les Gazelles. Contre-champ français et féminin à ce qui se fait de mieux dans la comédie américaine d’aujourd’hui (la série Girls, le cinéma de Judd Apatow notamment), ce second long-métrage déroule avec humour les amitiés, les névroses, les solitudes et les tribulations sentimentales d’un groupe de femmes trentenaires célibataires….Rencontre.

Mona Achache

Mona Achache

Quel était le point de départ pour Les Gazelles ?
Il est assez particulier. À la base, c’était un spectacle de Camille (Chamoux) sur le célibat qui s’appelait Camille attaque. C’était vraiment une histoire liée à Camille, à ce qu’elle faisait dans son spectacle. Même si à l’arrivée, le film n’a strictement rien à voir avec le spectacle…Quand je l’ai rencontrée, elle avait déjà commencé à développer l’idée d’un long métrage. Elle s’était mise à chercher quelqu’un pour l’écrire avec elle et le réaliser.

Quelle part autobiographique on pourrait attribuer au film ?
On a évidemment mis beaucoup de nous. Même si on n’a pas connu ces ennuis de couples avec un homme qu’on a quitté du jour au lendemain… notre idée de départ c’était de s’interroger sur comment en tant que femmes on fait, à un moment donné, pour replacer le désir au centre de notre vie. Comment on se réapproprie notre vie, en décidant de s’affranchir des codes que nous impose la société : « un couple, un mari, une famille »… On avait vraiment envie de faire un film qui puisse en partie rire de nos propres névroses, errances et de tout ce dont à quoi on se trouve confrontées aujourd’hui en expérimentant notre rapport à la liberté.

Peut-on parler d’un film sur la crise de la trentaine ?
Oui, il y a un peu de ça. J’en parlais avec le chef opérateur du film qui a 64 ans. Il me disait qu’on se pose les mêmes questions toute la vie. On y apporte simplement des réponses différentes à chaque âge…Ce que vivent les filles dans ce film n’est pas tant une crise que l’héritage du féminisme. C’est à dire que le féminisme nous a permis d’obtenir aujourd’hui des libertés qu’on n’avait pas avant, d’expérimenter avec des choses que les générations passées n’avaient pas de le droit de vivre. Cela engendre bien évidemment des crises, des errances, des douleurs, des questions (par rapport au couple, aux enfants..) qui n’auraient pas pu avoir lieu il y a quelques décennies.

La liberté que se permet Camille dans sa vie et ses relations est mal vue, ou du moins incomprise, par sa propre mère. Chacune d’elles voit une toute autre réalité à la vie en couple.
Oui. C’est encore le poids des conventions…Aujourd’hui, en France, on peut enfin commencer à parler de liberté des femmes qui est quasi égale à celle des hommes. Mais il reste un truc majeur qui reste très différent entre les deux et qu’on a vu quand on montrait le film : le regard sur la liberté de la femme n’est pas du tout le même que sur celle d’un homme. Un homme qui fait des expériences sexuelles, qui boit, qui vit, fait, ce que font ces femmes, serait plutôt vu comme un homme drôle, charmant. Par contre, une femme qui assume sa liberté en faisant les mêmes choses est quant à elle perçue comme une pute. Le regard de la société reste encore ultra conservateur. En France, avec tous les débats qu’on a, sur le mariage homosexuel par exemple, on a l’impression qu’il y a comme un retour en arrière qui est en train de se faire… Malgré son passé de féministe, la mère de Camille dans le film est encore dans cette vision où l’épanouissement de la femme ne peut pas passer autrement que par son couple…Cette vision est partagée mondialement. Il n’y a pas une comédie romantique ou film plus léger comme Les Gazelles où à l’arrivée une femme ne termine pas en couple avec un homme. Le film refuse de se conformer à cette vision. Pour cette raison, parce que Camille termine seule, beaucoup voient la fin des Gazelles comme une fin sordide. Imaginer l’itinéraire d’une femme solitaire qui s’affranchit, qui s’émancipe indépendamment de la présence d’un homme, est quelque chose qui perturbe beaucoup de gens.

Il y a eu un débat un jour, après la présentation du film, durant lequel quelqu’un s’est indigné en demandant ce qu’en penseraient les féministes. La personne nous accusait de donner une image dégradante de la femme « c’est terrible…qu’est-ce que vous avez fait de votre liberté ? ». Il reprochait aux personnages d’avoir fait de leur liberté quelque chose de dégradant pour elles. Parce qu’elles expérimentent sexuellement et qu’elles boivent. On dirait que quand une femme expérimente sa liberté de manière aussi assumée ça dérange…Qu’est-ce que le principe de liberté sinon de pouvoir expérimenter les possibilités comme on l’entend ? Si une femme a envie de baiser et de boire, elle baise et elle boit. Ça ne nuit à personne. Simplement que ça sort d’un schéma conventionnel dans lequel énormément de personnes ont envie d’enfermer les femmes….En faisant ce film, je ne m’attendais pas aux réactions et aux débats qu’il a suscités à sa sortie. Du coup, j’ai envie de prendre ce problème-là de manière frontale dans le film suivant.

