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Coriolan

20 janvier 2019

CRITIQUE /
SCÈNE
| Élie Castiel |

★★★★★

SUBLIMEMENT RADICAL

On pourra reprocher à Robert Lepage d’avoir construit une œuvre théâtrale comme s’il s’agissait d’un film. De Shakespeare, Coriolan exprime les notions de psychologie et de psychanalyse dans ses moindres tourments, d’où des personnages pris entre le pouvoir, la justice, la vie privée et l’État, une Rome impérialiste qui donnera naissance, à travers les siècles, à des dictateurs et à d’autres sortes de gouvernements autoritaires.

Des principes de la démocratie, lorsque fragilisés, émergent des régimes totalitaires, des trahisons, des exils forcés, des pertes identitaires. Et le Coriolan de Robert Lepage, tel qu’incarné par Alexandre Goyette, dépasse les limites de l’interprétation. Justement en raison d’une mise en scène qui ne recule devant rien pour assumer ses assises, sa référence directe au cinéma au moyen de plans qui s’agrandissent ou s’amenuisent selon les circonstances. Entre le contenu et la forme, une juxtaposition, mieux encore des parallèles qui ne cessent de provoquer le regard du spectateur, jusque-là habitué à un confort qu’il ne veut point perdre.

Et pour les courageux, une aventure qui exerce l’œil à se diriger dans des univers inconnus. Et comme exemple ultime, une mise en scène entièrement tournée en contre-plongée (terme filmique) qui non seulement élève l’art dramatique, mais présente également les personnages comme des individus venus des cieux. Grèce antique ou ancienne Rome, telle n’est pas la question. Elle est tout autre : il s’agit d’un territoire géographique placé au centre du monde où les terrestres et les Divinités ne forment qu’un.

Et pour exprimer que les choses n’ont pas vraiment changer, des recours à notre contemporanéité qui rendent le discours shakespearien encore plus virulent. Décors, costumes et mise en situations jonglent avec le temps. L’(in)temporalité, donc, en quelque sorte, l’instabilité intentionnelle de la part de Lepage, brille par son cynisme, son goût de briser le passage normal du temps et, par défaut, de l’espace.

Il y a des comédiens sur scène qui, à leur tour, autant que les spectateurs, tentent de se rallier à cet essai théâtral expérimental qui débouche sur quelque chose qui a à voir avec le « délire créatif ». Robert Lepage est sans doute, parmi nos créateurs les plus énergiques, celui qui universalise le propos et le rend aussi tangible que mystérieux. L’ œcuménicité de son travail le rapproche justement le plus près du commun des mortels parmi les génies.

Les différents cadres, plans, tableaux, quel que soit le nom qu’ils ont, tous ces morceaux de pièces-à-pièges nous soumettent à une nouvelle lecture de l’expérience théâtrale.

Les différents cadres, plans, tableaux, quel que soit le nom qu’ils ont, tous ces morceaux de pièces-à-pièges nous soumettent à une nouvelle lecture de l’expérience théâtrale. Nos préceptes accumulés au cours des ans tombent à l’eau, ne serait-ce que le temps que dure le spectacle. On s’étonne, on ose reprocher au grand maître telle ou telle extravagance. Mais en fin de compte, après mûre réflexion, nous admettons que nous avons été les témoins privilégiés d’un spectacle sublime, hors du commun, politiquement radical, totalement avant-gardiste et surtout et avant tout, qui assume sa structure rocambolesque, exceptionnelle et jouissivement bizarre en toute dignité.

Des comédiennes et des comédiens, nous dirons qu’ils excellent dans leurs rôles, prenant pour acquis qu’il s’agit d’un jeu à la fois ambigu et discret entre l’art dramatique, le récit, l’improvisation contrôlée, le goût du risque et de ce quelque chose que l’on ne peut expliquer, mais qui tient du domaine du risque. Et soulignons que la distribution n’a jamais été aussi inclusive, comme elle devrait toujours l’être.

Et comme probablement peu (ou sans doute personne) le soulignerons, l’homoérotisme lepagien s’exprime dans certaines séquences, subtil, raffiné, mais, paradoxalement, d’une sensualité à la fois agressive et osons le dire, voluptueusement démesurée.

Quant au coût de la production, tout franchement, laissons cela aux experts en chiffres.

Crédit photos : © Yves Renaud

 

ÉQUIPE DE CRÉATION

Texte
Shakespeare

Traduction / Adaptation
Michel Garneau

Mise en scène
ROBERT LEPAGE

Assistance à la mise en scène / Régie
Adèle Saint-Amand

Conception du décor
Robert Lepage

Co-conception du décor et des accessoires
Ariane Sauvé

Conception et direction de création
Steve Blanchet

Conception des images
Pedro Pires

Éclairages
Laurent Routhier

Costumes
Mara Gottler

Musique / Conception sonore
Antoine Bédard

Distribution
Mikhaïl Ahooja, Ariane Bellavance-Fafard
Jean-François Blanchard, Louise Bombardier
Anne-Marie Cadieux, Jean-François Casabonne
Lyndz Dantiste, Rémy Girard
Alexandre Goyette, Reda Guerinik
Tania Kontoyani, Gabriel Lemire
Jean-Moïse Martin, Widemir Normil
Philippe Thibault-Denis, Tatiana Zinga Botao
Elliott Plamondon, Jess Viens

Durée
2 h 50
(Incl. entracte)

Représentations
Jusqu’au 17 février 2019

TNM.


MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [Entre-deux-cotes]

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