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Souterrain

4 juin 2021

On pioche pic pac pic pac dans la mine, le jour entier

Maxime Labrecque

Avec Souterrain, Sophie Dupuis confirme qu’elle fait partie d’une vague de cinéastes qui incarne un renouveau cinématographique. Avec quatre courts métrages et un premier long remarqué, Chien de garde, la réalisatrice possède déjà une feuille de route enviable. Apportant fraîcheur et vision au cinéma québécois en le sortant d’une certaine morosité et d’un repli identitaire, son plus récent film n’est pas pour autant un hymne à la candeur. Pour son second long métrage, Sophie Dupuis délaisse le Verdun de Chien de garde pour explorer l’arrière-pays, cette Abitibi-Témiscamingue que bien des Québécois n’ont encore jamais explorée, lui préférant Fort Lauderdale. C’est donc tout un pan de notre territoire, tout un volet de cet exotisme québécois qui demeure insoupçonné. Avec habileté, la réalisatrice parvient dès les premières images à immerger les spectateurs dans un monde peu connu et fascinant ; un monde qui est pourtant le nôtre. Le film devait ouvrir la 49e édition du Festival du nouveau cinéma, mais en raison des grands vents et de la pluie, la soirée au ciné-parc à l’aéroport Trudeau a dû être annulée le jour même, après moult péripéties en raison de la 2e vague de COVID-19 qui entraîne une fois de plus dans son sillage le monde des arts.

Qu’à cela ne tienne ! Le film, de par sa fougue, trouvera bien son chemin autrement. Il s’agit d’une rare incursion dans l’univers minier québécois, ce monde souterrain et silencieux où prévaut un code de vie très strict. L’imaginaire minier, dans la littérature française, demeure quelque peu prisonnier du legs de Germinal, roman naturaliste d’Émile Zola. L’adaptation qu’en a faite Claude Berri en 1993 – et, surtout, l’annonce par France Télévisions en octobre 2020 d’une série basée sur le roman – témoigne d’un intérêt renouvelé pour cet univers. Avec Souterrain, la réalisatrice fait le choix conscient de dépeindre de la manière la plus réaliste possible cet univers au sein duquel elle a grandi. Bien que son père soit mineur et sa mère infirmière dans les mines, Sophie Dupuis a tout de même dû apprivoiser cet univers. Plus le film avance, plus le climat anxiogène contamine le spectateur, comme cela était également le cas avec Chien de garde. La construction du suspense est ici particulièrement réussie. Alors qu’on serait en droit de s’attendre à un coup de grisou, la réalisatrice met savamment en place des éléments annonçant une catastrophe personnelle tout autre. Or, par la force des choses, cette catastrophe demeure proprement collective, car dans une mine, la règle du chacun pour soi n’a pas lieu d’être. En effet, si le mineur n’est pas pleinement en contrôle de son état d’esprit, le moindre égarement peut devenir périlleux pour ses collègues. Il s’agit d’une première leçon que les profanes retiendront de ce film, où l’éthique du travailleur est exposée de manière convaincante.

Conseillée par son directeur de la photographie, Sophie Dupuis a choisi de ne pas se laisser impressionner par le décor grandiose et hautement cinématographique que représente la mine. Pourtant, il s’agirait ici d’un choix artistique évident tant cet univers frappe l’imaginaire. Mais la réalisatrice ne souhaite pas raconter l’histoire d’un lieu ; ce sont, vraisemblablement, ceux qui l’habitent qui l’intéressent. Si dès l’ouverture, grâce à un impressionnant plan d’ensemble, cette mine sur une île au milieu d’un lac est survolée, jamais on n’abuse des drones ou de pirouettes stylistiques pour exulter le caractère exotique du Nord. On ne sombre pas dans une enfilade de plans d’ensemble esthétisants ; la mine, lorsqu’elle est filmée, n’est que trame de fond pour les personnages. Car pour la réalisatrice, c’est sur eux que toute l’attention doit être dirigée. Sophie Dupuis, après tout, aime profondément ses comédiens et elle parvient à tracer les contours des personnages qu’ils campent de manière juste et sensible. Chaque regard, chaque grimace, chaque froncement de sourcil doit donc être capté.

En choisissant ses comédiens et comédiennes avec une grande intuition et au bout d’un long processus d’audition, la réalisatrice recherche une justesse et une certaine vulnérabilité. Elle renoue avec Théodore Pellerin qui, une fois de plus, démontre qu’il est sans conteste l’un des comédiens les plus talentueux de sa génération. En interprétant un jeune aphasique, il évite les écueils que ce type de personnage pourrait rencontrer. Aux côtés de Joakim Robillard – heureuse découverte dans le rôle de Maxim –, il remet en question la notion d’amitié véritable lorsque celle-ci est empreinte de culpabilité. Mais au-delà de ces deux personnages, Souterrain pourrait se classer sous la bannière du film de groupe, car c’est véritablement une communauté qui y est dépeinte. Une communauté masculine, d’abord, même si les femmes y ont leur place, qu’on pense à Catherine Trudeau ou à Chantal Fontaine. Fidèle à ses préoccupations habituelles, la réalisatrice aborde, avec des personnages forts campés par des acteurs de talent – notamment James Hyndman qui se révèle sous un nouveau jour –, une fraternité soudée et codifiée qui peut, parfois, sombrer dans une forme de masculinité toxique.

Ne jamais montrer sa part de vulnérabilité – en gardant une façade artificielle faite de clichés et d’assertions erronées sur ce qu’un « vrai gars » devrait être – demeure un réflexe encore bien ancré chez tant d’hommes. Pourtant, cette figure masculine idéalisée par plusieurs n’est qu’un leurre. L’homme qui professe ces traits à outrance est, au fond, prisonnier d’une image désuète et, ultimement, dangereuse. Il s’agit d’une image qui prône le repli sur soi plutôt que le dialogue, générant son lot de comportements erratiques et malsains. Même si la société a fait un certain chemin en dénonçant ces comportements, force est d’admettre que cette masculinité toxique résonne encore chez bien des hommes, ce que Sophie Dupuis ose aborder en évacuant les clichés. À travers le personnage de Max, qui professe sa capacité à faire mille enfants à sa blonde et qui atteste sa valeur à travers ses possessions matérielles, un archétype est créé. Pour ce buck dont la virilité ne doit jamais être contestée, la façade robuste qu’il crée de lui-même est pourtant friable. Ainsi, au-delà de cette communauté d’hommes que l’on pourrait croire monolithique, on parvient à découvrir un microcosme fascinant, un univers peuplé par des êtres emplis de contradictions.

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