Les Gazelles

Les Gazelles

Pourtant quand on connait le succès de Girls à la télévision, de telles réactions peuvent étonner.
Le portrait dans Les Gazelles est très réaliste. Les personnages pourraient potentiellement être des amies, des femmes, proches de nous. Il y a un truc dérangeant là-dedans…Quand un français regarde Girls ou une série comme Sex in the City il y a une distance, en raison des personnages et de leurs origines américaines. Je pense qu’on a plus de facilité à accepter les choses quand ça nous semble loin.

L’autre différence majeure avec une série comme Sex in the City, c’est que les personnages sont définis par leur poursuite de l’homme idéal et l’accomplissement par le mariage. Alors que votre film prend la voie opposée.
Exactement. C’est comme dans le film Bridesmaids. L’accomplissement de la femme ne passe que par son éventuel mariage. Pendant une heure et demie, on rigole de ces femmes qui sont complétement perdues et qui fort heureusement trouvent leur chemin à la fin quand elles rencontrent un homme…En même temps, je ne voulais pas que Les Gazelles devienne une espèce d’étendard militant pour le célibat. Ce n’est pas ça du tout. Pour moi, la fin est lumineuse. Dans le sens où on comprend que cette fille, après avoir traversé tout ce qu’elle a vécu dans le film, se retrouve enfin prête à être heureuse. Qu’elle soit avec un homme, une femme ou seule. N’importe comment. Du moment qu’elle a appris à mieux se connaître, et à savoir ce qu’elle veut et ne veut plus. Elle est affranchie, à la fois du regard de la société et du schéma dans lequel elle s’était enfermée − ce couple qui s’est avéré assez dysfonctionnel.

La série de Lena Dunham (Girls), c’était une référence pour vous ?
J’étais clairement influencée par son sens de l’autodérision, sa manière très désinhibée de raconter les choses. Je la trouve assez étonnante….J’aime énormément son personnage dans la série. Je le trouve plus réaliste, complexe et ambivalent que les autres.

Vos deux projets trouvent un certain écho entre eux, de par la manière que vous représentez par exemple l’amitié féminine entre vos personnages, leur besoin d’expériences, leurs incertitudes.
Même si ce sont deux univers différents, je pense que la matière autour de laquelle on a envie de rire et de réfléchir est assez similaire. C’est nous-mêmes : notre vécu, nos expériences de femmes.

La télésérie Girls

La télésérie Girls

Est-ce que c’est facile dans ce genre de film de mettre sur pied d’égalité tous les personnages ?
L’important pour nous c’était surtout que chacune ait un itinéraire construit, propre à elle. Que chacune au travers de ses expériences apporte un autre regard sur la vie, leur solitude, leur rapport à l’amour et au célibat.

Est-ce que le cinéma de Judd Apatow vous intéresse ? À travers Les Gazelles, vous proposez ce qu’on pourrait qualifier de contre-champ féminin à ses films, partageant avec son cinéma le même goût pour l’humour plus crû, mais aussi une manière assez similaire de dépeindre l’intimité, les relations amicales et sentimentales d’un groupe de personnages.
Oui. C’est effectivement le pendant masculin de ce qu’on a cherché à faire avec Les Gazelles. J’admire chez lui sa capacité à faire rire à partir de choses profondes. Ces films, du moins ceux que j’ai vus, ne sont pas de simples actes comiques gratuits. Il y a en eux une humanité, une réelle profondeur et une vraie réflexion sur notre monde.

Malgré ces références américaines, Les Gazelles refuse d’être emporté par une espèce d’américanisation. Par exemple, les personnages de votre film ne sont jamais définis par leur statut professionnel, comme on le voit dans de nombreuses comédies américaines. Leur travail ne détermine jamais leur trajectoire dans votre film.
Oui. Ce qui m’intéressait avant tout, c’est ce qui arrive dans la vie de ces femmes quand elles rentrent du travail… Après, il y avait une idée derrière le centre Pôle emploi, où Camille travaille. Ce lieu permettait la métaphore de l’offre et de la demande : finalement on est dans une recherche de l’amour comme on est dans une recherche du travail…. Je savais pertinemment quel métier faisait chaque personnage, mais ce n’était pas mon sujet. Par contre, j’avais envie d’être dans quelque chose de très vraisemblable pour ce qui est des décors et du milieu social. C’est souvent ce qui est négligé dans les comédies. Souvent pour faire rire, on ancre les personnages dans des univers qui ne leur correspondent pas, très édulcorés. Ils ont par exemple des appartements trois fois la taille qu’ils devraient avoir. Et je ne voulais pas de ça. Je voulais que les décors soient cohérents avec le milieu social dans lesquels évoluaient les personnages.

[ Voir critique du film ici. ]

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